Mis à jour le 4 mai, 2019
4 films emblématiques de Jerzy Skolimowski au cinéma !
4 films parmi les plus connus de Jerzy Skilimowski, couvrant l’ensemble de sa carrière, de ses débuts en Pologne à sa période américaine ressortent en salle dans de sublimes copies restaurées !
Qui est Jerzy Skolimowski ?
Jerzy Skolimowski est très connu des critiques cinéma, et beaucoup moins connu du grand public, notamment en France. Pour les premiers, il est a minima l’égal de deux de ses compagnons d’école, Roman Polanski et Andrzej Wajda, les deux fers de lance du cinéma polonais. Si en France, le festival de Cannes a très tôt vénéré Roman Polanski et honoré l’onirisme de Wojciech Has (La clepsydre obtint le prix du jury en 1973), si les années 90 ont mis en valeur les travaux d’Andrzej Zulawski, et de Krzysztof Kieslowski pour ne citer qu’eux, les films de Jerzy Skolimowski ont de leur côté obtenu des récompenses importantes dans les plus grands festivals de façon plus discrète, comme le grand prix du jury obtenu à Cannes en 1978 pour Le cri du sorcier, et quelques années plus tard le prix du scénario pour Travail au noir (1982), l’Ours d’or en 1967 pour Le Départ, mais aussi deux prix très espacés à la Mostra de Venise, le prix spécial du Jury en 1985 pour Le bateau phare puis le grand prix du jury pour Essential Killing en 2010.
Pour apprécier l’oeuvre très particulière de Jerzy Skolimowski, quelques points de repères sont intéressants à connaître sur l’homme. Enfant il connut la guerre, tout comme Roman Polanski, et en fut profondément marqué. Son père, ingénieur dans les chemins de fer et membre de la résistance polonaise, est arrêté par les nazis en 1941 et meurt en camp de concentration deux ans plus tard. Sa mère s’investit alors dans la résistance, de façon très active, en distribuant des tracts et en cachant des juifs. Le très jeune homme aide sa mère comme il le peut, elle lui explique qu’il doit surtout n’éveiller aucun soupçon lorsque la Gestapo vient fouiller la maison.
Durant cette période trouble, Jerzy Skolimowski est un enfant chétif et qui peine à se nourrir. La guerre terminée, sa mère continue de mener une vie militante très active, elle crée des écoles où elle enseigne, y passant de très nombreuses heures, puis devient attachée culturelle à Prague, où elle scolarise Jerzy, aux côtés d’un certain Vaclav Havel avec qui il sympathise…
Du fait de son passé particulier, l’enfant adopte une attitude anticonformiste à l’école, on lui reproche de manquer de respect envers des professeurs que lui considère comme horribles. Son attitude lui donnera matière aux sujets de ses premiers films.
Quand il s’agit de se projeter dans la vie, et de se dessiner un destin professionnel, Jerzy Skolimowski envisage de devenir poète, et se passionne pour le jazz, notamment il cherche à travailler avec Krzysztof Komeda, avec qui il sympathise et qui plus tard fera les bandes sonores de ses films.
Il étudie la littérature et l’histoire à Varsovie, puis rencontre Andrzej Wajda dans une résidence pour écrivains. Ce dernier lui demande son avis sur le scénario d’un film qu’il a en projet, en tant que jeune écrivain. Andrezj Wajda lui propose ensuite de collaborer à l’écriture, ce qui lance Jerzy Skolimowski dans le cinéma. Andrezj Wajda lui conseille de surcroît de passer le concours de l’école nationale de cinéma de Lodz où il va rencontrer Roman Polanski.
Quels sont les caractéristiques de son cinéma ?
Jerzy Skolimowski a été mis très vite sur le devant des projecteurs de la critique par l’entremise de Jean-Luc Godard, qui tomba complètement sous le charme de ses premières œuvres. Avec Roman Polanski, il a donc très tôt été considéré comme l’un des maîtres fondateurs de l’autre nouvelle vague, celle qui sévit en Europe de l’est, aux côtés également de Milos Forman, dont le cinéma nous semble assez proche.
Si Le départ a des faux airs de films « à la Godard« , dans son noir et blanc, son casting surtout et sa bande son (musique comme bruitages), si on peut le rapprocher d’à bout de souffle quant à l’élan vital qu’il propose, le film comporte pourtant des composantes très singulières, qui se démarquent totalement d’un certain sentimentalisme occidental. On peut parler pour certains aspects d’un véritable contre-pied même, notamment pour ce qui est du rapport à l’action et au rythme. Là où les auteurs français aiment à imposer leur temps, à le définir, à chercher à le maîtriser ou à l’arrêter, Jerzy Skomimowski lui prend le parti du cinéma américain d’action, le temps est compté, le héros cherche à fuir, à vivre avant de mourir, potentiellement très rapidement.
Les films de Jerzy Skolimovski produisent de fait un effet très déroutant … Il y a dans son cinéma un côté existentialiste qui interroge mais qui jamais ne livre ses clés/réponses … Une lecture que l’on peut en faire, à considérer la biographie du maître, est que ses héros semblent comme hantés par la nécessité d’agir, de fuir un monde qui avance sans eux et qui ne les intéresse pas plus que cela …
Il évoquera pour sa part, le thème de la non-communication entre les générations (sans rapprochement avec l’incommunicabilité Antononienne) . Ses héros vivent intégralement au présent, le passé n’est pas cultivé, l’avenir pas calculé… Au contraire de la nouvelle vague à la française, qui cherche avant tout à s’affranchir des contraintes et à faire souffler un vent de renouveau, son cinéma semble beaucoup moins porté par la frivolité, la fraîcheur, la rébellion … Au contraire, une gravité émane, le ton peut paraître très désabusé, les personnages centraux sont le plus souvent des héros très solitaires et anticonformistes, les horizons sont bouchés, l’espoir n’est pas même au centre du propos; les héros ne se meuvent pas dans un quelconque but, ils le font par une impérieuse nécessité qui leur est propre. Une autre composante se démarque dans l’ensemble de ses films, l’approche virile. Le héros masculin avance envers et contre tout, trace son chemin, il n’est jamais dans l’hésitation, au contraire, il y met de la poigne … comme Jerzy Skolimowski qui fut lui même boxeur.
Les mailles des canevas narratifs de Jerzy Skolimowski sont amples. Son cinéma fuit naturellement l’explicite. S’il a effectivement visité le cinéma de la Nouvelle Vague française dès son premier film non polonais : Le départ, s’il a déclaré à l »époque être admiratif du cinéma de Godard, il s’en est dés lors écarté. Son aisance technique à traiter les sujets impressionne, Le cri du sorcier, film inclassable, en est un exemple parfait.
Si on doit le rapprocher d’un autre cinéaste de l’est, il est très difficile de le rapprocher d’un Roman Polanski qui lui aussi pourtant franchît le pas d’Hollywood, si ce n’est au travers du court métrage Le couteau dans l’eau qu’il co-écrit et où l’on y voit sa patte, il est presque autant impossible de le comparer à Krzysztof Kieslowski, à Wojciech Has ou à Andrzej Zulawski tant son cinéma est différent, un bref parallèle peut, à la rigueur, se faire avec Andrzej Wajda.
Mais il nous semble plutôt que le cinéma de Jerzy Skolimowski présente une lignée proche de celle de Milos Forman. En particulier, les deux cinéastes présentent une évolution de carrière très voisine. Tous deux appartiennent à la même génération, Milos Forman est de 6 ans l’aîné de Jerzy Skolimowski. Chacun a vécu sa jeunesse dans un pays de l’ex bloc de l’Est. Il y ont démarré leur carrière de cinéaste en participant durant la première moitié des années 60 au renouveau de leur cinéma local. On peut aussi s’étonner de constater qu’ils ont tous les deux réalisé leurs trois premiers longs métrages de fiction dans leur pays natal avant de partir travailler à l’étranger. L’exil vers les États-Unis sera sans étape pour Milos Forman qui ira jusqu’à acquérir la nationalité américaine. Pour sa part, Jerzy Skolimowski reste fidèle à son unique nationalité, polonaise, et exerce ses talents en Europe, d’abord en Belgique (Le départ en 1967) puis principalement en Angleterre à partir des années 70. Ce n’est que plus tard, en 1985, que le cinéaste polonais traversera l’Atlantique pour réaliser Le bateau phare.
Sorties cinéma au 20 mars
Signes particuliers : néant
Pologne • 1964 • 76′ • N&B • VOST
Avec Jerzy Skolimowski, Elzbieta Czyzewska
Notre avis: ***
Signes particuliers : néant est le deuxième film réalisé par Jerzy Skolimowski. Il fut comme son prédécesseur, Walkover, présenté en première mondiale durant le festival de Cannes mais n’a jamais été jusqu’à ce jour distribué en France. Le cinéaste polonais présente ainsi la particularité d’avoir eu ses deux premiers longs métrages sélectionnés durant la même édition du grand rendez-vous mondial du 7ème art, en l’occurrence celle de 1965. De nombreux autres points communs unissent ces deux films. Skolimowski y est bien sûr crédité comme réalisateur mais aussi en tant que scénariste et acteur principal, puisqu’il y interprète un personnage commun, nommé Andrzej Leszczyc. A l’instar de Walkover, la caméra ne cesse de suivre les déambulations du héros dans son quotidien. Cependant ici, les prises de vue sont moins aériennes et les plans-séquences plus nombreux et moins longs. Tantôt fixe, tantôt en mouvement, la caméra est souvent vectrice de plans-séquences librement composés. Si les deux premiers métrages de Skolimowski ont été filmés en noir et blanc, la bichromie de Signes particuliers : néant se révèle plus charbonneuse et peu contrastée. Ainsi, les images produites qui ne font pas mystère d’un grain prononcé plongent à plusieurs instants dans une pénombre prononcée rendant quasi imperceptible ce qui est filmé. En définitive, en intérieur comme en extérieur, les images de Signes particuliers : néant ne sont pas sans nous rappeler par leur texture celle de nombreux films muets. Il est enfin également intéressant de noter que Skolimowski s’essaye à des expérimentations visuelles sur des surfaces plus ou moins transparentes et/ou réfléchissantes pour produire un effet sur le spectateur.
Travail au noir
Un film mythique de retour en salles
Royaume-Uni • 1982 • 94′ • couleur • VOST
Avec Jeremy Irons, Eugene Lipinski
Prix du scénario – Festival de Cannes 1982
Notre avis: **
Travail au noir présente plusieurs niveaux de lecture possibles, selon que l’on s’arrête au premier niveau ou au second, le jugement que l’on peut en faire peut être très différent. D’un côté, il y a le portrait d’un homme particulier, un anti-héros plutôt antipathique, froid, déterminé, prêt à tout pour arriver à ses fins, ses relations aux autres et notamment les personnes qu’il emploie. Une société est dépeinte, ses vices, sa dureté, son injustice. De l’autre, il y a un propos évidemment métaphorique, mais aussi autobiographique. Skolimowski porte un regard sur la Pologne qu’il a fuit, mais aussi sur lui même, sur son égoïsme. Ainsi Travail au noir s’avère dérangeant comme peut l’être l’avis d’un homme qui en faisant son propre procès de façon clairvoyante nous semble de fait nécessairement innocent, d’autant plus qu’en filigrane, une accusation bien plus radicale est portée sur le régime polonais. Sur le plan formel, le film est plutôt mineur pour le cinéaste, même si celui-ci comprend quelques touches d’humour d’ordinaire rares. A contrario, sur le fond, la portée autobiographique et le regard porté sur le pays, notamment les événements concomitants en Pologne relatés au compte goutte, avec une grande distanciation, marquent les esprits.
Sorties cinéma au 10 avril
Walkover
Un film coup de poing salué par Jean-Luc Godard
Pologne • 1965 • 75 min • N&B • VOST
avec Jerzy Skolimowski, Aleksandra Zawieruszanka
Notre avis: ***
Le premier film réalisé par Jerzy Skolimowski est remarquable à plus d’un titre. Le metteur en scène y figure en tant qu’acteur principal et apparaît dans tous les plans. D’une durée courte (1h17), Walkover a été tourné en vingt-neuf plans-séquences dont le plus long s’étire sur onze minutes. Plus étonnant encore, chaque plan est une proposition cinématographique en soi et certains recèlent des mouvements de caméra aériens alliant ampleur et complexité. Enfin, les cadres composés offrent des arrière-plans toujours animés et riches en informations. Il y a là un énorme travail de mise en scène et de chorégraphie.
Dès ce premier film tourné en une quinzaine de jours, Skolimowski montre aussi bien l’étendue de son talent de metteur en scène que l’acuité de son regard, déjà expert. Le dispositif mis en œuvre se révèle immédiatement pertinent pour servir la déambulation urbaine d’Andrzej, le personnage principal incarné par Skolimowski. Par ses qualités techniques, indéniablement, Walkover ne pouvait être que le premier film d’un grand cinéaste en devenir.
Le Bateau phare
Un film légendaire invisible depuis 30 ans
Etats-Unis • 1985 • 89′ • couleur • VOST
Robert Duvall, Klaus Maria Brandauer
Prix spécial du Jury, Robert Duvall meilleur acteur Festival de Venise 1985
Notre avis: **
Premier film américain de Jerzy Skolimowski, Le bateau phare est aussi l’une des rares réalisations du cinéaste polonais dans laquelle il n’est pas crédité en tant que scénariste. L’originalité de scénario réside dans le cantonnement de l’action sur un bateau phare. Dans sa mise en scène, Jerzy Skolimowski s’applique à entretenir le caractère claustrophobe de ce bateau dont l’immobilité tout aussi contrainte qu’essentielle se révèle antinomique au milieu des vastes étendues marines environnantes. Ce film, comme la plupart des réalisations de Jerzy Skolimowski, n’obéit à aucun genre prédéfini car la narration mêle les codes des thrillers à ceux des drames familiaux.
Sur la forme, il sonne années 80 à fond les ballons: bande sonore appuyée – à base de synthétiseurs-, image grisâtre, lumière naturelle assez faible en plein jour, ambiance nocturne très présente avec jeux de lumières de type spots, décors plutôt austères… Nous viennent ainsi à l’esprit comme références esthétiques des films tels Le solitaire de Michael Mann, Birdy d’Allan Parker, ou Le Baiser de la femme araignée de Héctor Babenco. Sur le fond, le film peut s’apparenter à une tentative de Jerzy Skolimowski de mettre à l’écran ses Sentiers de la gloire à lui. Quoi que le propos ne soit pas directement anti-militariste, quoi que la scène principale qui se déroule sur le bateau phare ne soit pas à proprement parler une scène de combat militaire, il n’en demeure pas moins que l’allégorie de la guerre, des abominations humaines commises soit par un commandement pervers soit par un groupe suiveur, mais aussi le rapport au traumatisme laissé par la guerre, sont bien au centre du sujet. A cela s’y ajoute une relation père fils des plus étranges, marquée par une grande froideur initiale, mais aussi une grande incompréhension autour de la notion de courage et de lâcheté – le fils désirant un père héros et ne voyant en lui qu’un homme raté, meurtri et faible; qui évoluera au fur et à mesure d’un récit qui par ailleurs fait la part belle, comme souvent chez Jerzy Skolimowski, à l’action. Le terrain de jeu des différents protagonistes semble être un pays tout à la fois illusoire et représentatif de tous les pays. Une certaine absurdité se détache de ce bateau qui ne se meut pas, sur lequel il n’y a aucune richesse à proprement parler, mais sur lequel veille un capitaine dont l’un des objectifs est que le bateau reste ancré vaille que vaille. Ce bateau, pays indéterminé, où les êtres n’ont pas de véritable but, sera pourtant assailli par un homme d’apparence raffiné et courtois et ses quelques hommes de sécurité, par jeu et perversité.
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