Mis à jour le 29 janvier, 2017
Quatre-vingt-dix minutes, soit le temps pris par un trajet automobile, un voyage jusqu’à Londres où se croiseront l’origine et le néant, une faute et sa rédemption. Quatre-vingt-dix minutes, c’est aussi la durée de Locke, second long métrage réalisé par Steven Knight, scénariste et cinéaste anglais reconnu pour ses collaborations avec Stephen Frears (Dirty Pretty Things, 2002), et David Cronenberg (Les Promesses de l’ombre, 2007). Récompensé pour son scénario aux British Independent Film Awards, Locke est aussi et surtout une œuvre d’images.
Un espace intérieur
L’argument de Locke est simple. Ivan Locke (Tom Hardy) est un entrepreneur sortant d’un chantier pour retrouver sa famille. Soudain, son clignotant s’allume et Ivan change de route. Sa destination ? Un hôpital où l’attend une femme qui s’apprête à accoucher de son enfant. Ivan a fauté et il le sait, prêt à assumer ses responsabilités, le héros devra depuis le téléphone de sa voiture répondre de sa décision auprès de son épouse, de ses enfants, de ses collègues de travail. Ivan ne les abandonne pas, non, mais veut réparer une erreur, combler une absence qu’il a trop bien connu. Pour Knight, le traitement prend d’abord la forme d’un exercice : filmer pendant une heure trente un homme seul au volant de sa voiture. Aidée par le chef opérateur Haris Zambarloukos, la mise en scène évite l’écueil de la démonstration ou du tour de force stérile (intégrer du spectaculaire dans une situation plus qu’ordinaire). Ce sont les couleurs de la circulation qui rythment l’intrigue, les reflets projetés sur les vitres de la voiture, le visage stoïque, triste ou euphorique de l’unique protagoniste de ce drame intimiste. L’intériorité est double, littérale d’abord par le huis clos, réflexive ensuite par la dimension hypnotique des images transportant Ivan à l’intérieur de ses souvenirs. Le héros est prisonnier, enfermé comme le signale son patronyme (« lock » en anglais signifie « enfermé ») dans un espace prenant progressivement la forme d’un achèvement.
Réminiscences cinématographiques
Ivan fixe le rétroviseur et entretient un dialogue imaginaire avec son père. Le spectateur pense immédiatement à Travis Bickle (Robert De Niro), le conducteur de Taxi Driver (Martin Scorsese, 1976). Les deux personnages partagent la même solitude et le même goût d’absolu. Ivan répète les mêmes mots, inlassablement, comme pour se donner le courage de continuer. Son refus de répéter les erreurs du passé empêche le demi-tour, l’arrêt brutal sur une bande d’autoroute. Ce sont les images et les voix du hors-champ qui racontent l’histoire de Ivan dont l’immobilité l’apparente au spectateur voyant défiler devant lui un destin qu’il ne peut atteindre sinon à distance. Les formes chromatiques surgissant de l’obscurité, sublimant l’avancée du périple solitaire, font songer aux étoiles et aux couleurs psychédéliques du 2001, l’Odyssée de l’espace (1968) de Stanley Kubrick. Les nombreux fondus enchaînés confondent le visage du héros et la route qu’il emprunte. C’est un mouvement continu qui le tient et l’emporte, celui du road movie bien sûr, mais celui du Cinéma aussi.
Les quatre-vingt-dix minutes s’achèveront en un cri, signal du recommencement. Le héros reprend la route, le but est atteint. Le plan général rétablit l’horizon et sa relativité naturelle comme définit par Jacques Derrida : « Un horizon, comme son nom l’indique en grec, c’est à la fois l’ouverture et la limite de l’ouverture qui définit soit un progrès infini soit une attente. »(1)
(1)Jacques Derrida, Force de la loi. Le « fondement mystique de l’autorité », Paris, Galilée, 1994, p. 57.
Soyez le premier a laisser un commentaire