Barbie nous a laissé cette étrange impression que pourraient connaître des naufragés sur un radeau ou des supporters d’une équipe jadis glorieuse. Celle d’avoir eut à quitter une base, un pays que l’on aimait, de force, un ancien monde où le cinéma existait, de regarder derrière soi et de constater avec mélancolie la dérive, de se dire que le retour arrière ne sera peut être jamais possible, de peut-être devoir se résoudre à un changement inexorable et non souhaité, de peut être n’avoir plus, comme vous le dira bientôt – et là nous parlons d’un grand film – Victor Erice, qu’à Fermer les yeux. Celle qui survient un soir de défaite synonyme de relégation en division inférieure et qui semble sonner le glas d’une époque révolue.
A lire les critiques sur le film, les premiers échos positifs – lors même que la Critique fut tout simplement écartée du jeu par les studios, qui trièrent sur le volet les journalistes autorisés à assister aux avant-premières en échange de bons papiers (honteuse une de la Septième Obsession par exemple qui reprend le dossier de presse et annonce des interviews exclusives … purement formatées), à observer le succès incommensurable de l’opération marketing, à confirmer ainsi que la critique ne remplit plus sa mission d’éclairage, qu’elle est aujourd’hui remplacée par d’autres vecteurs autrement plus puissants, parfois d’ailleurs pour la plus grande satisfaction du public, nous nous sommes sentis seuls sur notre île dés que nous avons commencé à douter de la qualité artistique et cinématographique de Barbie, lorsque nous découvrîmes ses premiers dialogues, ses premières images, les premières actions, les premiers gags très loin de ce qui pouvait faire la sève du cinéma de Greta Gerwig.
Noah Baumbach, comme Greta Gerwig, semblaient, avec leur premiers films plutôt réussis, s’inscrire dans la tradition de bons cinéastes américains indépendants, voler à contre-courant de l’industrie pour porter une voie plus intellectuelle et raffinée … mais entre Barbie et White Noise, force est de constater que l’industrie (l’argent) a parfaitement su broyer leur talent.
Précisons d’emblée que nous ne nous rangeons, pour autant, aucunement dans un mouvement volontiers conservateur qui s’insurge des messages insufflés par Barbie, plutôt féministes – quoi que-, anti-patriarcaux, qui retournent l’imagerie usuelle, le paradigme, et s’amusent à proposer des rôles de pure potiche à l’ensemble du cast masculin, Gosling en tête, en parfait crétin écervelé. Voilà peut-être ce qui nous semble la réussite la plus notable, consentons le – notons ceci-dit que le cinéma masculiniste caricatural procure une sensation tout aussi saisissante pour qui sait bien y voir, et s’en moquer. Tout est affaire de degré de lecture, le premier pour la réalisatrice de Barbie, le second pour le spectateur d’un catastrophique film d’action.
Il se dit pourtant que Barbie apporte un vent de « fraîcheur ». Ce terme laisse entendre un genre de films que l’on n’aurait que peu vu, novateur et léger (en tout cas nous le supposons, le terme pouvant être employé un peu pour tout et n’importe quoi, et s’agissant d’une glace, notre définition serait à revoir). Bien au contraire, il nous a semblé avoir vu Barbie mille fois, à commencer par cet humour, si américain, fait de ridicule, de raillerie, de « faux » absurde (si loin de l’univers d’un Tati ou d’un Beckett) , et d’irruption soudaine d’illogisme dans une phrase prononcée? Forme d’humour qui inonde les blockbusters US, et qui rejoint la très critiquable définition que Bergson pouvait faire, avec le plus grand sérieux, du comique « Est comique tout arrangement d’actes et d’événements qui nous donne, insérées l’une dans l’autre, l’illusion de la vie et la sensation nette d’un agencement mécanique »
Nous avons pu également entendre en sortie de la salle, que le film cache un propos plus intelligent qu’il n’y paraît. Il est ici intéressant d’y noter, qu’en apparence, donc, le film rose bonbon – nous sommes plus velours bleu – semble s’armer de bêtise … Etonnant venant de Gerwig et de son mari, co-scénariste, co-dialoguiste Noah Baumbach, puisque l’un comme l’autre sont plus ou moins considérés comme des intellectuels aux US. Nous sommes donc en droit effectivement d’espérer que la trivialité manifeste de Barbie masque une pensée profonde, que plusieurs niveaux de lecture soient possibles. Hormis quelques citations philosophiques prononcées par Barbie Stéréotypée (Margie Robbie), mais tout de suite présentées comme des blagues (ah Barbie intelligente!), il nous fut difficile de relever la moindre profondeur au film ou aux personnages…
Bien entendu, comme toute production à gros budget, l’argument technique s’invitera à la table de tout débat sur la qualité de l’œuvre en tant que telle … Nous sommes généralement, relativement peu sensible à cette argumentation, souffrant de trop de prépondérance de la subjectivité, la notre y compris. Certes, nous n’avons pas relevé dans Barbie plus de défauts techniques que dans le dernier Wes Anderson – qui, lui, nous avait divisé – mais il est peu de dire que l’omni présence des décors propres à la marque (Maisons de barbie, barbiland, …), confère une ambiance très carton pâte, plutôt repoussante pour qui aime la photographie, le pouvoir de l’image dans un film – que l’on nomme parfois cinéma … Ces décors pré-fabriqués emprisonnent les actrices et acteurs dans un univers où le hasard, le furtif, l’imprévu (le beau ?) ne peuvent trouver place. Nous en venons alors à un autre débat qui alimente très souvent la sphère critique, la question de la mise en scène – ou de la mise en images … Lorsque les décors et les costumes dominent à ce point sur le reste des composantes visuelles, l’exercice se rapproche alors d’un art cousin, le théâtre. Ce rapprochement, bien souvent, pour reprendre Bergson, tend à introduire une part de mécanique, ou d’artificiel, plutôt dérangeante à l’œil, sauf à ce que s’invitent des moments de virtuosité ou des concepts confondants. Mais Gerwig se révèle plus proche de Guitry que de Von Trier, Rivette ou de Cassavettes … affaire de degré et de distance prise par rapport au sujet premier, encore une fois. Nous pouvons ceci-dit supposer que Greta Gerwig, fut, jeune enfant, amenée à se construire son propre univers, ses propres histoires imaginaires, autour de poupées barbie, son film offrant de ce point de vue une mise en abyme, puisque le film lui donne l’occasion de renouveler l’expérience avec des jouets grandeur nature dans le contexte d’un plateau de cinéma. Cette projection dans l’univers mental d’une fille de 5 ans en a émerveiller quelques uns … pourquoi pas après tout.
D’emblée, le scénario nous semblait tourner à vide. Au delà du seul placement de produits, un thème s’impose allègrement, une dénonciation feutrée – trop peu radicale pour impressionner – du patriarcat, mais quid d’une ouverture sur d’autres sujets, d’une quelconque complexité narrative ? En quoi voir une Barbie devenir une personne réelle peut-il s’avérer digne d’intérêt, comique ou dramatique ?
Nous irions presque jusqu’à supposer que le processus d’écriture à plusieurs (difficile de penser que Gerwig ait pu avoir toute liberté d’écrire sa propre histoire) ait convié quelques plumes bien conseillées (dans une logique mashup) par chatGpt, et que Mattel y soit allé de sa relecture et de son cahier des charges (juridique, financier, placement de produits, faire référence à l’histoire de la marque et de la poupée…). Cette hypothèse en tout cas pourrait expliquer la relativement faible qualité des dialogues ainsi que la faible singularité de la trame d’ensemble, les codes épousés, les pseudo climax, les personnages qui suivent une quête, les très caricaturaux moments d’émotion surfabriqués, où l’on nous fait croire que le combat est totalement perdu mais en fait, par un rebondissement pensé pour être réjouissant. Barbie suit la recette à succès des studios, ses conventions jusqu’à l’absurde même, puisqu’ici appliquée à deux poupées devenues chairs et qui s’insèrent dans le monde réel. Il s’agirait presque d’un défi lancé, d’un exercice de style pour montrer que la recette fonctionne même quand cela part d’une situation plus qu’improbable, sans rapport aucun avec quelque chose de plausible. Que dire enfin au sujet de ce fameux WTF vénéré à notre époque, mais qui confond originalité, singularité avec facilité, voire paresse d’écriture … il y aurait eu tant d’autres pistes à creuser (même si le résultat n’est pas parfait le dernier Bonello donne des idées de ce en quoi le jeu de poupée peut nourrir les imaginaires – du cinéaste et du spectateur – et proposer des espaces de réflexion, des jeux de miroir).
Autre – et peut-être le principal – élément à nous avoir détourné rapidement du film, Barbie – mais pouvait-il en être différemment – se tourne vers la culture américaine, celle qui a cette détestable habitude de se regarder le nombril et de penser que chacun s’y réfère … Nous pensions au contraire découvrir un film plus universel, qui puisse éviter l’écueil des mauvais films américains: le présupposé de l’American dream, de l’America first, de l’American way of thinking. Las, une fois de plus, on nous sert une énième variation « des Etats-Unis sauveur du monde », ce dernier se situant soit à Los Angeles soit à New York (pour les films catastrophes). Pour qui regrette une époque où tout ne s’uniformisait pas sur cette culture (ou contre culture) dominante, mieux vaudra donc passer son chemin.
Vous lirez peut-être, enfin, en cerise sur le gâteau pour ceux qui ne partagent pas l’avis que nous développons ici, que Margot Robbie comme Ryan Gosling s’en tirent à merveille … Certes, ils s’en sortent honorablement, puisqu’il leur est principalement demandé de singer des figurines Mattel, d’endosser leurs costumes et de mimer leurs mouvements limités. Incarner leurs personnages eut été une gageure paradoxale. Par rebond, la possibilité qui est offerte aux spectateurs d’entrer en empathie ou de s’identifier s’en ressent. De surcroît, les rôles ne cochent pas forcément les cases à Oscar : don de soi, capacité à se transformer, pas plus qu’ils ne permettent de susciter de l’émotion par un regard, une voix, en lien avec une situation réaliste, ou naturaliste.
Seul sur notre île, nous nous demandons donc par quel effet tunnel, par quel saut dans le temps, nous en sommes arrivés, en si peu de temps, à ce qu’un film dans son ensemble creux, à l’esthétique discutable, mal écrit et si américain puisse séduire à ce point et le public et la critique française, dans la parfaite continuité du french cinema bashing qui ne s’embarrasse pas de mettre dans le même sac France de Bruno Dumont et Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu 8 ?
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