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Notre Dame de Donzelli … assez médiocre

Maud Crayon, est née dans les Vosges mais vit à Paris.
Elle est architecte, mère de deux enfants, et remporte sur un énorme malentendu le grand concours lancé par la mairie de Paris pour réaménager le parvis de Notre-Dame…
Entre cette nouvelle responsabilité, un amour de jeunesse qui resurgit subitement et le père de ses enfants qu’elle n’arrive pas à quitter complètement, Maud Crayon va vivre une tempête.
Une tempête, qu’elle devra affronter pour s’affirmer et se libérer.

« J’ai écrit un premier scénario, « Taille de guêpe », qui suivait le cheminement d’une réalisatrice. Trop proche de moi, la distance entre autobiographie et fiction n‘était pas bonne. J’ai finalement enlevé le cinéma que j’ai remplacé par l’architecture. Ces métiers ont des points communs – mener un projet à terme avec un budget à respecter, courir le risque de voir son oeuvre décriée… En donnant cette profession à mon héroïne, je m’accordais la permission de parler de ce que je vivais sans que cela soit complètement collé à ma propre expérience »

La note d’intention de Valérie Donzelli s’avère nécessaire, non pas pour comprendre son Notre Dame, dont la trame narrative ne se pare aucunement de mystère ni ne fait dans les méandres, mais pour cerner quelle mouche a bien pu la piquer … au vu du résultat, pour le moins bancal, pour ne pas dire raté.

Les producteurs de Donzelli ont tenu à ce qu’elle refasse un cinéma qui lui avait valu louanges unanimes (quand son Marguerite et Julien avait fortement divisé la critique et très peu trouvé son public, malgré quelques très beaux papiers – dont le nôtre – et une sélection officielle à Cannes), un cinéma proche d’elle, sur un scénario qui s’inspirerait de sa propre personne. Les premières images ne sont d’ailleurs pas trompeuses, Valérie Donzelli, incarne une Maud Crayon, au déguisement aussi coloré que son nom semble taillé pour la BD. L’intention comique ne fait alors aucun doute, et nous nous préparons à l’accompagner dans quelques unes des fantaisies/fantasmagories dont on la sait capable depuis ses premiers courts et longs. Donzelli l’affirme d’ailleurs, elle a vu en Maud Crayon une version plus adulte/quarantenaire de son personnage de la reine des pommes, qu’elle avait inventée pour son premier long fait de bric et de broc, et qui avait mis en évidence sa créativité.

Ces intentions se perçoivent assez nettement d’emblée, quoi que l’univers proposé semble assez hésitant, car un autre personnage semble nécessairement s’inviter dans l’histoire dont on ne devine pas encore la place, Notre Dame. Si l’intention comique se devine, celle-ci est obstruée par une intention tierce que l’on ne cerne pas totalement, s’agit-il de rendre hommage à un monument historique, à son architecture, comme peut le laisser penser l’ouverture du film ? S’agit-il aussi ou au contraire de faire ressortir une mystique ? S’agit-il peut-être de rendre hommage à Paris ? S’agit-il de s’attaquer au sacré ou à la religion ? Les simples images ne permettent pas, dans le premier tiers du film, de répondre avec certitude à ces questions, et ont pour effet indirect de diluer la tonalité comique artificielle par ailleurs revendiquée.

Maud Crayon, employée lambda dans un cabinet d’architecture, double transposée de Donzelli dans la vraie vie, vit sa vie de femme active et de mère bon an, mal an, avec une certaine désinvolture mais aussi une forme de fatalité. Son espace vital oscille entre un appartement parisien à l’étroit, où s’invite très fréquemment le père de ses enfants, dont elle s’est séparé, caricature de l’artiste squatteur un peu raté, parfaitement boulet, et un cabinet d’architecture pour lequel elle travaille sans contrat, et où sévit un patron très caricatural. Le décor posé n’est pas inintéressant en soi, mais il ne suffit pas à lancer le film, le sujet en lui même tarde à se découvrir, tarde à nous emporter. Difficile pour le spectateur d’y voir autre chose qu’une exposition un peu longuette d’une histoire à venir, même si le style, l’écriture très bande dessinée, s’affirme.

La reine des pommes avait pour sujet Donzelli, ses facéties, sa vie, ses amours, son univers intime et intérieur, ses doutes, ses tracas, sa légèreté. Le portrait de la jeune femme, en lui même, était le sujet, par sa dimension intime, mais aussi, en ce qu’il pouvait être générationnel.

Outre la finesse du trait pour nous dessiner ce personnage attachant, nous notions l’émotion très présente, mais aussi, la prégnance de la question psychologique – que l’on retrouve par exemple aussi lorsque Nanni Moretti se met en scène- manifesté à l’écran par des errements, des aller-retours, une positivité remède aux maux du quotidien, rendue possible par ce procédé de l’écriture en Je.

Peut-être donc, pensait-on au premier tiers du film, et cela aurait très bien pu se tenir, que Notre Dame, n’était qu’un leurre, un jeu de mot, et que le simple portrait de Maud Crayon vaudrait là aussi sujet, dans lequel nous pourrions plonger avec confiance et intérêt. Puis vint l’histoire, et … patatras …

Le film vire dans ses deux tiers suivants dans un très peu subtil n’importe quoi, grand fourre tout, qui ne fonctionne tout simplement pas. Cette rupture, pourtant attendue et nécessaire, se fait en deux étapes, deux virages.

La premier fait appel à la rêverie de Donzelli, et en soi, aurait pu, fonctionner si cette dimension onirique avait meublé le film de tout son long, si le personnage de Maud Crayon nous avait été introduit, comme la reine des pommes, comme une éternelle rêveuse, ou comme une fée. Mais puisque le récit s’était d’abord inscrit dans une pseudo-réalité quotidienne, fut-elle caricaturale, difficile de voir dans l’envol d’une maquette de jardin d’enfant vers le bureau de la maire de Paris pour concourir au concours d’architecture de rénovation du parvis de Notre Dame, autre chose qu’une ficelle scénaristique facile et malvenue. L’effet à ce stade n’est pas encore définitif, car par ailleurs, il ouvrait une possibilité, celui de la bascule nette et précise vers le conte de fée assumé, le passage de Maud de l’autre côté du miroir, dans un monde plus artificiel, plus illusionné, et cette possibilité persiste quelque peu avant le deuxième virage qui définitivement fera tomber le film dans une médiocrité que l’on n’avait pas encore connue chez Donzelli, mais que la note d’intention éclaire ceci-dit quelque peu …

La transposition du métier de cinéaste en employé lambda d’un cabinet d’architecture ne saute pas aux yeux, et là est peut être l’un des problèmes de Notre Dame. L’histoire première devait évoquer une cinéaste … et peut être qu’il en aurait du en être ainsi. La peur de rater, de déplaire, de susciter des réactions négatives, mais aussi, au contraire, les espoirs d’autres possibles: la chance, les ondes positives inattendues, le succès d’estime qui dépasse toute expectation, sentiments qui habitent nécessairement Donzelli, la cinéaste, qui a connu succès et échecs, dans sa vie personnelle comme professionnelle, était effectivement un beau sujet. Le hic, ici, est qu’on ne le perçoit absolument pas ! Si Maud Crayon avait été une architecte à son compte, si son passé professionnel, son parcours, nous avait été un tant soit peu racontés, peut être que … Dit autrement, Donzelli passe, selon nous, à côté de son sujet. Le scandale que la proposition architecturale phallique de Maud Crayon suscite dans Notre Dame, et quoi que la réalisatrice se soit très sérieusement renseigné sur le sujet, tombe comme un cheveu sur la soupe, et participe bien plus au vulgaire qu’il ne permet d’introduire une réflexion sociétale, ce qu’on imagine, a posteriori, avoir été l’intention.

La forme aurait pu sauver le fond, l’animer ou le mettre en exergue, fut-il artificiel, peu inspiré ou peu inspirant. Sur ce point, Donzelli a déjà démontré qu’elle avait non seulement des qualités indéniables, mais aussi et surtout une patte créatrice, qui compose son univers et font que quelques images suffisent à reconnaître sa signature, son écriture singulière.

Si La guerre est déclarée a ému aux larmes bon nombre de spectateurs – quoique cela n’ait pas été notre cas – c’est qu’au delà du sujet délicat et émouvant, V. Donzelli avait su glisser avec une grande réussite, des respirations burlesques, des moments simples et drôles, sortis de nul part. Le mariage entre drame et fantaisie fonctionnait sans que l’un ne prenne trop le pas sur l’autre.

Pour Notre Dame, l’équilibre est bien différent … Puisque le sujet premier est manqué, la fantaisie s’y substitue, elle occupe toute la place, que ce soit l’instant de comédie musicale surgit de nulle part, les situations supposées comiques, les rêveries, les essais théâtraux qui changent l’appartement en une scène où, en accéléré, une période transitoire, ressort scénaristique nécessaire, est jouée par les acteurs qui semblent s’en amuser et se détacher presque de leurs personnages.

Peut être que pour certains, ce mélange foisonnant fonctionnera. Nous sommes en général les premiers à saluer l’audace, à encourager la prise d’initiative formelle, la tentation de l’expérience. Pour Marguerite et Julien, nous n’avions par exemple pas peur de dresser une comparaison entre Donzelli et Godard, dont on n’a de cesse de vanter l’incroyable créativité qui fut la sienne à ses débuts, mais aussi dans des œuvres plus récentes comme Adieu au langage, … Si nous devions filer cette même comparaison, alors Notre Dame produirait, à nos yeux, le même effet que Le livre d’images … Celui d’un trop plein peu maîtrisé, au but flou, et aux moments de virtuosité finalement beaucoup trop rares ou peu perceptibles. L’univers fantaisiste de Donzelli, pour la première fois, parce qu’il nous est servi en plat principal, nous écœure façon triple ration de foie gras sur un estomac déjà bien rempli.

Entre autres atouts du film qui se retournent et se transforment en défauts manifestes, citons la galerie des personnages secondaires, pourtant servis par un casting première classe : Virginie Ledoyen, Thomas Scimeca, Pierre Deladonchamps, Bouli Lanners, Philippe Katerine, Claude Perron ou encore Samir Guesmi. Outre le fait que que chacun des personnages n’est introduit et développé que sous une fonction principale très déterminée, plus ou moins comique, en lien avec Maud Crayon et sans véritable parcours tiers, leurs interrelations semblent parfois bien étranges.

Ainsi, si l’on peut rire en découvrant le personnage interprété par Philippe Katerine, cet assistant de la mairesse sans cerveau véritable qui répète chacune des phrases de celle-ci pour se rendre intéressant à ses yeux, ou encore de cet ex, pleurnichard, crampon et parfaitement impudique joué par Thomas Scimeca, si l’on peut apprécier quelque peu de voir Pierre Deladonchamps s’essayer dans un registre frôlant avec le comique – notamment dans une plaidoirie – il est très difficile de ne pas regretter les partitions confiées à Bouli Lanners, Virginie Ledoyen ou Samir Guesmi très sous utilisés et caricaturaux, de ne pas s’agacer du personnage d’avocate loufoque et incompétente (Claude Perron) comme il nous a semblé absolument incongru d’introduire une histoire d’amour naissante entre Virgine Ledoyen, la belle gynécologue bloquée, et Bouli Lanners, le collègue de travail sympathique, neutre et bouche trou.

En somme, l’écriture d’ensemble du film nous a semblé manqué d’inspiration, de contenance, de fond, l’absence d’une trame scénaristique solide, qui aurait pu libérer les possibles formelles, s’est révélée à nos yeux dés le deuxième tiers du film, et dés lors, tout nous est apparu artifice colmatant.

https://www.youtube.com/watch?v=whyVU5OpoGI

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