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Funny Games – L’amour du dispositif

Last updated on 29 mai, 2016

Que l’on aime ou non le cinéma de Michael Haneke, force est de constater que le réalisateur déploie un dispositif dont l’insolence n’a d’égale que la constance. Si celui-ci a quelque chose de choquant – au sens littéral : qui produit un choc – personne ne peut douter de sa puissance discursive. Du Septième continent (1989) à Amour (2012) c’est bien un discours qu’émet Haneke, un discours, cela s’entend, profondément cinématographique. Car du dispositif usité il faut souligner la qualité spatiale et temporelle. La ressortie en salles cette semaine de Funny Games (1997) était là pour nous le rappeler.

Pervertir le dispositif

De film en film, il revient, inlassablement. Le plan long, souvent statique, parfois mu par un léger panoramique. Stabilité, cohérence, voilà ce que convoque le cadre de Michael Haneke. Pour un temps seulement, cela va sans dire. Car la présence d’intrus dans le champ enclenche le basculement. Loin de disparaitre, le dispositif reste le même mais semble changé, comme modifié de l’intérieur par ses nouveaux occupants. En fait, ceux-ci ont bien compris son fonctionnement, au point de savoir parfaitement comment le pousser à ses termes, aux limites de son mécanisme fondateur. Il n’est jamais question de destruction chez Haneke, toujours d’implosion. Ce que les deux kidnappeurs (Arno Frisch et Frank Giering) de Funny Games font subir à leurs victimes n’est rien d’autre qu’une perversion de leurs principes structurants. Respect et politesse, règles communes d’un savoir-vivre ensemble. Aussi, déroger à l’une de ces règles équivaut à une punition. Une poignée de main refusée se voit réprimée par la violence. Serein, le duo criminel peut l’être puisqu’ils ne fait que se plier aux règles du cadre qu’ils sont venus habiter. Au père de famille (Ulrich Mühe) cherchant une raison à leur présence, le jeune homme débite une série de clichés. De raison, il n’y en a qu’une et c’est la raison elle-même, poussée à ses limites jusqu’au point d’en devenir absurde. L’acte criminel devient démonstration rhétorique.

En faisant subir à leurs victimes une série de jeux malsains, les deux hommes discutent du bien-fondé des principes structurant la vie en groupe, qu’elle soit celle de la famille ou de la société en générale. La raison se passe de morale, les arguments sont de son côté. Inutile de chercher dans l’entreprise de Haneke un quelconque point de vue idéologique, son cadre est essentiellement subversif.

La (re)présentation

Haneke présente d’abord. Une charmante famille allemande se rend dans sa maison de vacances. Un enfant, un chien, deux parents, des voisins, un bateau que l’on installe dans l’eau, un repas que l’on prépare. Tout cela est commun, (trop ?) quotidien. Rassurant, le dispositif n’en deviendra que plus inquiétant. La première violence sera de révéler l’envers du décor, de découvrir sa charge représentationnelle. Le huis-clos de Haneke c’est du Kammerspiel observé depuis le trou de la serrure, c’est-à-dire un Kammerspiel qui ose se (re)présenter dans son insularité de chambre. On a souvent retenu de Funny Games, le regard caméra adressé par l’un des tueurs au spectateur. Celui-ci s’intègre à une entreprise de déstructuration plus vaste encore. L’instauration du jeu dévoile le principe ludique – et donc fragile, puisque le jeu peut toujours être détourné – à la base du groupe familiale. Est-ce l’amour qui soude les membres d’une famille ? Non semble nous répondre Haneke, seulement les règles qui en structurent les rapports.

La forme elle-même se révèle par sa répétition incessante. Le passage du quotidien à l’inquiétant est d’autant plus sensible que le dispositif, lui, ne change pas. Le basculement fait voir la place de la caméra, c’est-à-dire la position du regard : celui du réalisateur, du tueur, du nôtre, spectateurs que nous sommes. Partant d’un système singulier, Haneke détourne – autant qu’il retourne – le dispositif cinématographique dans son ensemble. Démonstration magistrale.

Pour celles et ceux qui voudraient aller plus loin dans la découverte de ce dispositif singulier, on ne peut que leur conseiller de voir Funny Games U.S., remake américain réalisé en 2007 par Haneke lui-même. Rappelons aussi l’indispensable ouvrage d’entretiens de Michel Cieutat et Philippe Rouyer, Haneke par Haneke, publié chez Stock en 2012.

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