Un premier long-métrage réalisé pour le cinéma et prenant pour témoin le monde paysan, voilà qui n’est pas sans nous rappeler quelques souvenirs récents. Édouard Bergeon prend en effet le sentier emprunté deux ans plus tôt par Hubert Charuel. De fait, Au nom de la terre partage avec Petit paysan (2017, Amour vache et vaches folles) de nombreuses caractéristiques : traitement d’un sujet connu car vécu, quasi unicité de lieu (la ferme familiale), casting serré et schéma narratif observant une trajectoire dramatique très voisine. Mais le cinéma n’étant pas une science, une même formule ne produit pas le même résultat. En 2018, trois César avaient couronné Petit paysan. Seront-ils aussi nombreux en 2020 pour célébrer Au nom de la terre ?
Pierre a 25 ans quand il rentre du Wyoming pour retrouver Claire sa fiancée et reprendre la ferme familiale. Vingt ans plus tard, l’exploitation s’est agrandie, la famille aussi. C’est le temps des jours heureux, du moins au début… Les dettes s’accumulent et Pierre s’épuise au travail. Malgré l’amour de sa femme et ses enfants, il sombre peu à peu… Construit comme une saga familiale, et d’après la propre histoire du réalisateur, le film porte un regard humain sur l’évolution du monde agricole de ces 40 dernières années.
Édouard Bergeon, réalisateur et coscénariste, fait le récit et met en images l’histoire de son père. Une ambition dont il ne fait pas mystère puisqu’il l’inscrit dans l’encart « D’après une histoire vraie » qui vient en surimpression des premiers photogrammes du film. Au nom de la terre est assurément un film biographique, voire hagiographique. C’est là à la fois sa principale qualité et son principal défaut.
Derrière une mise en scène maîtrisée mais sans éclat, nous semblons déceler l’intention première de Bergeon, celle de l’authenticité. Guillaume Canet qui incarne le père du cinéaste se voit ainsi porteur d’une tonsure dont l’esthétique n’est pas immédiatement appréciable. Malgré son caractère hétéroclite, le casting réuni fonctionne plutôt bien. Ainsi, le rôle de la mère est tenu pas l’actrice flamande Veerle Baetens dans une prestation fort différente de celle livrée en 2012 dans Alabama Monroe de Felix van Groeningen (César du meilleur film étranger en 2014) et qui la fit connaître en dehors de son pays natal (film nommé en 2014 à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère). Le rôle du grand-père échoit au toujours très pertinent mais sous-utilisé Rufus. Cependant dans la famille Bergeon, ici rebaptisée Jarjeau, c’est le fils interprété par Anthony Bajon qui bénéficie de l’incarnation la plus convaincante. Il est vrai que le jeune acteur avait déjà été remarqué à son avantage dans La prière (2018, Bien mais…) de Cédric Kahn.
Au nom de la terre est ainsi porté par une belle reconstitution d’un microsystème familial passé et une distribution plutôt satisfaisante. Ces deux caractéristiques contrebalancent une narration dont on pourra reprocher le manque de densité. Le scénario n’est en effet pas exempt de quelques flottements communément appelés respirations. Le rythme de la narration est ainsi par intermittence un obstacle préjudiciable à l’implication et l’empathie du public. Malgré l’isolement et l’absence de solidarité familiale ou entre voisins, la productivité de l’exploitation augmente alors que le mouvement inverse est observé dans la trésorerie. La descente aux enfers matinée d’auto-persécution et de folie peut dès lors être déroulée.
Ce récit familial et biographique l’est peut-être un peu trop. On décèle dans Au nom de la terre les germes d’un film plaidoyer pour le monde paysan. Mais faute d’un recul suffisant vis-à-vis de son sujet, trop personnel, Bergeon n’inscrit pas son premier long-métrage dans une veine politique. Certes le film est émaillé de quelques points sensibles : les paysans ne sont pas les rédacteurs de leurs factures et peinent à honorer celles qui leur sont envoyées par leurs fournisseurs malgré le prérequis d’une assise financière souvent plus large que la superficie des terres cultivées mais pas toujours possédées. Les aides financières de la communauté européenne tardent à arriver et ne servent souvent que de cache-misère face au capital restant dû. Des subventions dont l’évolution est décroissante et donc inverse au nombre de normes imposées par les mêmes instances européennes. L’usage, fatal, de produits chimiques au premier rang desquels sera cité le glyphosate est aussi mentionné.
Voilà autant de difficultés qui font du quotidien des paysans un long chemin de croix. Mais le traitement proposé par Bergeon reste superficiel, ne dérogeant jamais à l’arc narratif choisi, celui de la citation. Au nom de la terre ne recèle ainsi aucune prise de position marquée sur ces questions sensibles animant l’organisation et l’économie sous perfusion de diverses aides de l’agriculture française. A nos yeux et par son sujet, le film aurait mérité un traitement plus engageant à défaut d’être engagé.
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