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Maria, un hommage féministe

Avec son nouveau film, Jessica Palud, s’est lancée dans une entreprise ambitieuse : remettre l’histoire de Maria Schneider sous le feu des projecteurs. Seulement cette fois-ci, avec l’intention d’aborder son point de vue à elle.

Si l’histoire de Maria Schneider est connue de beaucoup, elle est toute nouvelle pour les jeunes générations, ces dernières constituant pourtant la quatrième vague du féminisme. Alors que le mouvement MeTooCinéma s’établit enfin en France, et que des voix s’élèvent, ce film, nous rappelle que d’autres avaient parlé, bien avant, sans obtenir d’écoute.

Jessica Palud s’est librement inspirée du livre Tu t’appelais Maria, écrit par Vanessa Schneider, pour nourrir son film. Elle s’appuie pour cela sur un casting très réussi qui permet une immersion complète dans l’histoire. Ainsi, la magnétique Anamaria Vartolomei incarne avec justesse Maria Schneider, à ses côtés, Matt Dillon s’avère bluffant dans le rôle de Marlon Brando, et convainc le spectateur.

Le film s’intéresse aux étapes cruciales de la vie de Maria Schneider , de ses premiers pas d’actrice jusqu’à l’apogée de sa carrière. Dépeinte comme une battante, elle traverse pourtant des moments de doutes et de désespoirs. Jessica Palud explore ici habilement les émotions humaines, elle s’intéresse au traumatisme subie par Maria Schneider lors du tournage du Dernier Tango à Paris – elle y fut victime d’un viol – et aux répercussions plus générales du rôle – elle fut trop souvent, par la suite, ramenée à ce personnage de Jeanne. Maria vise juste, de manière émouvante, et provoquera certainement la compassion des spectateurs. La cinéaste française ne s’érige pas en juge suprême mais agit plutôt comme le ferait une psychanalyste, en usant de plans rapprochés, ne laissant pas de place au doute quant aux émotions traversées par Maria Schneider. Construit comme un hommage à Maria Schneider, le film distille son message, politique.

Jessica Palud souligne une âpre réalité, une vérité crue, qui fait mal. En effet, Maria livre un commentaire cynique sur le monde du cinéma, dans lequel personne ne se considère coupable, surtout pas un homme, surtout pas un acteur – Marlon Brando, charismatique, célèbre et aimé de tous – surtout pas un réalisateur annoncé brillant – Bernardo Bertolucci . « Ce n’est que du cinéma », dira sans remords ni compassion Marlon Brando à Maria Schneider dans les secondes qui suivent la scène de viol.

Quoi que les faits se déroulent dans les années 70-80, Maria sonne tout à la fois moderne et brûlant d’actualité quant au message qu’il véhicule. Maria Schneider, à l’esprit libre et avant-gardiste, fut clairvoyante sur la place des femmes dans le cinéma: certaines de ces déclarations paraissent tout droit sorti d’un livre féministe contemporain. Ainsi vivait-elle très mal d’être trop souvent réduite à son corps et de ne se voir proposer que des rôles érotiques. Jessica Palud s’en saisit, et restitue des interviews d’époque où la jeune Maria exaspérée en devient vindicative. De la sorte, Jessica Palud s’adresse principalement à deux publics: celui au fait de la biographie de Maria Schneider et celui sensible à la cause féministe.

Si le film résonne autant en nous, il le doit à la description précise de la loi du silence qui règne en maître dans le monde du cinéma : à l’époque, il faut se taire pour espérer une carrière.

La réalisatrice transmet parfaitement le schéma d’invisibilisation et l’effrayant mécanisme de culpabilisation des victimes de viol, tus à l’époque. En mettant en image et en mouvement le sexisme, les préjugés virulents sur les femmes – à l’issue du dernier Tango à Paris, Maria Schneider fut moquée par le public et les médias tandis que Marlon Brando et Bernardo Bertolucci prenaient la lumière- , Jessica Palud questionne les travers de l’industrie du cinéma toute puissante, la société toute entière, et permet une meilleure appréhension des troubles traversés par Maria Schneider.

La cinéaste prend le risque de retranscrire, frontalement à l’écran, la scène tournée par Bertolucci dans le dernier Tango à Paris, où Marlon Brando se saisit d’une motte de beurre et glisse sa main dans la culotte de Maria Schneider. Elle nous donne à voir une scène d’une violence inouïe, un viol. L’effroi de Maria Schneider, ses pleurs, en contraste du silence sur le plateau, nous marquent. La réalisatrice s’attarde alors sur le visage de chaque personne qui comprend ce qui vient de se passer, et nous met tout à la fois dans la peau de l’actrice, exposée aux yeux de tous, mais aussi dans celle des témoins, immobiles et silencieux. La scène reproduite frappe en ce qu’elle constitue le contre-champ de celle tournée par Bertolucci. De plus, là où Bertolucci proposent de nombreux plans d’ensemble, en plongée, soulignant le caractère dominateur du personnage joué par Brando, épousant sa toute puissance et son regard sur Jeanne, Jessica Palud, a contrario, se focalise sur le visage de Maria, ses expressions, ses larmes, plus tard son sentiment d’avoir été trahie. Lui s’intéresse à montrer l’humiliation que vit Jeanne, Palud met elle l’accent tout entier sur l’humiliation de Maria Schneider et le viol commis par Brando.

Jessica Palud ne pouvait offrir meilleur hommage qu’un film au message éminemment féministe, dédié à une femme, une actrice, qui n’attendait qu’une chose : la reconnaissance de sa parole.

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