The Apprentice revient sur la vie de Donald Trump pendant ses jeunes années en tant qu’entrepreneur immobilier. Il s’agit de la période pendant laquelle Trump fait ses premiers pas dans l’entreprenariat, secteur en perpétuelle évolution. Il commence alors à fonder son empire immobilier avec l’aide de son mentor, l’influent et brillant/illustre avocat Roy Cohn.
Ali Abassi revenait au festival de Cannes (après Border et les Nuits de Massad, deux film qui lui ont valu récompense et notoriété internationale – respectivement Prix un Certain Regard et prix d’interprétation pour Zar Amir Ebrahimi), avec une proposition qui avant même d’être découverte faisait couler beaucoup d’encre. Il n’y a probablement que peu de hasard à ce que le film soit sorti sur nos écrans français quelques semaines avant l’élection américaine, qui devrait livrer son verdict mardi 5 Novembre. Le jeune réalisateur iranien s’attaque à un quasi mythe, un businessman qui ne craint rien, pas même la honte. Notre époque expose ouvertement la diversité d’opinions, accordant une moindre place à l’intelligentsia, au contrôle de l’opinion, peu avare d’ambivalences: la parole est libérée, l’accès à la culture, à la matière intellectuelle facilitée, quand elle fut jadis réservée à une élite, l’information plus facilement vérifiable et contredites, dans un flux d’images jadis inexistantes ou entre les mains de quelques puissants, des combats naissent contre des comportements qui n’ont que trop durer, galvanisant des luttes essentielles (écologie, féminisme, égalitarisme, pacifisme, …) mais pour autant, nous ne pouvons que constater un afflux de fausses informations, des campagnes de désinformations massives, un nivellement par le bas, un réflexe conservateur qui permet à des propos que l’on pensait appartenant à une siècle ancien et longtemps combattus, non seulement de refaire surface, mais aussi, de décomplexer des haters qui gagnent en légitimité, et en auditoire (racisme, extrême droitisation, masculinisme, volonté de faire taire les femmes, retour du religieux, remise en cause du droits à l’avortement, etc…). Cette époque, en contrepoint de la généralisation du capitalisme le plus libéral, valorise des « winners », l’esprit winner, encourage à la génération de monstres, prêt à tout pour réussir. Donald Trump se voit aujourd’hui tout autant raillé (il eut assurément été objet de moquerie partagé 20 ans plus tôt, aujourd’hui, le populisme faisant des miracles, on préfère étudier le phénomène), tout autant qu’adulé. Trump assurément s’est forgé dans l’opinion américaine une image de rock star, indestructible et collant si bien à l’American Dream …
Précédé d’une réputation de pamphlet anti Trump, de garde-fous, The Apprentice se devait, pensions-nous, d’adopter une forme radicale, d’appuyer son propos avec force, persuasion, d’éclairer des zones d’ombre sur le personnage, voire de révéler des scandales, tout en trouvant une forme, en conviant une esthétique qui puisse justifier d’une présence en compétition officielle à Cannes. Un fond d’exception, une forme d’exception. Mais, nos esprits s’étaient, avant même de découvrir le film, égarés dans cette fausse-piste (le film n’en manque pas): étonnamment, Ali Abassi nous propose un tout autre chemin, avec une hardiesse confondante.
Le portrait de Trump qu’il nous propose, très loin d’être au vitriol sur une personnalité pourtant caricaturale reprend, sur le fond, des initiatives comme The Social Network. Sur la forme, nous reconnaissons notamment un grain propre au nouvel Hollywood, lorsque New York brillant dans la nuit était filmée en pellicule. Construisant son récit entièrement comme une success story, Ali Abassi s’attèle à le mettre en image (ambiance eigthys, zooms, dézooms, en constant mouvement), en musique (New wave essentiellement), et en mots (rares sont les silences, rares sont les pensées profondes, plus fréquentes les petites phrases témoignant tantôt d’une pensée naïve, tantôt d’une idéologie profondément inscrite). Au choix, nous pouvons y percevoir un bon film rendant grâce à un style un rien passé de mode, ou un Dallas électrisé ce qu’il faut pour paraître plus profond qu’il n’est, divertir ce qu’il faut, mais aussi continuer d’entretenir l’Américan Dream tout en soulignant quelques conservatismes avec un rien d’humour saupoudré ici ou là.
Néanmoins, un Sidney Lumet (ou même un Scorcese, un Coppola, un Fincher plus sûrement, pour citer quelques rapprochement immédiats) ne serait probablement attaché à expliquer le virement méchant du personnage– quand l’élève dépasse le maître, mais attention ici sans rébellion, Trump n’est pas Dark Vador, soyons clairs, nous dit Abassi ! – par la chute du frère le plus faible qui entretient le « marche ou crève » de Donald. Pas plus qu’il n’aurait raconté les deux descentes aux enfers significatives du récit, celle du frère, Freddy Trump, qui déçoit ses parents à n’être qu’un pilote d’avion et qui en nourrit des démons destructeurs – là où Trump se tient droit – ou celle de l’avocat – le formateur bien aimée – de façon aussi accélérée !
The Apprentice marque cependant les esprits. Ce récit au premier degré appelle le spectateur à s’interroger sur ce qu’il voit: une critique contre Trump, un hommage à l’American Dream, un divertissement rondement mené, électrisant, un trompe l’œil – et l’esprit ? Un symbole porte ce questionnement plus qu’un autre, l’emprunt à Schubert, et in extenso à Kubrick, préfigurant que Trump après une vie victorieuse du fait de son caractère « résiliant » et volontaire, pourrait sombrer comme Barry Lyndon sombra, par orgueil et vanité.
Cinématographiquement, si l’on se détache du fond, Abassi avec The Apprentice propose en effet un objet qui nous renvoie résolument au cinéma américain, à l’industrie américaine tout autant qu’à sa frange indépendante (Scorcese comme Coppola pouvant aisément entrer dans les deux catégories, finalement, peu orthogonales). Il y fait preuve de qualités déjà aperçues dans la Nuit de Mashad: une mise en scène électrisante, une photographie soignée, une excellente direction d’acteur. Nous pensions à un prix d interprétation à Cannes pour Sebastian Stan, bien plus intéressant ici que dans A different man (que nous avons subit lors de la dernière Berlinale). Un Oscar l’attend peut-être, Hollywood aime que les interprètes se griment en monstres (sic). Un autre Oscar, pour le second rôle, reviendrait également légitimement à Jeremy Strong, tant les deux partitions qu’il tient (l’homme fort, puis l’homme affaibli) sonnent justes.
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