Mis à jour le 24 novembre, 2019
De Nicolas Pariser nous connaissions surtout Le Grand Jeu, labyrinthique sujet politique qui cherchait à démêler (ou à emmêler) les tenants et les aboutissants de l’affaire Tarnac, ou plus exactement à proposer une fiction qui s’en inspire. Le résultat était très inégal, parfois l’oeuvre nous semblait tenir un propos si intelligent que nous ne l’étions pas assez pour en comprendre les subtiles ramifications, les enjeux, parfois elle nous perdait en discours politiques qui s’adressent en premier à ceux qui adhèrent à et manient l’art politique. Il faut dire que ce sujet a en général sur nous un effet anesthésiant radical, les mots, les phrases nous semblent tous moulus d’un même bloc, sans saveur, sans odeur, sans substantifique moelle; et surtout sans poésie, pour ne pas dire, sans intérêt. Il n’y a qu’à lire notre dernier avis sur Peterloo par exemple pour vous faire une idée de notre peu d’enclin à apprécier la joute politico-hystérique. Il y a bien quelques exceptions, citons par exemple le très puissant L’exercice de l’état, qui nous avait littéralement bluffé, par son intensité, son acuité, sa précision, mais aussi sa dramaturgie.
Alors quid d’Alice et le Maire, annoncé parfois, comme un hommage rohmerien, jusqu’à ce titre simplissime (Alice viendrait remplacer L’arbre et la médiathèque aux côtés du Maire, l’un des plus mauvais Rohmer avec le terrible Astrée et Céladon) ? … La référence est citée par Pariser lui-même, elle doit donc avoir droit de citer … Pourtant, après nous être dans l’ensemble plutôt ennuyés dans les atermoiements propres au fameux temps de la politique – insipides arcanes, faites de petites guerres ambitieuses, luttes d’influence, pousse-toi-de-là-que-je-m’y-mette-t-as-repassé-ta-veste – une autre filiation nous est apparue, jusqu’au titre même, autrement plus flatteuse du côté de chez Sautet, jusqu’au titre même. Nelly et Monsieur Arnaud pour ne pas le citer.
Il nous a en effet semblé que l’intérêt véritable d’Alice et le Maire ne se situait ni du côté d’Alice, ni de celui du Maire, encore moins dans le cinéma vérité, le fameux envers du décor dépeint qui nous en apprendrait long sur ce que l’on ne voit d’ordinaire pas – les querelles, réunions, conseils, comités, sponsors, on-ne-vous-refait-pas-la-liste-du-vocable-technocratique, – mais bel et bien du côté de la relation, étrange, qui lie l’une à l’un, l’inverse étant moins vrai.
L’ambition est ainsi questionnée, l’admiration également, et au détour, Pariser se fait plaisir pour nous citer tous ses livres de chevets, en général qui visent à façonner la pensée. L’intime sera également questionné, pour ces deux êtres qui se vouent corps et âmes à leur profession et mènent une vie sociale qui peine à s’écarter de leur vie professionnelle. Cette caractéristique, ce manque, dirons-nous affectif, s’avère précisément ce qui va pouvoir unir platoniquement Alice et le Maire. L’ambition d’Alice légitime la rencontre, prête à jouer à 100% un rôle qu’elle aurait aimé bien différent. Elle y voit un passage obligé, une première marche vers une ascension future, un moyen de progresser aux côtés d’un homme, qui semble lui vivre une trajectoire quasi inverse, celle d’un détachement vis à vis de ce qui l’a jusqu’à présent mu, il attend un second souffle, une nouvelle ambition.
La rencontre sera particulière, rude de prime abord, le Maire y trouvera ceci dit un terrain de jeu, de l’ordre de la séduction, dans lequel l’ambitieuse Alice va, non sans être dupe, pouvoir s’épanouir. La relation devient privilège, elle assiste le maire-roi, celui-ci fait d’elle sa maîtresse à penser et lui confie des responsabilités auxquels d’autres aspirent, conspirent, à force de zèles, servitudes et autres tartuferies. Un sentiment naît, assurément, ambigu, à la réciproque déséquilibrée, limitant les possibles, mystérieux. C’est au spectateur qu’il revient de mettre un nom sur celui-ci !
Outre cette intrigue subtile et intéressante, le film ne présente aucunement la puissance que l’on trouve dans l’Exercice de l’Etat que nous vous citions en modèle de film réussissant à faire de la politique un sujet à part entière (Costa Gavras sait y faire aussi, mais dans un genre bien différent, le thriller); la peinture proposée, pour ne pas dire la galerie de portraits, est quelconque, ni bonne, ni mauvaise, ni divertissante, ni repoussante. Anaïs Demoustier y fait du Anaïs Demoustier, très appliquée, légèrement énigmatique, un brin charismatique mais aucunement électrique comme pouvait l’être Emmanuelle Béart par flash dans Nelly et Mr Arnaud. Luchini est lui aussi crédible, il n’en fait ni trop – ce qui n’est pas si fréquent-, ni trop peu. Il ne parvient jamais à émouvoir comme le personnage de Mr Arnaud (Michel Serrault).
Quant à la comparaison avec Rohmer, pour notre part, nous la cherchons encore … les réflexions sur le sentiment, sur l’amour par exemple, sur les relations des uns aux autres, voilà bien un sujet totalement absent !
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