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Dites-lui que je l’aime: peines en miroir

Avec Dites-lui que je l’aime, Romane Bohringer nous propose un très intense docufiction qu’elle nourrit de bonnes idées de mise en scènes, et de nombreuses mises en abyme. De l’histoire touchante propre à Clémentine Autain, développée dans le livre éponyme de cette dernière, Romane Bohringer nous élabore tout à la fois une mise en images, une variation, et un prolongement. Elle questionne l’intime, ou plus exactement, leurs blessures intimes respectives, celles de Clémentine Autain tout autant que les siennes. Elle confronte deux situations similaires, interroge le rapport à la mère, la construction d’une jeune femme confrontée à la disparition (et à l’absence) de celle-ci, tout en questionnant la fragilité d’une existence, la difficulté de vivre et de se confronter à des démons, les angoisses, les doutes, les manques affectifs, par un procédé psychanalytique aux milles ramifications, aux milles réfractions.

De Clémentine Autain, nous connaissions les blessures, dont celles consécutives à un viol qu’elle a révélé dans un autre documentaire, mais aussi, en cinéphiles, nous ne pouvions ignorer l’identité si particulière de sa mère. Avant d’être un livre de Clémentine Autain, avant d’être un film de Romane Bohringer, Dites-lui que je l’aime était un film dans lequel jouait la désarmante, touchante et sensible Dominique Laffin, icône au destin tragique, si maltraitée (notamment par Jacques Doillon, comme en atteste La femme qui pleure, film dérangeant – mais de qualité – qui montre l’égoïsme et la brutalité de Doillon, d’autant plus ambivalent que Dominique Laffin, comme nous le rappellent Romane Bohringer et Clémentine Autain, arborait au quotidien un sourire énigmatique).

De Romane Bohringer, nous connaissons son père, sa sensibilité et son rapport à l’art, ses débuts d’actrices tonitruants (Les nuits fauves de Cyril Collard), mais aussi ses talents de réalisatrice, capable de sublimer son intime, avec son compagnon Philippe Rebot, capable de rire de situations personnelles complexes douloureuses, capable de nous faire participer à un exercice psychanalytique qui passe par l’art, par le cinéma, par l’écriture cinématographique, sans fard, sans masque. Nous ne connaissions pas encore son histoire familiale, le rapport qu’elle entretenait avec sa mère, l’identité même de sa mère, et son parcours.

Avec Dites-lui que je l’aime – troisième du nom – , Romane Bohringer s’en confie, dans un feuillet ouvert qui se construit strate après strate, qui ne manque ni d’affects (humour et légèreté, comme instants plus douloureux, plus profonds), ni de surprises. L’image fictive – reconstitution documentaire en surimpression d’images d’archives-, trouve tout son sens et toute sa place au milieu de ces deux voix qui s’entrecroisent, se répondent et s’écoutent, se questionnent l’une l’autre, par un remarquable travail de forme, que ce soit la mise en scène inventive, le montage pertinent, la narration patiente, les procédés d’écriture filmique, mais aussi, la captivante interprétation d’Eva Yelmani, qui semble presque faire revivre Dominique Laffin, en ce qu’elle parvient à saisir le trouble, l’attitude, et l’énergie de la défunte actrice, quelque part entre soif de vivre – recherche de plaisirs, de distractions, de fuite perpétuelle- et profonde mélancolie, désillusions. Sa partition restitue avec beaucoup de justesse l’émotivité, la fragilité de la maman de Clémentine Autain, qui, avec du recul, a l’instar d’un Patrick Dewaere tout aussi expressif, en fît une icône et désarma ceux qui la côtoyaient ou de nombreux cinéphiles qui la découvrirent à l’écran. Le sourire masque ici les larmes, comme il le masquait hier. Il masque aussi ceux que Romane Bohringer comme Clémentine Autain conserve comme images de leurs mères respectives, un éternel regret.

Geste psychanalytique – réparateur ? – tout autant qu’artistique, Dites-lui que je l’aime nous livre deux touchants témoignages, deux cris d’amour qui ensemble procèdent à trois étages, celui propre à la sphère intime de Clémentine Autain, par résonance immédiate et confondante, celui relatif à Romane Bohringer, et par diffraction, celui propre à la sphère universelle. Vertiges assurés.

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