Paris, fin du 19ème siècle. Marie est une scientifique passionnée, qui a du mal à imposer ses idées et découvertes au sein d’une société dominée par les hommes. Avec Pierre Curie, un scientifique tout aussi chevronné, qui deviendra son époux, ils mènent leurs recherches sur la radioactivité et finissent par découvrir deux nouveaux éléments : le radium et le polonium. Cette découverte majeure leur vaut le prix Nobel et une renommée internationale. Mais après un tragique accident, Marie doit continuer ses recherches seule et faire face aux conséquences de ses découvertes sur le monde moderne…
Radioactive n’a pas été notre premier film en mode « déconfiné », notre hâte de fréquenter les salles obscures de nouveau, notre appétit de cinéma, nous aura d’abord égaré dans une séance de minuit des plus insipides, du côté d’un thriller coréen qui en épouse les codes avec tant d’application qu’il oublie parfaitement d’être intéressant voire même divertissant (Lucky Strike). Trois mois sans cinéma, nous aurions tant aimé reprendre notre plume pour vous faire partager un coup de cœur sincère et irradiant. D’autant qu’en général, nous nous sentons très libres de ne pas vous retransmettre les ondes négatives que l’on peut avoir ressenti en découvrant une oeuvre industrielle moyennasse, et préférons largement nous intéresser au singulier, à peser le pour et le contre, à nous interroger sur ce qui façonne nos goûts et peut, en rebond, vous interroger, vous faire réagir. D’une manière générale, nous faisons le choix de parler principalement de ce qui nous intéresse, et non de ce qui nous désintéresse. L’absence de critiques fait alors office de sanction implacable, nous jetons notre dévolu, concentrons notre énergie sur la défense d’un cinéma, et non la réprobation d’un autre.
Les cahiers du cinéma, dans le dernier numéro écrit par la rédaction historique, ont cherché à esquisser une réponse de ce que la critique est et doit être. L’art d’aimer, l’art d’aimer l’art d’aimer peut-on lire par exemple, ou bien encore, le refus de s’interdire un regard négatif, pour mieux interroger, pour mieux donner l’envie d’aimer. L’exercice de style ainsi pratiqué relevait ici probablement davantage de l’art philosophique – voir de l’exercice d’auto-persuasion, que de l’art critique en lui même, – un critique est-il bon philosophe – et doit-il l’être ? -mais parmi ses vertus, citons celle de nous inspirer, jusqu’à nous autoriser précisément un regard négatif assumé sur un film moyennement réussi, – ou moyennement raté- qui ne mérite certainement pas les foudres qui vont suivre. Non, Radioactive n’est pas un ratage total comme la liste des arguments négatifs que l’on s’apprête à énumérer pourrait laisser entendre. Il nous a simplement plutôt déçu dans son ensemble. La programmation post confinement étant altérée, le festival de Cannes n’ayant pas lieu, puisqu’il nous a tardé de pouvoir exercer de nouveau notre droit à la critique, le premier film qu’il nous a été donné de voir réellement en salle depuis un bail, bénéficie – oups- d’un traitement de défaveur particulièrement circonstancié. Nous ne serons donc pas indulgents avec le nouveau film de Marjane Satrapi, ce qui précisément, laisse une grande place à votre indulgence, à l’indulgence.
Une forme qui se veut ambitieuse
Les premiers plans de Radioactive se démarquent très ostensiblement des productions « classiques », le contraire nous aurait très surpris venant de Marjane Satrapi, que l’on sait fort ambitieuse, mais aussi très sûre de son art, très affirmée. Ces intentions nobles de vouloir proposer un ton, une couleur personnelle, d’imposer son style et non d’accepter d’épouser des codes qui ont fait leur preuve, et pourraient faciliter la création, se sont révéler des atouts indéniables lorsque Marjane Satrapi, alors bédéaste à succès, a su transposer son art graphique, son univers, au grand écran, avec le très réussi Persepolis. Depuis lors, il nous semble que le temps n’a pas produit nécessairement les effets que l’on aurait pu escompter, Poulet aux prunes était déjà bien moins bon, la suite de sa filmographie n’est pas resté dans nos mémoires. En somme, l’essai initial, qui aurait pu ranger Marjane Satrapi dans cette catégorie des cinéastes que l’on suit avec ferveur, dont on attend avec impatience les nouvelles envies, n’a pas été jusqu’à présent confirmé. Les belles intentions sont une chose, les résultats en sont une autre. Si ce n’est la technique narrative du flashback intégral qui se discerne explicitement, les dix premières minutes laissent entendre un traitement volontiers personnel, disons-le, à l’intention artistique manifeste. On imagine quelques secondes un maelstrom, un poème, ou même un opéra. Mais l’ambition se referme très vite sur elle même, à devenir prétention. Une autre couleur nous parvient; une impression de vide à combler, de rafistolage, de technique pour la technique – travelling vides de sens, multi-caméras offrant des vues plongeantes bien trop suggestives. Marjane Satrapi très vite pêche par trop grande certitude en son art, par manque de patience peut être, à trop vouloir en montrer à défaut de pouvoir en dire.
Une intention et un regard difficile à cerner, des thématiques qui s’entrecroisent
Pourquoi Satrapi s’est elle intéressée à Marie Curie ? Que cherchait-elle à communiquer à travers elle ? Une admiration, une interrogation ? Une réflexion sociétale ? Cherchait-elle à questionner cette figure souvent retenue pour mettre en avant la France, mais aussi, la cause féministe, à interroger l’histoire, le progrès ? Est-ce un film à l’honneur de Marie Curie, ou un film qui vise à la démystifier ? Satrapi veut-elle faire ressortir des ambivalences, une dualité, une complexité ? Aime-t-elle son personnage et veut-elle qu’on l’aime ? La recherche sur le nucléaire, c’est bien ou c’est pas bien ? A employer assez souvent un double ton, à ne pas trop chercher à se positionner ou à véhiculer un point de vue assumé, il nous est surtout donné à voir une histoire qui mélange tout et son contraire, avec parfois une naïveté assez consternante, comme par exemple la vulgarisation scientifique poussée à son extrême (le langage scientifique nous y reviendrons, ou encore ces insupportables messages subliminaux proposés à de nombreuses reprises par des prolepses sur la bombe nucléaire qui surgissent aux moments où Pierre et Marie Curie obtiennent des honneurs). Parfois il nous est arrivé d’admirer un film précisément pour sa densité, pour la multiplication des thèmes qu’il convoque. Mais le nombre ne fait pas tout, la qualité de traitement, la profondeur d’analyse, la sincérité du regard, son acuité, l’intelligence apportée, la cohérence du tout bien davantage.
Une héroïne brute de fonderie
Faut-il aimer ses personnages pour faire un bon film … ? Marjane Satrapi aime-t-elle Marie Curie ? Le mystère plane. Très rapidement, la réalisatrice s’écarte du biopic qui met en valeur son héroïne, pour s’intéresser à d’autres aspects de sa personnalité, de façon assez grossière. Le portrait qui nous est fait de Marie Curie s’attarde beaucoup sur sa très grande confiance en elle, son arrogance, sa détestation des concessions, mais aussi son orgueil ou sa résistance aux pressions, qui sont il est vrai très souvent des qualités nécessaires à la réussite … Mais, par exemple, le caractère intelligent, ou même la très grande compétence scientifique ne ressorte pas du portrait, même son histoire d’amour avec Pierre Curie nous est présentée sous l’angle de l’opportunisme. Marie Curie nous apparaît surtout comme une femme forte, déterminée, avec finalement peu de traumatismes et de failles psychologiques si ce n’est la peur de l’hôpital. A dessein, ou maladroitement, Marjane Satrapi esquinte son héroïne, et lui ôte des qualités qui nous la rendrait sympathique, ou hors du commun, à se demander même – le titre du film est peut être un indice – si le sujet véritable ne se veut pas ailleurs … Il ne nous semble pas tellement que Marjane Satrapi nous parle de Marie Curie au final, avec précision, recherche, et effacement, mais bien plus qu’elle nous livre un semblant de pensée somme toute confuse, et sans distance, qu’elle crée un personnage de toute pièce sans s’attacher plus que cela à son modèle.
Un lyrisme scientifique douteux
Pour qui connaît les personnalités scientifiques, la rigueur que cela demande, et qui va souvent de pair avec des personnalités austères, rompues à la tâche, mais aussi pour qui connaît la science, son caractère ingrat – beaucoup d’études, beaucoup de calculs, beaucoup de vérifications et de théorisations avant de pouvoir arriver à des résultats, il est peu de dire que cette matière n’est que très peu cinématographique. Certains s’en sortent plus ou moins honorablement dans l’exercice de falsification qui consiste à la retranscrire à l’écran, non dans sa vérité, mais par des saillies représentatives, des extraits choisis sur le volet. D’autres font le choix de la mystification – on se souvient ainsi de Fincher qui massacre la théorie informatique dans Social network pour la rendre intrigante, au risque de paraître ridicule pour les initiés, mais qui fait son effet sur le public moins averti. Le procédé est souvent utilisé sur la matière politique, ou diplomatique, d’autres domaines ou le spectre commun des conversations gravite principalement autour de détails tous plus insipides les uns que les autres pour qui ne baigne pas d’ordinaire dans la causerie. Ne pas retranscrire le caractère abscons, futile, rébarbatif à l’écran n’est certainement pas une faute, il s’agit presque d’un devoir, mais la question de la crédibilité en est un autre, quand le film s’interdit la comédie ou le pastiche – ce qui aurait pu être une voie, Satrapi ayant des qualités à faire valoir sur ce domaine. Lorsque le langage pseudo scientifique s’invite à plusieurs reprises dans le film uniquement en langage de séduction, entre Pierre et Marie Curie, un peu plus tard entre Marie Curie et Paul Langevin, ou en variante, en pré-requis pour être accepté de Marie Curie (lorsque Frédéric Joliot rencontre sa future belle mère), Satrapi nous perd en même temps que sa naïveté (ou sa prétention ?) ressort.
Une histoire très française déracinée
Mais pourquoi diable Satrapi a-t-elle tourné avec un casting anglophone ? L’histoire de Marie Curie est intimement liée à celle de la France, et faire ressortir la France de l’époque, inscrire son histoire en France, était un passage obligé. La reconstitution de Paris ici proposée n’aurait-elle pas gagnée à ce que les figurants parlent la langue de Molière ? Rosamund Pike, ou Sam Riley, ont beau faire de leur mieux, leurs personnages manquent par essence de ressemblance avec leurs modèles. Satrapi (ou ses producteurs ?) s’est littéralement désintéressée de faire en sorte que le couple Pierre et Marie Curie à l’écran puisse être une représentation crédible des personnages réels, et les entendre parler anglais dés le départ, entendre l’ensemble des personnages du film parler anglais communique un message fort: nous ne voyons pas Pierre et Marie Curie, mais des personnages qui s’en inspirent. Là, peut être, réside le plus grand point faible du film.
Le réalisme manqué, la narration ampoulée
Dernier argument, plus subjectif, Radioactive présente deux défauts liés: le film manque de réalisme, de souci de détails, et la narration employée volontiers disruptive (et ambitieuse, répétons-le, ce qui est une qualité indéniable) n’y est pas étrangère. Le réalisme n’est pas au rendez-vous, sur la forme, la langue employée, le jeu des acteurs insuffisant (la direction d’acteurs défaillante) quand il s’agit de rendre compte d’un état maladif, mais aussi les costumes insignifiants, ou encore le maquillage pour vieillir les acteurs, particulièrement visible.
Il n’est pas au rendez-vous sur le fond non plus. D’une part, le montage très voyant, les allers retours temporels prennent une place – un temps – qui aurait pu être occupé par des scènes plus étirées, plus soucieuse de retranscrire une vérité, mais d’autres part, ils prennent une place – intellectuelle – sur le récit en lui même; là où nous aimerions entendre les mots de Marie Curie, qu’elle aurait prononcés, elle, nous avons le droit à une pensée bien différente, celle du narrateur omniscient (qu’il s’agisse de Satrapi elle même ou de l’auteur du livre dont elle est repartie) … Qu’il eut été pertinent pourtant de s’effacer. Nous citions précédemment les images incessantes de bombes nucléaires, ou d’accidents nucléaires, qui viennent ponctuer le récit et contre-balancer les moments de gloire, ils sont parfaitement malvenus en ceci que jamais Marie Curie n’aurait pu avoir cette réflexion là, puisque nous parlons là d’un futur qu’elle ne pouvait pas prévoir, et donc aucunement condamné. Cette incise, en dissertation, se nomme un hors sujet; cela produit le même effet que si un interprète de Beethoven venait à interrompre un concerto pour venir commenter la dernière note jouée, et la contester; cela produit une fausse note, et le spectateur venu pour entendre Beethoven se trouve alors déconcerté (pour ne pas dire fâché) envers cet interprète qui se porte juge, et oublie de s’effacer.
Au final, Radioactive, le disions-nous n’est pas mauvais en soi, il est juste frustrant, inaccompli, et dans son ensemble, au vu de son ambition manifeste, plutôt raté.
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