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Music: quelle voie l’art cinématographique doit-il suivre ?

Mis à jour le 9 mars, 2023

Un film de Angela Schanelec

Avec Aliocha Schneider, Agathe Bonitzer, Marisha Triantafyllidou, Argyris Xafis, Frida Tarana

Une énigme cinématographique, un miroir, un rêve ou un puzzle dans lequel le mythe d’Œdipe est transposé dans une période allant des années 1980 à nos jours, des plages de Grèce aux lacs de Berlin. Une œuvre austère, baroque, avec parfois des gouttes de sang. Parfaitement elliptique.

Notre avis: **

Angela Schanelec poursuit son cinéma très minimaliste. Ambition adulée, ou rejetée, noble ou prétentieuse. Elle continue de se présenter en artiste qu’on ne comprend pas, qu’on ne peut pas comprendre, et avec son oeuvre pose précisément cette question : doit-on nécessairement comprendre pour ressentir? Son travail vise l’épure, et il n’y a qu’un pas entre ronger l’os jusqu’à la moelle, enfin visible, ou au contraire, vider un os de sa substantifique moelle, à ne plus même y voir un os. La critique de cinéma qui organisait la conférence de presse de Music ne s’y est probablement pas tromper lorsqu’elle déclare qu’analyser les œuvres d’Angela Schanelec n’est pas chose aisée pour le quidam, ni même le critique de cinéma. Mais à la différence d’un Ruben Ostlund qui aime à pousser la farce jusqu’à la dérision, à viser le trop plein écœurant, pour interroger l’art, sa fonction, et déranger tout en s’affirmant en artiste, (derrière la farce le véritable message plus élaboré vous soutiendront certains), Schanelec elle prend le parti exactement contraire, avec un sérieux et une gravité qui fait froid dans le dos. Le point commun entre ces deux pôles: tous deux divisent, générant des débats assez souvent sourds entre pourfendeurs et apôtres. pourtant, quelques lignes moins subjectives résistent à cette impasse. Ainsi, nous est-il possible d’évoquer les quelques arguments utilisés ici ou là, la qualité de la photographie, l’utilisation de la musique, le rapport au mythe, la qualité d’interprétation et les choix faits au casting. Commençons par ces derniers. Il ne fait aucun doute qu’Aliocha Schneider a été retenu pour sa ressemblance avec son frère, dont on loue le profil grec … Quitte à parler d’un mythe grecque par essence, autant reproduire l’imagerie autour des Télémaques … Agathe Bonitzer également présente un physique et une posture qui obéissent à des préceptes proches des représentations que l’on se fait de la Grèce Antique. Le film s’intitule Music livrant ainsi l’une des ses intentions principales: il confronte des airs classiques avec des chants plus contemporains, Schanelec insistant pour que le personnage d’Aliocha chante à l’écran. En cela, elle cherche ostentatoirement à proposer un effet de miroir entre deux époques. Effet aux résonances abscondes cependant, mais une seconde interprétation de l’emphase que porte le titre mérite cependant d’être relevée, au sujet non pas de la musique du film en tant que telle, mais de celle portée par les voix des protagonistes. La première partie du film est quasi muette, quand les mots commencent à se libérer et la parole devient audible dans la seconde. Ainsi le passage de la musique classique au chant parlé peut traduire cette évolution..

Passons maintenant aux point de repères cinématographique. Schanelec interrogé sur le sujet en conférence de presse reconnaît que le film de Pasolini sur Oedipe, Roi faisait évidemment parti de ceux-ci, reconnaissant même une admiration ultime pour cette vision, ne pouvant être égalée, et donc ne pouvant servir de référence. Il y aurait probablement à dire sur cette filiation, mais reconnaissons-le, Schanelec ainsi dit tout … Comparer les deux œuvres ne présente pas nécessairement de valeur ajoutée, l’un n’a pas attendu l’autre pour exister, quand le second présente une forme, une intention narrative et une transposition si radicalement différente … Mettons donc de côté cette analyse pour mieux nous placer du côté du ressenti que le film véhicule … Le travail sur le temps est manifeste à l’écran; comme dans toute l’œuvre de la réalisatrice allemande. Les plans dés la première image instaure une action que l’on devine à l’avance la plupart du temps, et à laquelle nous assistons en temps réel, la où le cinéma de fiction en général s’autorise le recentrement, Schanelec choisit le mode contemplatif, austère, et vise le réel, sans tricherie. Son récit dans son intégralité ne peut dés lors que reposer sur le principe de l’ellipse spacio-temporelle. Le mythe quelque part nous sera raconté par bribes, par petites cases, comme pourrait le faire un auteur de BD qui se limiterait à un certains nombres de cases, un peintre un certain nombre de tableaux, ou un écrivain un certain nombre de chapitres et de tailles de chapitres. La contrainte est visibe à l’écran, et là entre la subjectivité en compte dans l’appréciation. Certains trouveront dans la contrainte formelle retransposée la liberté d’imaginer, de supposer, d’interpréter. Ils en auront le temps et leur esprit pourra quitter l’image le temps de cette rêverie. De l’austère peut naître une forme de beauté, de grâce. Le Bleu de Klein peut paraître plus profond qu’un bleu de Mondriant, édulcoré par les autres couleurs primaires qui l’entourent. Mais d’autres, au contraire emprisonneront leur esprit dans l’évidence de la contrainte, dans la nature faussement provocante de cette dernière, et s’agaceront d’être ainsi pris en otage; voir un film doit-il se faire par ses propres yeux, ses propres sens, ou bien doit-il exister une confrontation entre deux regards ? L’abstraction ultime serait ainsi de proposer un film noir (ou bleu ?) de tout son long de 2h, et de laisser chacun vaquer à ses songes pour juger l’œuvre … Crierait-on au scandale ou au génie ? Et ce cri serait-il aussi volumineux et faux que ceux que l’on entend à longueur de temps dans Music, pour mieux nous rappeler que tout ceci n’est que violence ? Voilà, le sujet peut passionner, mais ne trouvera pas plus de réponse dans ce présent verbiage qu’il n’en contient dans Musique … En cela, Art College 1994 résonne pleinement avec l’exercice auquel on s’essaye, et qui évidemment nous résiste , par trop de subjectivité, ou impossibilité d’objectivité …

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