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Le successeur de Xavier Legrand

Mis à jour le 21 décembre, 2023

Un film de Xavier Legrand

Avec: Marc-André Grondin, Yves Jacques, Louis Champagne, Anne-Élisabeth Bossé, Blandine Bury, Laetitia Isambert, Vincent Leclerc

Heureux et accompli, Ellias devient le nouveau directeur artistique d’une célèbre maison de Haute Couture française. Quand il apprend que son père, qu’il ne voit plus depuis de nombreuses années, vient de mourir d’une crise cardiaque, Ellias se rend au Québec pour régler la succession. Le jeune créateur va découvrir qu’il a hérité de bien pire que du coeur fragile de son père.

Xavier Legrand continue de s’intéresser à la double facette que peuvent présenter certains hommes, en apparence exempt de tout reproche, et dans l’intimité, monstrueux. Il le fait cette fois-ci en optant pour une forme moins consensuelle que Jusqu’à la garde, laquelle s’effaçait pour ne pas risquer de prendre le pas sur la charge émotionnelle que son sujet comportait, misant bien davantage sur l’interprétation de Léa Drucker (et de Ménochet), le contraste entre leur deux physionomies, et quelques scènes brutales au milieu de larmes et de cris. De fait, nous attendions le réalisateur français, d’autant plus qu’il fut multirécompensé sur la scène internationale comme nationale, essentiellement sur cet aspect artistique, et n’aurions pas apprécier que Le successeur ne s’aventure pas sur le terrain de jeu esthétique, qu’il se contente de raconter par le texte, les faits, les gestes et les regards. La scène liminaire nous rassure rapidement, quoi qu’elle s’étire un peu trop, Legrand vise effectivement à faire parler ses images de façon symbolique, à introduire son sujet non par une narration ou une mise en situation directe, mais par, ce que l’on imagine alors, une métaphore. Puis, le récit s’invite, nous quittons Paris, le cercle fermé et élitiste de la mode, pour voyager de l’autre côté de l’atlantique, à Montréal. Nous quittons le présent, pour revenir sur le passé, nous quittons la surface, ce que notre héros paraît aux yeux du monde, pour commencer à découvrir son histoire personnelle, son rapport à son père, ses angoisses. Cette seconde partie s’étire avec un peu trop de méticulosité, le rythme en pâtit, mais cependant, une intrigue commence à s’installer, un virage radical se pressent. Sans parler de twist, en effet, le film prend alors une tournure bien différente, quittant une mise en place rigoriste, un rien fade, pour s’aventurer du côté du genre, du film d’horreur d’auteur dirons-nous. Il le fait de façon très maladroite, et manque de nous perdre définitivement en route, on craint alors que le virage pris, le peu de crédit qu’on lui accorde (on peut parler d’invraisemblance dans le comportement du personnage interprété par Grondin, mais aussi d’effets beaucoup trop vus dans les films de genre pour pouvoir produire le moindre effroi – en lieu et place quelques sourires) ne soit inéluctable et que notre avis sur le film en soit arrêté. Mais nous n’avions pas encore vu la dernière partie du film, provocante, intéressante sur le fond comme sur la forme, qui tente- et réussit – ce que trop peu de cinéastes n’osent, le brouillage de pistes, le champs contre champs, le clair obscur. Legrand se joue alors du malaise, et si la forme redevient non seulement intéressante (voire brillante par instant), elle permet surtout de remettre sur le devant de la scène l’interrogation principale qui traversait déjà Jusqu’à la garde, ici de façon bien plus subtile et indirecte, comment se peut-il que des personnes capables des pires abominations puissent aux yeux de certains passer pour des anges, et susciter autour d’eux sympathie et empathie, qu’on en vienne à excuser ou à renier leur part sombre. Quoi que le film soit inégal, il nous semble qu’en répétant le même motif (nous en venons à supposer qu’il s’y cache un message que le réalisateur transcode par rapport à son propre vécu), mais en le transposant et en prenant un parti pris formel, qui nous rappelle par instants le travail d’Haneke, qui par évidence déroutera ceux qui avaient apprécié la limpidité de Jusqu’à la garde, Xavier Legrand s’affirme peut être plus encore en cinéaste.

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