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La Grande Vadrouille – Un rire édulcoré

Mis à jour le 27 septembre, 2016

Avant Bienvenue chez les Ch’tis (Danny Boon, 2008), La Grande Vadrouille (Gérard Oury, 1966) était le succès populaire du cinéma français. Pendant plus de quarante ans, le film de Gérard Oury a maintenu le record du plus grand nombre d’entrées, un français sur trois ayant été allé voir le film en salle. Une belle performance qui continue de perdurer sur le petit écran, sa diffusion touchant un public multi-générationnel. Preuve que le rire n’a pas d’âge. La ressortie dans quelques semaines de ce classique de la comédie française nous a poussé à nous interroger sur sa popularité jamais démentie.

Un casting (très) concluant

Il faut d’abord remarquer que La Grande Vadrouille n’a pas pris beaucoup de risques. Un an avant sa sortie, Le Corniaud réunissait déjà Bourvil, De Funès et Oury, prouvant le savoir-faire de ce dernier et la parfaite harmonie du tandem comique. La mise en scène du réalisateur, somme toute très académique, a l’avantage de laisser la part belle à ses acteurs. Voilà ce qui permet à La Grande Vadrouille de résister au passage du temps et au brassage des modes : l’universalité du langage déployé par Bourvil et De Funès. C’est ce dernier, sûrement, qui retient d’abord l’attention. On sait que le succès du cinéma et du théâtre français tient à la qualité de son texte et à la manière dont ses comédiens parviennent à en révéler toutes les saveurs. C’est l’exemple de Louis Jouvet qui, sur le plateau de tournage comme sur les planches, se tient bien droit et déclame sa réplique. L’emphase du dialogue est à la fois transmis par la rigidité du corps et la maitrise de la voix, le rythme de la respiration ne faisant qu’un avec le tempo du texte.

Avec De Funès, c’est pareil, ou presque. Voix, corps et texte s’accordent dans l’imprévisible du chaos. La texture nasillarde de la première semble découler de la frénésie extatique du second. La verve du monologue n’en sera que plus forte. À côté de lui, Bourvil joue le contre-point tout en se laissant parfois emporter par l’énergie de son partenaire. Là où De Funès explose, Bourvil réfrène, refoule, privilégie le mouvement du visage sur celui du corps. Si De Funès s’exprime dans le plan moyen et le plan d’ensemble, Bourvil accueille le gros plan, ce qui explique sans doute son rôle d’amoureux, le sentiment intérieur ne pouvant se déployer parfaitement que dans le rapprochement du regard.

De Funès a quelque chose de Chaplin, sa présence convoquant toujours quelque chose des arts de la scène. Avec sa perruque, il ressemble à un clown, jouant de son accessoire comme d’une excroissance douloureuse et autonome. De Funès était pianiste, ce qui explique peut-être son talent à s’imprégner du texte et de l’atmosphère d’une scène à la manière d’un musicien qui s’approprierait une partition pour en proposer sa propre variation. Surtout, l’expressivité toute centrifuge (tournée vers l’extérieur) de l’acteur n’est pas exempte d’une certaine tendresse intérieure. Son regard lancé vers son couvre-chef et sa baguette de chef d’orchestre flottant sur l’eau du canal est celui d’un peintre observant l’une de ses vanités. Comme chez Chaplin, la gymnastique physique appelle à l’émotion la plus noble. La tristesse découle du regard pour se transmettre à l’ensemble des membres. Il y a du Jekyll et du Hyde en De Funès, un tiraillement morale qui, par la connivence du corps et de la voix, s’exprime dans une convulsion aux modulations infinies.

Oublier, fédérer

Dans La Grande Vadrouille, la France est résistante et le Reich sans scrupules. Une prise de liberté avec l’Histoire qui en dit long sur le succès du film de Oury. On se rappelle que dans Bienvenue chez les Ch’tis, l’opposition régionale se substituait habilement avec la lutte des classes. Moins grand et surtout moins difficile à surmonter, l’écart permet alors de fédérer. On se moque de l’accent et des coutumes de l’autre avant de les adopter, un peu comme De Funès singe les aviateurs anglais pour mieux les enlacer. Le manichéisme de La Grande Vadrouille permet de distancier son rapport avec l’une des pages les plus sombres de l’Histoire, enrobant le conflit d’un sirop un peu mièvre à la manière dont les couleurs rouge et verte se superposent à ses premiers plans. On ne parle pas de guerre ici, pas plus que dans le film de Danny Boon on ne parle du monde du travail. C’est la rencontre qui prime à travers une camaraderie toute franco-française (ou tout du moins francophone dans Rien à déclarer (Danny Boon, 2010) ). Cette idéologie dépasse le seul cadre du récit pour s’incarner à nouveau dans les corps. À la rigidité stoïque de l’uniforme militaire s’oppose la liberté physique des héros. Chez eux d’ailleurs, le costume se déchire sous les coups de l’effort.

À la différence de Charlot le vagabond, la gestuelle de De Funès n’est ici habitée d’aucun discours sociale. Son corps résonne alors à la manière d’une machine creuse. L’oubli devient la condition du rire, un manque qui, rappelons-le, ne doit pas être pris pour une exigence. Sur ce point, il faut revenir à To Be or Not to Be (1942) de Lubitsch ou à La Traversée de Paris (1956) d’Autant-Lara pour comprendre ce que le comique, et d’abord celui du geste, peut avoir de sulfureux et de poétique. La (re)découverte n’en est que plus salvatrice.

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