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Au rythme de Véra (et de Jarrett), l’improvisation porteuse d’espoir

Le concert de Cologne en 1975 parle à de nombreux musiciens, notamment parmi ceux qui s’intéressent au Jazz. Il y eut un avant et un après ce concert, qui ouvrît une brèche, et concilia performance et improvisation. Au delà de son côté pédagogique, Köln75 – renommé maladroitement Au rythme de Vera pour les spectateurs français – s’intéresse à l’envers du décor, il déplace le regard du côté de celui d’une jeune femme fougueuse, débordante d’énergie, libre et confiante en sa bonne étoile, en la personne de Vera Brandes. L’histoire musicale aura surtout retenu les incroyables solo de Keith Jarrett, mais elle aura aussi permis à Véra Brandes de se faire un nom, puis une carrière dans le monde de la programmation de concert. Cette histoire, la sienne, elle l’a racontée dans un livre.

Ido Fluk s’en empare pour nous convier à une aventure universelle qui raconte quelque chose de son époque, de son pays, de la musique, mais aussi des mœurs. Il choisit un ton positif, un rythme endiablé, et invite le spectateur à courir avec Vera (à son rythme) pour une à une lever toutes les embûches du chemin libératoire qu’elle s’est choisie. Née dans une famille riche conservatrice, la jeune femme se heurte à la vision bourgeoise de ses parents, elle rêve à d’autres horizons, plus amusants, et en vient à s’en fâcher avec son père, richissime, qui, s’il l’avait aidé, eut pu rendre son entreprise autrement plus évidente. Son entreprise, qu’elle doit tout à la fois à la providence et à son culot, son dessein, consiste à se trouver une voie bien à elle dans l’industrie musicale, de réussir dans le monde du spectacle.

Débordée par ses émotions, ses envies d’ailleurs et de liberté, Véra mélange allègrement vie privée et vie public, de rencontres en rencontres, un défi croissant se présente à elle, jusqu’au plus grand d’entre eux, organiser un concert de jazz dans un Cologne alors en pleine effervescence, d’un artiste qui commençait à faire parler de lui outre-Atlantique, Keith Jarrett. Après la Seconde Guerre mondiale, Cologne s’était reconstruite pour devenir un pôle culturel majeur en Allemagne de l’Ouest. Dans les années 1970, elle était reconnue pour son dynamisme dans les arts, notamment grâce à des institutions comme le WDR (Westdeutscher Rundfunk), qui jouait un rôle clé dans la promotion de la musique contemporaine et expérimentale, y compris le jazz. Le WDR Studio für Elektronische Musik, fondé dans les années 1950, attirait des compositeurs d’avant-garde comme Karlheinz Stockhausen, mais la ville accueillait aussi des scènes jazz et improvisées florissantes. Les festivals et les clubs locaux contribuaient à faire de Cologne un carrefour pour les musiciens européens et internationaux. Ce contexte local, qui animait le quotidien de la jeune femme, ne pouvait que l’inviter à tenter sa chance, elle aussi.

Féministe, émancipateur, drôle car reposant sur le culot, la chance, la péripétie, mais aussi les astuces que Véra Brandes doit trouver pour éviter le naufrage, et garder espoir, jusqu’à la dernière minute, bien servi par la convaincante interprétation de son actrice principale, Köln75 a tout du feel good movie très agréable à découvrir dans un festival qui ne laisse en général que peu de place à des films qui assument la comédie. D’autant qu’il parvient à trouver le bon rythme, le bon équilibre aussi, et s’amuse de l’adéquation entre la démarche improvisée, voire totalement improvisée de Véra Brandes, aux antipodes de l’esprit de sérieux, et la démarche artistique de Keith Jarrett, lui aussi voulant libérer la création jazzy de chaînes (de codes) qui pouvaient rester (pédagogiquement, le film ouvre par un rappel des codes qui avaient été avant Jarrett brisé un à un). Il offre également un univers musical de tout instant, et diffuse son esprit positif, ce motif d’espoir que l’optimisme à toute épreuve de Véra Brandes porte en elle. Dans une époque où les messages d’espérance se raréfient, sous le poids de l’anxiété générale alimentée, et des dictats conservateurs, Köln75 séduit et nous fait passer un bon moment.

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