Mis à jour le 22 juillet, 2023
Bande de filles : à voir absolument
Le sujet
Bande de filles raconte la trajectoire de Marieme, une jeune fille sage qui va s’affranchir pour vivre sa vie au sein d’une bande de filles. Des meufs caillera plus précisément.
Un film jouissif
Comme ça fait du bien de voir un film comme ça ! Un film de fille, avec des filles, pour les filles (mais pas seulement), à la Virgin Suicide (si,si), avec, n’en déplaise aux étonnants polémistes, des sujets (dans tous les sens du termes) qui ne sont guère montrés dans le cinéma français : ces meufs caillera, qu’on peut croiser aux Halles, descendantes de La Squale et de Samia, à la fois ultra féminines dans leur coquetterie, et plus violentes que les mecs quand il s’agit de s’affirmer. Des badass girls en somme, qui ont pour modèle la non-moins badass -mais sophistiquée- Rihanna. On en a parlé dans des articles, dans des documentaires, avec sensationnalisme, sans ausculter les âmes, sans finesse. Les interprètes sont les premières à le dire : avant, le cinéma ne les intéressait pas, parce qu’elles n’y voyaient pas de filles comme elles, elles ne trouvaient aucun modèle auquel s’identifier.
Leur vivacité, leur vélocité sont communicatives. Et cette sensation, on ne l’avait pas éprouvée depuis L’Esquive d’Abdellatif Kechiche et les meilleurs Jacques Doillon -qui ont pour point commun de puiser dans l’énergie même des jeunes acteurs, pour la plupart trouvés dans des casting sauvages. Des « natures », comme on dit au cinéma. Fortes au point qu’on en vient à éprouver emphatiquement leurs kiffs, leurs joies et leurs chagrins.
Bien sûr, dans Bande de filles il y a d’autres sujets propres au film de banlieue (un genre à lui tout seul) qui ne changent pas.Tout récemment, nous parlions de Raï (1995), et plus précisément du rôle de Shalia, tenu par Tabatha Cash. En 20 ans que s’est-t-il passé ? Pas grand chose apparemment, au niveau sociologique. On retrouve la figure du grand frère persécuteur, le fait que quand une fille décide de coucher, toute la cité le sait et se fait traiter de p*te, l’émancipation difficile, sinon impossible.
La fausse-piste sociologique
Oui, Bande de filles nous fait penser au chef-d’oeuvre de Philippe Faucon, Samia (2001), le portrait d’une jeune fille de Marseille prête à affirmer son identité envers et contre tout. Contrairement à Raï ou Samia, cependant, la tradition des origines est moins présente. On ne sait ni l’origine exacte de la famille de Marieme, ni sa religion, et tant mieux. Le propos de Céline Sciamma est ailleurs : il s’agit d’un portrait pur et d’un « pur portrait » , celui d’une jeune fille d’aujourd’hui et celle, par conséquent, d’une bonne partie de la jeunesse d’aujourd’hui. Pour prendre un seul exemple, le fait qu’une vidéo prise à l’aide d’un téléphone portable puisse ruiner un égo et une réputation.
Jeunesse d’aujourd’hui, jeunesse de toujours.
Dans le fond, et ce depuis les années 50, et même depuis les calandes grecs, la jeunesse n’a pas changé. Quelle différence entre l’Antoine Doinel des 400 coups, La petite voleuse de Claude Miller et Marieme et sa bande ? Comme disait Saint François Truffaut (sic), ce qu’il y a d’émouvant, chez les adolescents, c’est que tout ce qu’il font, il le font pour la première fois.
Les étapes de Marieme, (la gentille petite fille qui devient une bad girl sous l’influence d’un modèle et d’une identification à une chef de bande, le passage accéléré à l’âge adulte) font fortement penser au film Thirteen -dont la scénariste avait alors… 13 ans, et s’appelait Nikki Reed.
Mais l’adolescence n’est pas la seule obsession de Céline Sciamma. Bande de filles est un film d’initiation et de quête d’identité. Marieme se cherche, tour à tour sage jeune fille, puis « meuf » de bande, puis androgyne à la Casey. D’ailleurs, dans la troisième « période » de Marieme, on pourrait reprendre ces paroles de la rappeuse pour illustrer l’image : « Fustigent la façon dont je m’habille/ Se demandent si je suis un garçon ou une fille ».
Un film qui aurait du concourir à la sélection officielle du Festival de Cannes
Bande de filles a fait sensation à la Quinzaine des réalisateurs. A tel point que de nombreux journalistes et festivaliers se sont demandés pourquoi le film n’était pas dans la compétition officielle. Nous sommes de cet avis : Bande de filles vaut largement les films qui étaient dans la compétition 2014 et c’est vraiment dommage qu’il n’ait pas été en compétition. Mais le comité de sélection du Festival de Cannes a ses raisons que la raison ne connaît pas.
Une grande cinéaste
Céline Sciamma a son style propre. Et une grande constance. C’est ce qui en fait une grande cinéaste. Tous ses films sont aussi bons et justes les uns que les autres. Elle a une façon de filmer une jeune individualité comme personne, avec un grand esthétisme formel, une musique électronique planante. Elle sait trouver ses interprètes qui donnerons corps et vie à ses personnages – souvenez-vous d’Adèle Haenel dans La naissance des pieuvres. Elle sait aussi filmer ce qui se passe entre les êtres, le courant qui circule entre eux, sans mot dire. Les étapes de la jeune vie de son héroïne sont marquées par des respirations, un écran sans image, qui nous fait craindre que le film ait fini, avant qu’il ne se termine vraiment, nous laissant sur une seule frustration : que va devenir Marieme ?
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