Le dossier 137 est en apparence une affaire de plus pour Stéphanie, enquêtrice à l’IGPN, la police des polices. Une manifestation tendue, un jeune homme blessé par un tir de LBD, des circonstances à éclaircir pour établir une responsabilité. Mais un élément inattendu va troubler Stéphanie, pour qui le dossier 137 devient autre chose qu’un simple numéro.
Après son retour en grâce avec La Nuit du 12, son précédent film qui s’appuyait sur une thématique à vif, le charme d’un Bastien Bouillon en inspecteur très imparfait, et un traitement en léger décalage, un peu à l’instar des films noirs, à hauteur d’homme, pour mieux sensibiliser, Dominik Moll eut l’honneur cette année, vingt ans après Lemming, et vingt cinq ans après Harry, un ami qui vous veut du bien qui nous le fît découvrir, de figurer de nouveau dans la prestigieuse sélection officielle cannoise, en lice en compétition, avec son nouveau projet, Dossier 137, qui en apparence semble s’inscrire dans la droite lignée de la Nuit du 12, en ceci que le trouble lié à son sujet électrique interroge politiquement, s’ancre dans le réel là où ses premières œuvres, quoi que profondément enracinées dans le quotidien et l’ordinaire apparent, cherchaient des lignes de fuite fantastiques.
Ainsi, reprend-t-il partiellement la même recette pour un nouveau thriller « à la française », sur une thématique certes différente, plus politique encore, mais toujours aussi sensible et normalement très peu connue du grand public. Une sorte d’envers du décor qui nous serait proposé par le cinéma, permettant d’aller là où le journalisme s’arrête, avant, après, à côté et au delà des faits. Montrer les gardes fous prévu par le Droit, et la capacité qu’ont les politiques d’interférer, dans un sens ou dans l’autre. En toile de fond, Dossier 137, sans jamais le dire, évoque des mécaniques propres au fascisme et propices à sa génèse, les petits arrangements du pouvoir, l’utilisation de la force policière au service de l’Etat, les éventuels dérapages, leur traitement et la gestion de leur conséquences sur l’opinion publique. Scandale d’Etat ? La question sera posée, en second plan.

Moll met en scène Stéphanie une enquêtrice de l’IGPN, dévouée, sérieuse, qui prend son métier très à cœur. Il prend le soin de souligner ses origines modestes, ses attaches provinciales qui façonnent son identité, et ses raisonnements, de l’inscrire dans un quotidien qui puisse la rapprocher au plus proche du barycentre du Français moyen – et en cela, des spectateurs. Elle a grandi en province, a le sens voire la passion de la Justice, doit jongler avec son quotidien, notamment l’éducation de ses enfants, en garde alternée avec son père, lui aussi dans la police. Ce dernier s’est, après leur rupture, rapproché d’une membre du syndicat de la Police, il adhère plus naturellement à une logique corporatiste (de droite dirons-nous).
L’analogie avec Deux Procureurs de Sergueï Loznitsa saute au yeux sur le sujet de fond, beaucoup moins sur la forme. Pour mieux nous émouvoir et nous rendre réceptifs à son message, Moll fait appel à quelques bonnes idées de mise en scène, notamment en incluant des images d’archives, ou des diaporamas assez saisissants qui font ressortir de manière intense, et assez naturellement, la gravité de la situation, mais aussi sa complexité. Comme souvent Léa Drucker nous apparaît imminemment juste dans son interprétation, son potentiel empathique là aussi naturel ne souffre d’aucun doute: une identification est possible. L »écriture assez ciselée, le rythme bien étudié, l’évolution de l’enquête puis les rebondissements participent au maintien en éveil a minima du spectateur, pour peu que sa curiosité ne soit pas davantage piquée par l’affaire en elle même, peu importe son obédience politique. Nous pourrions alors parler de franche réussite si ces qualités n’allaient de pair avec les défauts qui les accompagnent, là aussi de manière très naturelle…


Tout d’abord, presque paradoxalement, l’intensification de l’enquête, à des fins dramatiques, parce que nous la notons, et la prédisions, nuit au rythme: le procédé nous met à distance, comme Moll peut le faire lui même de son sujet. Si alterner entre scènes professionnelles et scènes de quotidien, mélanger les deux, produit son effet affectif, un contre-effet s’invite concomitamment, la nature artificielle du récit. Il nous saute alors aux yeux que dans son récit Moll a effectué des choix, des coupes potentielles, et s’est permis de rajouter des éléments de fiction pour le nourrir, au détriment du réalisme (et en cela de la portée politique). Diversion qu’il eut pu aisément contrecarrer s’il avait, comme dans la Nuit du 12, assumer, comme le font parfaitement les bons thrillers coréens, pleinement la fiction, en appuyant certains traits, en osant s’aventurer dans la caricature. Bouillon y manquait de crédibilité en soi en tant qu’inspecteur, trop imparfait, trop maladroit; précisément, cette carence dans le dessin de son personnage, nous rapprochait non de sa personne, mais du récit en lui même, in fine, du sujet. Ici, le phénomène miroir se produit. Nous ne pouvons en blâmer Léa Drucker, son jeu, disions-nous relève d’un grand professionnalisme, d’un grand sérieux. Moll a d’ailleurs pensé son personnage comme une femme sérieuse, mais Stéphanie manque clairement de fantaisie ou d’un côté sombre qui aurait pour conséquence non nécessairement de nous la rendre plus proche de nous, « the girl next door », mais de nous embarquer avec elle. Les bonnes idées de mise en scène qui séduisent au départ en viennent rapidement à se muer en motifs répétés, en guise de liaisons.
Les sujets forts appellent à une exigence de forme, à un équilibre difficile à trouver entre intensification et mise en valeur discrète. Un tel sujet aurait, à nos yeux, mérité une prise de position franche, un traitement de choc; pour mieux mettre en avant la nature scandaleuse, pour provoquer tout simplement, quitte à déplaire. En lieu et place, Dominik Moll opte pour les précautions de circonstances, cherche à ne pas fâcher ceux qui ne partageraient pas ses opinions sur les faits, à ne pas surtout pas mettre d’huile sur le feu, dans une logique apaisante, sérieuse, et distanciée: il invite juste à réfléchir, qualité louable. Mais quand il s’agit de dénoncer la montée des idées fascistes, l’utilisation abusive des LBD lors des manifestations, de dénoncer des scandales tus et étouffés, précisément, faire preuve de virulence, se risquer au brûlot, ne pas craindre la radicalité d’opinion, nous aurait bien davantage interpellé.









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