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Bonjour l’asile: La Puissance du rire

Jeanne quitte quelques jours le stress de la vie urbaine pour aller voir sa grande amie Elisa, récemment installée à la campagne. Au cœur des bois voisins, un château abandonné devenu tiers-lieu, foisonne d’initiatives collectives. Elisa aimerait s’y investir, mais entre biberons et couches lavables, elle n’en a pas le temps. Jeanne, en militante des villes, n’y voit aucun intérêt. Quant à Amaury, promoteur en hôtellerie de luxe, le château, lui, veut l’acheter. Tous trois convergent malgré eux vers ce lieu d’entraide et de subversion… Mais combien de temps cet asile d’aujourd’hui pourra-t-il résister à ce monde fou ?

Bonjour l’asile commence avec, en images, les pages d’un dossier de demande de financement pour un film, en l’occurrence Bonjour l’asile réalisé par Judith Davis, accompagné par, en bande son, les appels téléphoniques de Jeanne (joué par la réalisatrice elle-même), excédée des dysfonctionnements et des problèmes administratifs. Ce début, intelligent, drôle, et original, marque une des qualités les plus importantes du scénario: la qualité d’auto-dérision. L’humour qui abonde, notamment dans les dialogues, se montre franc et grinçant. Le film porte par ailleurs un regard réaliste sur les personnages et sur l’environnement social qu’il démontre/critique. Quand Jeanne nous embarque avec elle en campagne, à la recherche d’une amie de longue date, aujourd’hui écrasée par la charge mentale d’élever trois enfants en bas âge, et se permet de critiquer le mode de vie qu’elle a choisi, le sens du comique s’intensifie; personne n’est épargné des piques d’ironie ou des remises en question permanentes. Tout le monde est à son tour attaqué, pardonné, compris. En s’intéressant à de multiples sujets politiques, le film développe une forme chorale, et bordélique !

Ce bordel anarchisant et décentralisant, fonctionne et ne fonctionne pas à la fois, étincelle de génie sur certains points, et laisse à désirer sur d’autres. Si le point fort du film se situe avant tout dans ses dialogues très bien écrits (en utilisant les concepts et le langage militant de gauche notamment), dans sa capacité de rire de tout, jusqu’à vouloir ériger le rire en geste politique ultime, si le regard autocritique du film sur les revendications et les pensées anti-capitalistes/anti-autoritaires qu’il développe, s’avère original, naturel, et charmant(au moins pour le spectateur affilié aux mêmes revendications), en revanche les qualités techniques (scénario, réalisation, jeu d’acteurs) ne sont pas à la même hauteur. Etonnamment, on trouve parfois même des clichés, facilement reproduits, la mise-en-scène se raccroche plutôt à une logique théâtrale qu’au cinéma. 

Passé le premier tiers du film, le tiers-lieu devient le sujet central du récit, ce qui donne l’impression d’une bifurcation importante; des éléments fantaisistes et symboliques s’invitent dans l’image et nous amènent ailleurs, alors qu’on s’était habitué, jusque là ,à un certain réalisme. Ainsi le sérieux et le sentimental prennent le devant et on s’éloigne de la drôlerie sarcastique, l’ambiance change radicalement par rapport au début – qui était parti sur de bonnes bases, nous familiarisant rapidement aux quelques personnages présentés dans les premières scènes avec lesquelles nous nous identifions aisément -, trop de nouveaux personnages entrent en jeu, chacun présente alors son manifeste tour à tour, ce que le scénario n’arrive ni à approfondir ni à harmoniser. A ce titre-là, certains personnages deviennent clichés, voire tombent dans la caricature. La qualité assez hétérogène des jeux d’acteurs (qui appartiennent à un collectif théâtral, « L’Avantage du doute ») accentue ce sentiment: Autant Judith Davis ou Maxence Tual par exemple excellent dans leurs rôles, autant Nadir Legrand qui joue le rôle important d’Amaury, n’arrive pas à caractériser son personnage et à le sortir du cliché.

Malgré ces quelques défauts, nous trouvons l’approche de Judith Davis, qui propose une voix singulière et rare avec seulement deux long-métrages, prometteuse, et sans aucun doute nécessaire dans le paysage du cinéma français indépendant d’aujourd’hui.

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