Chernobyl est une excellente mini-série diffusée par OCS et plusieurs services de VOD. Le cinéaste suédois Johan Renck met en images en cinq épisodes cumulant cinq heures et demi de visionnement un récit implacable de Craig Mazin. Cette fiction sur la catastrophe nucléaire de Tchernobyl animée d’un souci constant du détail bénéficie d’une précision quasi documentaire. Il émane de ce récit-catastrophe en forme de chronique glaçante un effet de réel saisissant, captivant, fascinant.
26 avril 1986, l’histoire vraie de la pire catastrophe causée par l’homme et de ceux qui ont sacrifié leur vie pour sauver l’Europe du drame. L’explosion d’un réacteur à la centrale nucléaire de Chernobyl, en Ukraine, a de terribles conséquences aussi bien sur le personnel de l’usine, que sur les équipes de secours, la population et l’environnement.
Trouver des défauts à la mini-série Chernobyl n’est pas chose aisée. Cette série produite par les chaînes américaine HBO et britannique Sky est animée d’un casting anglo-américain. Le spectateur doit donc passer outre le fait que les personnages, qui n’ont de russe que leur identité, parlent parfaitement anglais sans le moindre accent slave en terres russophones. La langue russe est ainsi peu entendue, encore moins sous-titrée. Elle n’est d’ailleurs jamais prononcée par un protagoniste mais par une voix off, des messages radiophoniques ou télévisés, etc.
Craig Mazin fait le récit chronologique du drame de Tchernobyl. L’auteur a réarrangé la chronologie réelle pour servir la dramaturgie de sa narration. Il fait aussi quelques emprunts à la catastrophe de Fukushima. <Spoiler ON> Par exemple, sur la période relatée, la contamination de la nappe phréatique sous les lieux du drame n’a jamais été un risque identifié à Tchernobyl. <Spoiler OFF> Enfin, comme il n’existe aucun chiffre officiel crédible, d’autres sont avancés dont il est difficile d’estimer la justesse et la pertinence. Le post-scriptum final semble notamment en partie gonflé.
Le découpage en cinq parties est pertinent ce dont peu de séries peuvent se vanter. Les faits et leurs conséquences sont donc traités dans leur stricte chronologie. La narration démarre la nuit du drame (le 26 avril 1986) et s’étend sur deux ans et un jour. Les deux premiers volets amorcent le récit d’événements fuyants dont les responsables chercheront à masquer la gravité et à limiter les conséquences autant que possible. Les dates défilent à l’écran. Les chiffres enflent et font froid dans le dos.
Le volet central est terrassant. L’ultime segment prend la forme d’un réquisitoire magistral constellé de plusieurs flash-backs venant rompre la narration chronologique observée jusqu’ici. Cet ultime épisode, démonstration scientifique édifiante, emprunte et inverse le canevas narratif du premier. Sur l’échelle du temps, le prologue testamentaire du premier épisode est la dernière scène de la série (flash-forward), celui du dernier épisode est la première scène du récit (flash-back). Notons au passage que le prologue qui emprunte aux codes des films d’espionnage du premier épisode est un condensé de l’arc narratif de toute la série. Au milieu de tant de mensonges, la vérité peut-elle exister et la justice peut-elle être prononcée ?
Outre un récit précis, implacable et sans temps mort, Chernobyl bénéficie d’un remarquable habillage sonore dont la justesse et la discrétion servent grandement la dramaturgie qui inexorablement s’étend. Ainsi et entre autres, les crépitements croissants d’un compteur Geiger entêtent, la respiration décroissante d’un jeune homme en fin de vie hante. La reconstitution méthodique de la catastrophe, de ses causes et de ses conséquences associée aux aspects formels visant à restituer fidèlement l’atmosphère soviétique des années 1980 confèrent à la mini-série une tonalité particulière. Les points de vue, qu’ils soient intérieurs ou extérieurs à la catastrophe, servent le propos et participent à l’effet immersif proposé par Johan Renck. Le réalisme qui en découle rend certaines scènes encore plus difficilement supportables.
Tous les personnages mis en scène sont inspirés de protagonistes réels à l’exception de la physicienne nucléaire interprétée par Emily Watson. L’actrice anglaise figure les dizaines de scientifiques qui ont aidé pendant toute la crise. Plus de vingt ans après Breaking the waves (1996, Lars von Trier), elle retrouve devant l’écran Stellan Skarsgård. Leurs interprétations sont solides et impeccables. Mais c’est cependant la trajectoire du spécialiste des RKMB (réacteur nucléaire russe de deuxième génération) interprété par Jared Harris qui intéresse le plus. L’acteur anglais s’y montre tout particulièrement à son avantage.
Paradoxalement, Chernobyl ne répond pas aux codes du film catastrophe mais à ceux des enquêtes scientifiques et des thrillers politiques. Mazin s’est notamment appuyé sur les témoignages recueillis par la Prix Nobel Svetlana Aleksievitch dans La supplication que Pol Cruchten, réalisateur luxembourgeois récemment disparu, avait porté à l’écran en 2016 sous le même titre (Un monde en supplice). Le scénariste américain laisse une porte ouverte à une possible seconde saison. <Spoiler ON> Quel est le contenu des six cassettes audio ? Quels sont leurs destinataires ? <Spoiler OFF>
Soyez le premier a laisser un commentaire