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Queer – Guadagnino s’essaye au film trip

Luca Guadagnino ne nous avait jusqu’à présent pas totalement prouvé qu’il était un grand cinéaste. Un bon faiseur, tout au plus, un disciple de Bava et Argento plus que de Ferreri, plutôt appliqué. Un réalisateur qui excelle plus dans la petite provocation, dans le giallo, que dans la grande œuvre d’art, à l’instar de son remake de Suspiria plutôt intéressant, qui comportait quelques bonnes idées, rafraîchissante .

Avec Queer, il s’attaque, le mot n’est pas trop fort, à un projet intéressant, adapter à l’écran un récit de S. Burrough. L’exercice demande application, imagination, et maîtrise de son art, car l’essence même réside dans l’esthétique, cette fameuse atmosphère qui vaut entièrement sujet. Le début du film déconcerte pour plusieurs raisons. La première, narrative, liée probablement au récit originel, ne donne que très peu de points de repères sur l’identité et les motivations profondes du personnage principal dont on suit les pas, parfois, et il s’agit là de la deuxième raison, sur fond de Nirvana ou de Prince. Déconcertant, et pas forcément du meilleur goût, convoquant des effluves très teintées 90 quand le récit semble se dérouler bien davantage dans les années 60. Cette première partie s’étire d’ailleurs plus que de raison, d’un point de vue cinématographique comme narratif s’installe un schéma répétitif, sans que cette répétition (façon nouveau roman) ne comporte de variantes ou de petits détails qui viendraient renforcer l’impression d’ensemble. A ce stade, c’est à dire, pendant toute la première heure du film, nous ne comprenons pas trop pourquoi Guadagnino a cherché à relever ce défi, tant son cinéma à lui semble ici contraint, empêché, ou sonnerait faux s’il venait à lâcher la bribe.

Ceci étant dit, de cette première partie nous retirons quelques satisfecit, à commencer par la direction d’acteurs, intéressante, qui transforme radicalement (et fait quasi renaître en tant qu’acteur) Daniel Craig, dans un habit et une posture qui s’oppose en tout point à la grande classe façon 007 ). Ce rôle très bukowskien (on pense à Contes de la folie ordinaire, vu par Ferreri) lui permet de totalement casser le stéréotype, et lui donne un espace de jeu qu’il utilise à merveille, pour donner corps à son personnage, dans un récit où précisément le corps, que l’on évoque son usure ou sa beauté, tient une place essentielle. Autre bon point que nous notons, la sobriété de l’approche, notamment en ce qui concerne les décors, qui permet de familiariser le spectateur avec quelques intérieurs repoussants, et quelques rues tout aussi crasseuses, tout à la fois enjeu et conséquence du choix de vie de ces quelques hommes plus ou moins à la dérive, plus ou moins en transit, plus ou moins dans l’attente d’un avenir ou d’un plaisir immédiat, dans un Mexico à la fois refuge et repaire.

Puisque les motivations des personnages ne s’affichent pas de manière évidentes, nous pouvons à ce stade encore imaginer que Queer se révèle un récit d’espionnage, un peu à la manière de ce que Claire Denis proposait récemment, avec beaucoup de soin et de perfectionnisme, dans Stars at noon. Mais le développement du récit nous amènera résolument ailleurs, apportant une part de dépaysement (nous partons en voyage dans toute l’Amérique du sud) géographique, mais aussi dans un ailleurs où les enjeux corporels, les désirs seront moins contrariés, plus explicités, et laisseront peu à peu la place à un autre enjeu, celui de l’évasion spirituelle: la recherche de la transhumance, de la sortie de route spirituelle, une pulsion de mort venant de pair avec la pulsion de vie hautement contrarié. L’homme vieillissant ne navigue aucunement à vue, il sait précisément où la vie l’a mené, ce qu’elle lui a apporté, et là où elle le mène. Il ne se fait que peu d’illusions sur ce qui relève du réel, le jeune homme dont il s’est épris et qui nourrit son désir, ne peut lui apporter une réciprocité de sentiment qui le ramènerait à une jeunesse révolue. L’illusion doit le contenter. Mais ses addictions le rattrapent et le motif de ce grand voyage nous est alors révélé, tout comme s’éclaire l’intention de Guadagnino, celui d’enfin se rapprocher d’un psychédélisme, d’hallucinations sensorielles. Une intention qui convient dés lors davantage à sa manière de s’affirmer en tant que cinéaste visuel, qui trouve son paroxysme lors d’une jolie scène fusionnelle, qui n’aurait certainement pas déplu à Cronenberg. La boucle bouclée, le récit reviendra là où il avait démarrer, nous laissant avec lui sur ce qui en tout point et en tout sens, nous semblait le quai de départ comme d’arrivée.

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