Présenté lors de la deuxième édition du festival Arte Kino, The last family est désormais distribué en salles depuis une semaine. Sans être d’ordre biographique, ce film trace le portrait d’une famille dysfonctionnelle et interroge sur le rôle des images d’un quotidien déréglé. Jan P. Matuszynski dénude de tout sentimentalisme son premier long-métrage de fiction et le dote d’une indéniable originalité et ambition tant sur le fond que sur la forme. La réussite du film tient aussi à la direction d’acteurs et à une gestion subtile des ruptures de ton.
Né en 1929, Zdzisław Beksiński, peintre surréaliste polonais connu pour ses inquiétantes œuvres post-apocalyptiques, vit avec sa femme Zofia, catholique convaincue, et leur fils impulsif et suicidaire Tomasz, célèbre animateur radio. Une histoire incroyable mais vraie filmée au plus près par la caméra de l’artiste devenue un membre de la famille à part entière et qui témoigne intimement des changements de la société polonaise dans la deuxième moitié du XXe siècle.
Jan P. Matuszynski retrace la vie du célèbre peintre polonais Zdzislaw Beksinski (Andrzej Seweryn) entouré de ses proches, notamment sa femme Zofia (Aleksandra Konieczna) et son fils Tomasz (Dawid Ogrodnik). Le peintre d’inspiration fantastique et post-apocalyptique n’est ainsi pas le sujet unique d’un film refusant de satisfaire aux critères des films biographiques. Nullement mondain et ayant vécu reclus la dernière partie de sa vie dans son appartement de Varsovie devenu son atelier de travail, Zdzislaw Beksinski ne joue d’autre rôle que celui qui était le sien, celui du patriarche de cette Last family.
Ni le parcours, ni le processus de création de l’artiste ne semblent motiver les intentions du cinéaste. Les tableaux composés par Beksinski ne constituent pas non plus l’argument central du film. Quelques-uns seront aperçus en toile de fond ou plus exactement en bordure du champ de la caméra, jamais plein cadre. Dans les faits, Matuszynski a opté pour la reconstitution d’une interview donnée par le peintre pour balayer, en flashbacks et sur une trentaine d’années, le quotidien d’une cellule familiale au bord de l’implosion.
The last family se décline ainsi en une sorte de chronique familiale à travers deux prismes, celui du cinéaste et celui du patriarche qui, peintre professionnel se doublait d’un vidéaste amateur et compulsif. Dans son film, Matuszynski intègre ainsi des vidéos super 8 reconstituées. Il procède donc à une double mise en abyme : celle de vidéos dans le film et celle de l’art pictural allégorique dans l’art de filmer le quotidien. De ce matériau hétéroclite – formats, grains et résolutions disparates -, ce jeune cinéaste polonais tire un film d’une extrême fluidité et, paradoxalement, d’une grande homogénéité. Il émane de sa mise en scène souvent astucieuse une grande maturité et une singularité de regard réjouissante.
L’étroitesse des lieux proposés par l’appartement familial figure l’enfermement des protagonistes. Matuszynski exploite avec une grande maîtrise les embrasures de portes, le confinement d’un couloir ou d’un hall d’entrée dans ses sur-cadrages. La caméra, toujours discrète, parvient à se faire oublier des acteurs. La prédilection de plans serrés tend à rendre imperceptibles les raccords entre les séquences.
D’abord déstabilisante, cette scénographie convainc vite par l’hyperréalisme produit vecteur d’une authenticité rare mâtinée d’abstraction. The last family prend ainsi les allures d’une stupéfiante plongée documentaire et intime dans un quotidien déréglé. Le film semble lorgner vers une sorte de téléréalité réduite au noyau familial mais avec des qualités formelles dignes du grand écran. Une biographie familiale en version « cinéréalité » qui ne dérive jamais vers un objet filmique conceptuel ou théorique.
Chaque membre de la famille Beksinski est tout à la fois héros et personnage secondaire. En premier lieu, Zdzislaw Beksinski, patriarche fantasque et libertaire scrute sans aucune pudeur son entourage à travers l’objectif de sa caméra vidéo. Zofia son épouse, dévote et discrète, tend à s’éclipser peu à peu. Enfin Tomasz, fils névrosé et autodestructeur vit dans l’ombre de la célébrité de son géniteur. Il trouvera, pour un temps, une part de lumière en animateur radiophonique. Autant de personnages réels très caractérisés, unis et… solitaires. Soulignons ici la qualité des interprétations et en particulier la performance d’acteur de Dawid Ogrodnik. Son intense prestation, toute en imprévisibilité et sauvagerie mais jamais outrancière, colle parfaitement au personnage de Tomasz qu’il interprète.
Sous nos yeux, une cellule familiale dysfonctionnelle se délite peu à peu et entraîne avec elle l’extinction de ses membres. Ici, le récit de la vie chaotique d’une famille rentre en collision avec des destins passionnels mais dramatiques dans le flux d’un quotidien continuellement dédramatisé. La mort dans son entière fatalité est jaugée avec la plus grande irrévérence et sans détour. Ainsi The last family demeure imprévisible et surprend à chaque instant. Les ruptures de ton et d’atmosphère ainsi que les touches d’humour froid et cinglant contribuent aussi à la réussite d’un premier film inattendu et remarquable. Nous voilà déjà impatients de nous délecter des prochaines réalisations de ce jeune cinéaste polonais, Jan P. Matuszynski.
Soyez le premier a laisser un commentaire