Mis à jour le 5 février, 2015
Avec Men, Women and Children , Jason Reitman confirme, 7 ans après Juno, 5 ans après In the Air.
Jason Reitman s’est d’abord illustré jeune en tant qu’acteur dans les films de son père, Ivan Reitman, à qui l’on doit entre autres Ghostbuster, Jumeaux, Un flic à la maternelle et plus récemment Sex Friends. Puis son prénom s’est imposé en tant que jeune réalisateur avec lequel il faut compter avec le très sensible, et fin Juno, archétype du film indépendant américain s’il en est. Vint deux ans plus tard In the air, à la tonalité humoristique singulière, plutôt consistant, sans que l’on puisse cependant considérer l’oeuvre majeure. Ses deux films suivants, Young Adult avec Charlize Theron et Last days of summer avec Kate Winslet, passèrent plus inaperçus. Men, Women and Children marque pour nous un virage plus qu’intéressant dans sa filmographie, revenant à une signature « film indépendant américain » dans ce qu’elle a de plus noble.
Adapté du roman éponyme, Men, Women and Children embrasse l’objectif de narrer l’histoire de lycéens et de leurs relations avec leur parents: Tim Mooney quitte l’équipe alors qu’il en est la vedette, Don et Rachel Truby ont des difficultés dans leur couple. Anna Smith espionne les communications de sa fille. Au casting, on retrouve Adam Sandler que l’on ne présente plus, Rosemarie DeWitt une figure de plus en plus présente dans le cinéma américain notamment indépendant (My sister’s sister, Rachel se marie entre autres), Jennifer Garner, déjà au casting de Juno, Judy Greer ou encore cet acteur passé par nombre de séries américaines dont Breaking Bad, Dean Norris.
La sortie du film aux Etats-Unis fut un échec commercial et pourtant, Men, Women and Children présente nombre de qualités rares. Sur la forme pour commencer, Reitman choisit le film choral et il en manie les codes avec un talent irréfutable, trouvant l’équilibre nécessaire au rythme du récit, proposant une forme de musicalité manifeste. Nous passons d’un personnage à l’autre, d’une scène à une autre avec plaisir et impatience: le plaisir de retrouver l’évolution d’une situation laissée en suspend, l’impatience de connaître l’évolution de celle que l’on vient de quitter, que ce soient un épisode purement factuel comme une situation psychologique. Les personnages sont habités, vivants, traités de manière équitable, ils forment un tout. Parmi ces personnages, pourtant un se dégage plus que les autres, la musique. Jason Reitman en use non seulement à bon escient, mais au contraire de ce qui se voit le plus fréquemment, il lui accorde une place de premier choix. Ainsi prend-t-il très souvent le parti de ne pas couper un morceau de façon abrupte.
S’il est difficile de définir l’art, de la distinguer de la simple maîtrise technique, une piste est probablement à chercher du côté de la capacité d’une oeuvre à faire ressortir des vérités au delà d’elle même, qu’elles soient historiques ou générationnelles (la peinture d’une époque), purement esthétiques, ou émotionnelles.
Nous n’irons pas jusqu’à dire que Men, Women and Children est une oeuvre d’art à part entière, sans parler de dimension commerciale, le propos est à des fins principalement narratives et non conceptuelles. Ceci étant dit, Jason Reitman parvient à nous toucher d’une part, au détour d’un portrait sensible, d’une larme qui coule, d’un amour manqué, d’une différence, d’une sensibilité, et d’autre part, il parvient à traduire une époque, étonne par son acuité, sa qualité d’observation. L’écriture est nuancée, mais sans mièvrerie. Le regard porté est ambivalent, aimant, a minima tendre, et désabusé. On pense par instant à Todd Solondz dans cette volonté de faire ressortir la cruauté, la monstruosité des comportements de masse, dans une période de vie où certains se cherchent, ont des difficultés à assumer leur singularité, quand d’autres s’affirment par le vide et l’imitation de l’autre.
Si le récit ne saisit pas d’entrée, la faute probablement à une volonté de s’inscrire dans une époque hyper-connectée, et à en faire montre, il prend de l’épaisseur au fur et à mesure qu’il nous semble mieux connaître chacun des personnages, et plus précisément leurs failles.
De cet inventaire singulier, de cet enchevêtrement surprenant, naît un des films les plus intéressants qu’il nous ait été donné de voir ces derniers mois.
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