Last updated on 24 février, 2021
Une reflexion (accessible) sur le cinéma
A l’instar de Godard, Paul Schrader nous livre ce message : le cinéma est mort. Plus personne ne va voir un film au cinéma. Pour preuve, ces magnifiques photos, au générique, de cinéma fantômes, délabrés, abandonnés. Pas des cinéma d’Art et Essai, mais bel et bien des cinémas populaires, où l’on vent du pop -corn pour regarder le dernier Disney. Les personnages du film, qui sont arrivés à Los Angeles dans l’ambition du cinéma, ne vont pas au cinéma, qu’il soient acteurs, producteurs ou réalisateurs.
The Canyons, par sa conception même, a joué sur cette donne : il a été financé par crowd-founding (des donations internet) et distribué en VOD dès sa sortie, car pour Schrader, les films ne se voient hélas plus au cinéma.
Cela dit, il a changé d’avis en venant récemment promouvoir son film en France. Ainsi son pessimisme a vacillé. Et pas seulement parce que son film est très largement distribué en salle et qu’il est ici considéré comme une oeuvre-d’art. Voici ce que le cinéaste a écrit dans son facebook personnel : « Je suis à Paris. J’ai l’impression d’avoir fait un voyage dans le temps. Ici, les gens lisent des journaux le matin, ils achètent des magazines, s’habillent joliment, vont dans les librairie et au cinéma et utilisent des cabines téléphoniques. Oh my Dieu ! C’est la quatrième dimension ! «
Un film déjà culte
En plus d’être le scénariste de Taxi Driver (scénario autobiographique, soit dit en passant*), Paul Schrader est l’auteur d’au moins deux films culte : La féline et American Gigolo. Avec The Canyons, ça en fait trois.
Un film à voir sur grand écran
Le film est diffusé sur plus d’écrans en France que lors de sa sortie en salle aux Etats-Unis il y a un an. Triste constat. Il faut dire aussi que le cinéma indépendant n’a plus guère de droit de vie au pays de l’oncle Sam mais aussi que les concepteurs du film avaient prévu de le sortir à la fois en salle et en VOD. Certains français l’ont donc vu sur petit écran, croyant que jamais le film ne serait distribué en France.
Mais, à moins que vous ne disposiez d’un home cinéma de luxe, il est grandement important de voir un tel film sur grand écran. La beauté et l’impact d’un film n’est jamais aussi grande que dans un cinéma.
Hyper écriture
A l’image d’un Social Network, les dialogues sont ultra écrits, tout en étant naturels, et ce par un des plus grands écrivains contemporains : Bret Easton Ellis. Ce dernier a employé une méthode scénaristique empruntée à Jean Renoir, celle des “triangles rotatifs”, technique qui réunit en deux groupes de trois protagonistes cinq personnages d’un récit avec l’un d’entre eux en point commun.
Que ce soit les dialogues ou l’intrigue, le pari est gagné. ce n’est pas un film d’écrivain, mais bien un matériau purement cinématographique.
La musique électro vintage, façon Drive, est un personnage à part entière et résonne de manière entêtante dans nos têtes.
Le rôle de la vie de Lindsay Lohan.
On ne l’avait pas vue dans un premier rôle depuis une dizaine d’années. Le rôle qu’elle joue est une mise en abyme sur elle-même, comme l’était celui de Romy Schneider dans L’important c’est d’aimer. Lohan, selon Schrader et Ellis, s’est comportée en diva comme Liz Taylor (qu’elle a par ailleurs incarné pour le petit écran), imprévisible et désaxée comme Marilyn. Un cauchemar de cinéaste.
Mais elle livre l’une de ses plus belles performance. Elle était encore sous l’emprise de la dépendance alcoolique durant le tournage, mais même (ou surtout ?) ivre, elle livre une matière vive et un jeu bouleversant.
Par ailleurs, c’est une immense… maquilleuse : tout les fards qu’elle arbore dans le film sont de sa confection -et elle a le trait d’eye-liner sûr. Elle a été sa propre coiffeuse et habilleuse durant le film (tout comme ses collègues) et sa dextérité dans ces domaines sont impressionnants.
Dernier rôle ?
Il est possible que vous ne voyez plus guère Lindsay Lohan au cinéma. Du fait de son chaos intérieur et de sa réputation, personne ne veut assurer les films dans lesquels elle joue. D’ailleurs Paul Schrader lui a dit durant le tournage : « Ce doit être épuisant d’être toi ! » Depuis, elle a joué son propre rôle dans une télé réalité. Une émission sans intérêt qui n’accroche guère le spectateur. Car tout se sait sur elle et ce depuis longtemps. Une seule de ses journées donne lieu à 10 sujets people différents. Question accroche, il se produit le contraire de The Canyons. Lohan semble ne briller que sous la caméra des cinéastes et elle n’est jamais aussi intéressante que lorsqu’elle est filmée et exploitée artistiquement. Le cinéma est décidément son habitat naturel. Tragiquement, il se peut que The Canyons soit son dernier film.
Terrifiant
James Deen, acteur porno de son emploi, joue étonnamment bien -et pas dans les scènes hot, mais surtout dans les autres. Il est particulièrement terrifiant, sans rien faire, juste par sa manière de dire ses répliques, de regarder. C’est paradoxalement dans la scène qui devrait être la plus violente que le personnage fait le moins peur, peut-être parce que la mise en scène gore a poussé le bouchon très très loin avec des cinéastes, tel Nicolas Winding Refn, qui en ont fait leur spécialité.
Chirurgie
Le visage d’un acteur est son outil. Quand l’acteur abîme son outil de travail par vanité ou auto-destruction, tout son jeu en pâtit, d’autant que peu de gens, dans « la vraie vie », ont le visage refait. Dans l’histoire et le contexte de ce Canyons, le fait que certains aient le visage et le corps refaits est une chose… tout à fait naturelle. On ne compte plus le nombre de visages artificiels dans la cité des Anges. Ainsi les pommettes et les lèvres gonflées de Lindsay Lohan, sa poitrine lourde viennent servir et consolider son personnage. De même, le front parfaitement lisse -voire paralysé- de Tenille Houston, ainsi que sa poitrine par trop développée ne déparent pas dans une ville et un milieu où tout cela n’est que la normalité.
Sexe, mensonges et vidéo
Palme d’or qui fit connaître Soderbergh au monde entier, Sexe, mensonge et vidéos jouait sur la perversité de l’âme humaine, la sexualité et leur corruption par la technologie : une caméra pour Soderbergh ; internet et les smartphones dans The Canyons.
80’s is not dead
Sons synthétiques, esthétiques du corps, beauté à la fois tapageuses et cheap à la fois, The Canyons a des airs de film des années 80. Peu étonnant de la part de deux icônes eighties : Paul Schrader et Bret Easton Ellis. Mais The Canyons ne garde que le meilleur de ces années-là, tout comme Drive. Ce qui était conspué dans les années 90 est hype dans les années 2010.
La philosophie de l’ennui
Les protagonistes ressemblent parfaitement aux personnages de Moravia. Paul Schrader les a ainsi définis : « J’ai dit à mes acteurs que le film, c’était l’histoire de gamins de Los Angeles d’une vingtaine d’années, qui sortent pour aller au cinéma et qui trouvent le cinéma fermé quand ils arrivent. Mais ils restent quand même devant, à faire la queue, parce qu’ils n’ont nulle part où aller. » Il dit aussi qu’il s’agit d’une chose propre à cette génération. Et pourtant, devant The Canyons, on pense aux Indifférents, mais aussi à L’ennui d’Alberto Moravia. L’état d’esprit des personnages rappelle aussi celui des anti-héros d’Antonioni, notamment ceux de L’éclipse : un rendez-vous fixé auquel ni l’homme ni la femme ne se rendront. Un spleen, une insensibilité et une apathie qui donc n’est pas le fruit de notre époque. On pense aussi à des kids de Larry Clark qui auraient grandi, vieux vingtenaires trash et désabusés. De même, on pense à Harmony Korine et à l’esthétique flashy-rose-bonbon de Spring Breakers.
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