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Blade Runner – Humain, trop humain

Mis à jour le 29 mai, 2016

Parmi les quelques films de science-fiction ayant su marquer l’histoire du cinéma, Ridley Scott peut se targuer d’être à l’origine d’au moins deux d’entre-eux. En 1979, Alien parvenait à faire dialoguer film d’horreur et récit futuriste en faisant de la navette spatiale un huis-clos asphyxiant accueillant la venue d’un élément exogène. Le film impressionne par la somptuosité de ses effets spéciaux et de ses décors, par son atmosphère étouffante contrastant avec l’infini de l’univers. Ces qualités sont aussi celles qui font le prix de Blade Runner (1982). L’hybridation des genres touche ici son point culminant, tandis que la somptuosité formelle dont fait preuve le travail de Scott et de son équipe prolonge certaines thématiques propres à l’auteur du récent Seul sur Mars (The Martian, 2015). Alors que se prépare Blade Runner 2 réalisé par  Denis Villeneuve avec Ryan Gosling, la ressortie en salles cette semaine de Blade Runner –  – continue d’impressionner et d’interroger son public, une longévité qui confère à ce film le statut de chef-d’œuvre de la science-fiction et du cinéma tout court.

Un film trans-générique

Adapté du roman de Philip K. Dick, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? (1968), Blade Runner réactive la dichotomie opposant la robotique à l’humain. De plus en plus poreuse, celle-ci pose de nombreuses difficultés à qui chercherait à l’élucider. Que penser d’un androïde capable de ressentir des émotions ? Où se trouve la frontière entre le mécanique et l’organique lorsque le premier se confond avec le second ? Seul des tests très poussés permettent d’y répondre. Rick Deckard (Harrison Ford, sacré nouvelle star du genre après son interprétation de Han Solo dans La Guerre des étoiles) est le « Blade Runner », celui chargé d’éliminer les quelques robots, partis en quête de leur humanité. La mission de Deckard prend la forme d’un périple marqué par l’éclatement et la disparité. Les archétypes s’enchâssent et se répondent : l’enquête du héros est celle d’un inspecteur sorti d’un polar des années quarante. Femmes fatales, orientalisme et volutes de cigarettes aidant, le film noir réapparait, quelque peu altéré par les voitures volantes et les immeubles géants de la cité futuriste. Cette dernière convoque comme première référence la Métropolis (1927) de Fritz Lang. Matriciel, le film allemand inspire au décorateur Lawrence G. Paull un espace urbain clivé entre différentes zones où se mêlent coutumes et accents étrangers, pauvreté extrême et architectures gigantesques.

La beauté des décors n’a pour seule égale que la perfection des effets spéciaux. On retrouve ici l’excellence du travail de Douglas Trumbull à l’origine des effets crées pour 2001, l’Odyssée de l’espace (Stanley Kubrick), Rencontres du troisième type (Steven Spielberg, 1977) et réalisateur du curieux Silent Running (1972), fable écologique dans l’espace. Par sa seule présence, Trumbull fait de Blade Runner le premier hériter de la science-fiction moderne, initiée à la fin des années soixante par le film de Kubrick.

Cinéma, cinéma

Dans le monde de Blade Runner, l’obscurité l’emporte toujours. Dans les ruelles sombres ou dans l’espace confiné des appartements modernes, on se prend à rêver. Le clignotement lumineux est semblable à celui d’un appareil de projection dont chaque être fait usage dans ses songes tourmentés. Une licorne passe à l’écran. Image fabuleuse dont Deckard ne comprend ni l’origine, ni le sens. Ses adversaires, les « réplicants » sont semblables à des doubles, créatures cinématographiques par excellence. Comment pouvait-il en être autrement dans un monde régit par les lois du cinéma ? Le futur filmé par Ridley Scott s’apparente à un vivier de références dont nous avons déjà repéré quelques traces, mais dont d’autres, sans doute, restent à découvrir. Difficile d’échapper à l’irréalité du reflet lorsque celui-ci s’incarne si parfaitement dans des chairs reproductibles à l’envie. Notre héros en fera la douloureuse expérience. Amouraché d’une femme-robot, il devra se soumettre à la diatribe de ses congénères, tout en sondant les mystères de sa propre existence. La violence sourde qui traque les êtres de Blade Runner est d’abord celle d’une échappée du miroir ou de l’écran. L’univers composite de la métropole babylonienne est comparable à la nature de ses habitants. Jamais assuré d’être soi-même, l’humain vacille, chancelle et tombe. Beauté et impression sublime que procure la vision d’un gouffre. L’interrogation philosophique posée par Blade Runner est d’abord une réflexion visuelle dont la réponse ne peut être apportée que par les images assurant le lien constant entre forme et fond.

À celles et ceux qui auraient raté la ressortie de Blade Runner en salles, rappelons l’existence de la version director’s cut en DVD sortie chez Warner Bros. Quant à nos lecteurs qui aimeraient en savoir plus sur l’univers de la science-fiction, outre l’essai très complet de Michel Chion, Les films de science-fiction, publié en 2009 aux éditions des Cahiers du cinéma, l’excellente revue Positif a consacré le dossier de son numéro de décembre 2015 au « cinéma de science-fiction après 2001 » comprenant d’intéressantes analyses ainsi qu’un entretien passionnant avec Douglas Trumbull.

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