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Detroit: Kathryn Bigelow toujours aussi virile

Mis à jour le 1 novembre, 2017


Kathryn Bigelow jouit d’une réputation très envieuse dans le petit monde de la cinéphilie. Nombreux sont ceux qui aiment son cinéma, nombreux sont ceux qui louent sa force, son courage, son acuité. Son cinéma est engagé dans tous les sens du terme.

Zero Dark Thirty faisait l’effet d’une petite onde de choc aux Etats-Unis mais pas que.  Nous étions sur la forme très proche de Sicario de Villeneuve, sur le fond, il y avait un minutieux travail de documentariste, un point de vue politique très frontal.

Fort justement, et quoi que Zero Dark Thirty ne soit pas à notre goût, le film fut salué par la critique et par le public.

Detroit, son nouveau film toujours à l’affiche, était donc très attendu. Notre curiosité était aiguisée d’autant plus qu’à voir les premières images, il nous semblait que Kathryn Bigelow prenait un chemin de cinéaste légèrement différent; tout d’abord en ce qu’elle tente une reconstitution historique, avec tout le challenge qui existe quant au réalisme des scènes, des décors, des costumes, des attitudes, ensuite car elle s’intéresse à un mouvement de foule, à un geste de protestation fort, mais aussi à un sujet encore tabou aux Etats-Unis, et aux résonances très contemporaines, le racisme.

Et une fois de plus, il est évident que Kathryn Bigelow est une cinéaste talentueuse. Plus que de Villeneuve cette fois-ci, il nous vient à l’esprit de la rapprocher de Steve MacQueen, de 12 years a slave, multi oscarisé. Le film est précis, la reconstitution fouillée, l’ambiance sonore comme visuelle très travaillée, les prises de vues sont au plus prêt de l’action, même le récit bénéficie d’une narration singulière, qui demande au spectateur de bien s’accrocher. La volonté de choc est là; sans que le film ne verse dans la provocation; la réalisatrice prend soin de bien appuyer les traits sur les sujets qui lui sont les plus sensibles, le racisme – ordurier -, l’injustice.

Le film garde un rythme assez constant, tout à la fois stagnant, le temps semblant presque arrêté, mais aussi explosif – les émeutes laissent entendre un mouvement de colère encore plus important; le sang coule à flot.

Detroit est de surcroît une ville symbole aux Etats-Unis, symbole d’un autre temps, celui de la conquête industrielle (un peu plus tard de la musique techno, mais nous nous égarons) mais aussi symbole de notre époque: la ville s’est depuis extrêmement paupérisée, vidée de sa population, et en bien des points elle augure d’une menace apocalyptique post-capitalisme.

On peut ainsi parler d’un coup de force de Bigelow quant à sa capacité à se servir du passé pour critiquer le présent.

Vous l’aurez noté, nous ne tarissons pour l’instant pas d’éloges, mais pourtant, comme pour Zero Dark Thirty, si vous nous demandez si nous avons apprécié le film, nous vous dirons – pas notre style …

Plus qu’un long discours, pour étayer notre propos, nous vous citerons deux aspects du film qui nous déplaisent. Le premier est le procédé manipulateur très évident. Connaissant la réalisatrice, quand elle s’autorise un passage léger, tendre, on se doute que le sang suivra dans les minutes à suivre. Et ça ne manque jamais.

Elle se sert des émotions pour donner corps à son point de vue.

Le second aspect, à l’opposé, concerne également les émotions, mais cette fois-ci celles que Bigelow, volontairement ou non, occulte. Si effectivement se servir du passé pour critiquer une tendance contemporaine a tout de l’idée géniale, la réalisatrice américaine se heurte pourtant à un écueil qui nous rebute: les personnages, tous autant qu’ils sont, nous apparaissent terriblement froids. A servir un message politique très dirigé, ils nous semblent tous très calculés, tout droit sorti d’un modèle très théorique. Ils sont les soldats d’une cause, d’une action mise en avant. Le manichéisme est très proche; à l’inverse, les ambivalences, les doutes, les subtilités, les revirements de pensée, les évolutions, les faiblesses, toutes ces composantes sont absentes. Le récit est très documenté, et ça se sent. Kathryn Bigelow attache, et c’est une évidence, plus d’importance à ce que l’action, les faits ressortent, qu’à mettre en avant, creuser les psychologies.  La matière bien plus que la substance. Pour le dire autrement, Detroit, sur un sujet qui pourrait être proche, est aux antipodes des chefs d’oeuvre de Spike Lee – alors très inspiré – Do the right thing, Jungle Fever. La musicalité – et pourtant Bigelow manifestement s’y essaye, comme si elle attendait notre critique aux tournants 🙂 – , l’envie, l’énergie collective, l’espoir comme les désillusions, les instincts vitaux sont absents de Detroit quand ils faisaient toute la sève des premières œuvres de Spike Lee.

La faute à une caméra distante et non immersive, la faute à un film pensé pour relayer un message, pensé en terme d’efficacité, et non un film vérité, ressenti réellement, ou même un geste artistique.

Le style de Bigelow est viril, très viril même … hyper efficace, monumental pourrions nous même dire pour lui rendre hommage ou pour singer la publicité qui entoure le film – quelle belle époque !

Pas notre tasse de thé disions-nous en introduction.

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