Nina Wu a tout quitté pour s’installer à Taipei dans l’espoir de faire une carrière d’actrice. Un jour, son agent lui propose le casting du rôle principal d’un film d’espionnage. Malgré sa réticence à la lecture des scènes de nu et de sexe, Nina se rend à l’audition.
D’emblée les premières images chatoyantes donnent le ton de la mise en scène, léché, délicat, suspendu et déambulatoire. Midi Z nous convie à un voyage multidimensionnel, à ce genre de trip sensoriel assez rare, dont le spectateur est quasiment le héros, tant son attention est sollicitée pour remettre dans l’ordre les pièces du puzzle. Chacun pourra ainsi y aller de son interprétation première, de ses hypothèses, se frayer un chemin de compréhension pendant la première heure avant de se remettre plus ou moins rapidement dans un rail commun, plus limpide, plus éclairant. Midi Z prend méticuleusement soin de brouiller les repères temps mais aussi de les codifier, de les signifier. La robe rouge sera votre fil conducteur, vous prévient-on. Son écarlate laisse entendre un présent, quand les tons moins saturés nous enverraient dans le passé ? Ou bien, ou bien … Le temps décomposé/recomposé nous perd, mais il permet de capturer l’attention, de captiver et de mettre en relief d’autres aspects tout aussi bien maîtrisés. Car si la forme de Nina Wu, conceptuelle, renvoie au meilleur de Lynch -même si Midi Z dit avoir travaillé avec son directeur artistique sur des références autres: Winding Refn, Lanthimos et Edward Hopper -, à ses velours, à ses satins, à ses tempo, à ses rêves, son fond, conceptuel lui aussi, est tout autant digne d’intérêt.
Le scénario, signé de l’actrice principale Wu Ke-Xi, comporte de nombreux attraits. Sa thématique principale, que l’on pourrait déterminer a fortiori comme le portrait d’une jeune actrice accueillie dans un monde #MeToo, allégorie du petit chaperon rouge face au loup, permet à d’autres thématiques secondaires de surgir. Certes, ce scénario trouve pour origine l’affaire Weinstein. Mais en premier lieu, il s’agit d’un portrait de femme singulier, doublé d’une peinture féroce d’un milieu. Le même procédé agit ici à plusieurs niveaux pour mieux nous confondre: la mise en abîme. Wu Ke-Xi à l’écran nous parlerait-t-elle, au final, de sa propre expérience, ou tout simplement d’elle ? A supposer qu’elle nous parle d’une autre, nécessairement son imaginaire nous renvoie à elle-même, tout comme son interprétation. Elle véhicule les émotions, leurs degrés d’intensités, au premier degré, mais aussi au second, brouillant là aussi les pistes. Puisque le fort du scénario réside précisément en ce que la femme scénariste-actrice, s’est écrit un double rôle de femme et d’actrice, l’une et l’autre composant un tout qui peut se dissocier comme se compléter. La femme, livrée à elle même, agît et réagît de son plein gré, compose avec ses espoirs, ses besoins, ses amours, ses attentes, ses ambitions, et plus tard, ses traumas. Ses peurs sont au centre du sujet, ses émotions d’une manière générale, notamment face au Mal absolu, face à l’horreur que le milieu cinématographique lui réserve. L’actrice doit, elle, se donner à son metteur en scène, s’en remettre à ses indications, atteindre l’intensité que celui-ci souhaite quand il s’agit d’émotion, d’épouvante, de larmes de joies, d’amour, ou de peur. Leur relation offre là-aussi un effet de mise en abîme des plus intéressants, d’autant que Midi Z a poussé le vice – ou a eu le génie – de lui même se mettre en scène dans un rôle de réalisateur tyran, bien plus sûr de son talent que talentueux, qui, au nom de son art, maltraite littéralement son actrice.
Midi Z, le premier avait été conquis par ce scénario, les possibilités qu’il offre:
« Le soir où j’ai terminé la lecture du scénario écrit par Wu Ke-Xi, je n’ai pu fermer l’oeil avant l’aube. Dans un état de demi-conscience, j’ai fait un rêve : j’étais dans le Myanmar de mon enfance, je ramassais du petit bois sur la pente d’une colline calcinée, et je rencontrais une femme, une belle femme que la folie avait poussée à arracher ses vêtements et à courir nue dans ce paysage dévasté. »
Les procédés vertigineux qu’il recèle, offrent nécessairement des instants qui échappent à la simple écriture première, à la mise en scène, et même à l’écriture du montage. Des instants de vérité, de sincérité.
Les mises en abîme, de surcroît, vont plus loin que la seule sublimation de l’histoire. Ainsi, Midi Z ne tarît pas d’éloges sur l’apport qu’à pu avoir son actrice scénariste sur la forme du film:
« Wu Ke-xi a donné son avis sur les costumes, la photographie les couleurs, ce qui a beaucoup amélioré l’esthétique générale du film. Peu de réalisateurs ont la possibilité d’échanger autant d’idées avec leur actrice principale. C’est une expérience rare. »
Cerise sur le gâteau, Wu Ke-Xi et Midi Z, ont su trouver le bon angle d’attaque pour éviter de nombreux écueils liés au pathos que l’affaire évoquée génère, et pour faire en sorte que la forme adoptée soit parfaitement souhaitable, adaptée. Les différents allers-retours entre rêve et réalité, entre passé et présent participent à une expérience immersive: nous sommes dans le cerveau d’une jeune femme atteinte d’un syndrome post-traumatique. Plutôt donc que de s’attarder et de relever le sordide, ils ont tous deux opté pour une matière bien différente, psychologique: les effets à retardement. Ce biais et surtout leurs regards portent l’émotion, et à leurs tours, font résonner les différents cris de la jeune femme, qu’ils soient actes de jeu, ou non.
En somme, Nina Wu, outre sa plastique superbe, nous touche ! Un must !
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