Réalisé en 1969 par Jirí Menzel, Alouettes, le fil à la patte fut immédiatement interdit de toute exploitation par la censure tchécoslovaque. Ce n’est qu’après la Chute du mur de Berlin en 1989 que cette interdiction fut levée. La consécration pour son auteur ne tarda pas puisqu’il obtient l’Ours d’Or lors de la Berlinale de 1990. Ce film est désormais à redécouvrir en version restaurée 4K dans le cadre de la rétrospective dédiée au cinéaste tchèque, « la comédie est une arme », orchestrée par le distributeur Malavida.
Au début des années cinquante, à Kladno, immense complexe industriel, quelques personnages nettoient une décharge de ferraille tout en dissertant sur Kant. Ils étaient médecin, philosophe, intellectuel, cuisinier… Ils sont en rééducation intensive pour perdre leurs réflexes bourgeois. Cependant rien ne les atteint et ils continuent dans une joyeuse nonchalance à s’entretenir du monde.
Comme pour Trains étroitement surveillés (1966, Belles mécaniques), son premier-long métrage lauréat de l’oscar du meilleur film en langue étrangère en 1968, Jirí Menzel s’attache les services du romancier Bohumil Hrabal pour l’écriture du scénario de Alouettes, le fil à la patte (1969). De même, comme ce fut le cas pour Trains étroitement surveillés, l’écriture du script s’appuie sur le roman de Hrabal, en l’occurrence Vends maison où je ne veux plus vivre.
Une des singularités de Alouettes, le fil à la patte réside dans son lieu de tournage : un site industriel de recyclage de métaux à ciel ouvert. Pour les autorités locales, cet endroit austère n’est autre qu’un centre de rééducation par le travail. L’autre singularité se niche dans le sujet traité. En effet, les principaux protagonistes sont des prisonniers issus de la bourgeoisie et soupçonnés d’être des opposants au régime en place. Ils sont ici relégués au rang d’ouvriers travaillant dans le recyclage de métaux pour construire des machines mais aussi (et peut-être surtout) le socialisme qui vient de vaincre en 1948.
Pour mener leur récit, Menzel et Hrabal s’arment donc d’un lieu et d’un sujet austères. Cette première impression est renforcée par l’entame de film qui donne à voir une vue aérienne des lieux. Cette séquence liminaire semble vouloir engager les spectateurs dans un documentaire. Nous sommes pourtant bel et bien dans une fiction dont le contenu tient à la comédie mordante et critique car « la comédie est une arme » !
Le pendant du groupe d’hommes décrit plus haut est un autre groupe composé de quelques âmes féminines condamnées pour avoir tenté de quitter illégalement le pays. Nous avons ainsi deux groupes distincts et séparés où la mixité est strictement interdite. Il n’y a donc pas d’interaction autorisée entre les hommes et les femmes. Les rencontres en cachette sont dès lors furtives. Nouer un mariage est-il possible dans de telles conditions ?
Sous ses airs de comédie légère, Alouettes, le fil à la patte mérite tout l’attention des spectateurs. De nombreux dialogues sont à double sens soutenus par une gestuelle au sous-texte érotique. Sur les banderoles, les messages sont explicites et propagandistes. Menzel les tourne en dérision par sa mise en scène, ses dialogues et la contextualisation mise en œuvre. Plus tard, le personnage interprété par Vaclav Neckar déjà vu dans Trains étroitement surveillés listera les actes nobles. Travailler ne sera pas cité car, parmi les luttes menées par les protagonistes, il y a celle contre le zèle. Le travail est certes fait mais sur un rythme non contraint. Cette absence de contrainte est à l’image du film dans son entièreté. En effet, Menzel met en images un récit léger d’apparence et pourtant, si on y prête attention, lourd de sens. Tout est restitué simplement par le cinéaste, tout semble couler de source car la narration menée avec intelligence bénéficie d’un constant équilibre entre dérision et gravité. La lecture à faire de Alouettes, le fil à la patte doit être attentionnée car ce film a une portée politique non feinte.
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