Mis à jour le 12 avril, 2019
Panorama sur la ville de Lyon. Le point de vue est comme vient du ciel, ou plutôt de la lentille insérée sur l’archevêché qui domine le paysage. La première partie de Grâce à Dieu (François Ozon, 2019) sera toute entière consacrée à la valeur de ce prisme spirituel.
Tempête sereine
Le secret révélé par Alexandre Guérin (Melvile Poupaud) dès les premières images du film prend la forme d’une confession. Les souvenirs des attouchements subis restent cloisonnés derrière les portes des monuments sacrés. Le rythme est lent, pesant, institutionnel. Le parcours du personnage est marqué par la présence d’une bande-sonore faisant entendre en off le flux continu de ses échanges épistolaires avec l’Église. Salutations distinguées et autres formules de politesse mènent la danse. Le problème, comprend-on, se règle d’abord dans le cercle du sacré. Alexandre en tout cas y croit dur comme fer.
Mais si Dieu écoute, peut-être, il ne répond pas. Les mains sont jointes, les yeux baissés, soumis aux sempiternelles expressions d’un divin trop charnel pour être (ir)réel.
Aux corps et aux consciences meurtris répond le ton savamment maniéré des hommes de foi. La sérénité qui imprègne leurs visages et affecte leurs postures nourrit la frustration d’une victime obligée de communier avec son bourreau. C’est le culte du non-dit qui prime et qui structure les fondations d’un système tentaculaire que Ozon décrit avec une remarquable lucidité. Face à sa caméra l’environnement épiscopal prend la forme d’un univers ubuesque substituant à la résolution concrète du conflit l’hypothétique infini de la trinité.
Ne craignons pas l’usage de formules et d’expressions, le vocable religieux en est plein. C’est bien un dialogue de sourds qui est représenté ici, un silence dont l’apparente dorure dissimule ses écailles derrière l’omniprésence du faste cérémonial. Luxure des costumes, peintures sacrées et autres allégories dissimulent un secret de polichinelle. La Faute apparaît aux yeux de tous mais reste fatalement tue. L’ironie se drappe des oripeaux du tragique, tandis que le culte se régénère sans cesse auprès d’un plan unique, absous de tout contre-champ réflexif. Pour que celui-ci advienne, il faut que le cadre s’élargisse et que l’on se décide enfin à ouvrir les portes du sanctuaire.
La Chute
Des hommes de foi aux autorités judiciaires, le secret d’Alexandre a changé de main. Le silence se brise sur les falaises d’un rivage qui accueille de nouveaux visages au traumatisme commun. Confrontés à la vérité de leur passé, François (Denis Ménochet), Gilles (Éric Caravaca) et Emmanuel (Swann Arlaud) sortent d’un long sommeil. Leurs yeux sont à présent ouverts, et fixent le précipice. Le jeu de la représentation stoppe net, rattrapé par le vertige du profane le plus terre à terre. Séquences de cartoons et imagerie médicale remplacent les peintures pieuses, la confession se transforme en une déposition. Les langues se délient, les corps aussi, à l’image de la réalisation de Ozon qui adopte un nouveau tempo moins régulier, plus physique et authentique. Aux compositions harmonieuses du début répond un montage choral qui évite soigneusement les raccords trop travaillés pour souligner les marques d’une rupture fédératrice. Les différences sociales ou morales des protagonistes du drame s’estompent au contact de flash-backs qui affirment le partage d’une mémoire hantée par l’invisible d’un hors-champ qu’il s’agit d’expier par la parole.
Bien que le rythme premier chute, il ne s’efface pas pourtant. Ozon cherche en effet à exposer le choc induit par la rencontre de ces dynamiques contraires. Car si la langue des victimes se libèrent, celle des bourreaux fourchent à travers l’expression d’un lapsus – « grâce à Dieu » – qui révèle l’hypocrisie du prétendu messager de la bonne parole.
La tempête ne fait que débuter. Face à l’abîme du mutisme ecclésiastique, Alexandre, Emmanuel, Gilles et François dressent à présent le regard. Le point de vue a changé de camp. À l’artificielle immanence de la vision surplombante qui introduisait le film répond la contre-plongée d’une humanité assurée dans la solidité de sa lutte. La question de la croyance reste quant à elle en suspens. À défaut de Dieu.
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