Le festival de Cannes bat son plein. D’une manière générale, nous vous relayons toutes nos critiques en temps réel sur notre page facebook, sur notre compte twitter, et sur nos cahiers critiques de façon consolidée.
Mais il nous arrive assez souvent de ne pas être unanimes au sein de la rédaction, parfois, et même souvent, lorsque nous aimons les œuvres précédentes d’un réalisateur. Deux effets contradictoires peuvent ainsi se produire sur nos petits cerveaux de critiques passeur. Le premier relève de la confirmation, parfois même du prosélytisme, sans parler de sacré (nous cherchons à tout prix à éviter cette voie du « c’est bien, ça c’est du cinéma, ça ça n’en est pas ». Ce premier effet a deux variantes, l’une guidée par la mauvaise foi, l’esprit têtu, l’autre, guidée par l’aveuglément. Le second effet, exactement contraire, trouve sa logique dans un raisonnement de remise en cause, – au moins une volonté de -, ou, à l’opposé, dans un effet que les amoureux connaissent parfaitement, le désillusionnement (à l’extrême, la lassitude ou la trop haute attente). Ainsi, alors même que nos deux critiques les plus supporters (car oui la critique comprend aussi sa part de pathos semblable à celle qui unit un supporter à son club de cœur – le critique devant précisément s’en défaire pour les plus compétents, la masquer pour les plus feules) ont jusqu’à présent vu la copie parfaite chez Carax (et ils sont peu nombreux dans le club, Kubrick ? Bresson ?), fort est-il de constater qu’avec Annette, le passage à la comédie musicale, deux versions nous divisent au niveau de la rédaction, comme elles divisent l’ensemble de la presse. Pour répondre à la question « Annette est-il un bon film ? », une première question se pose, et ce n’est pas Carax qui nous aidera à la trancher: « Annette est-il seulement un film de Carax ? ». Lui même avoue en conférence de presse, Annette est un film étrange, un film composite, qui marie plusieurs univers pas nécessairement compatibles, le sien (et nos critiques s’accordent à dire qu’il est très présent, que sa mise en scène se voit avec délectation), celui des Sparks, et celui des références qu’il vient à convier (Pinocchio, Vidor, le vieil Hollywood, Broadway, Allan Poe, Murnau, Deray, eh oui !, mais aussi Godard en virgules -jumpcut excessifs, ciseaux généreux, et regards caméras !). Alors, mesdames messieurs, les spectateurs, il ne reste plus qu’à faire votre propre chemin …
NOTRE AVIS 1: ****
La clé d’ »Annette« , le film de Leos Carax, est autobiographique. Sans que cela déflore le film, il ne s’agit ni plus ni moins que de la tragique et bien réelle histoire entre le cinéaste et l’actrice Katarina Golubeva, avec laquelle il avait eu une fille. Le film, comme l’annonçait par ailleurs Holy Motors, est une pure expérience filmique, du cinéma à l’état brut, à une époque où la plupart de nos films ressemblent à s’y méprendre à des téléfilms – et pour cause, d’aucuns sont façonnés par les chaînes TV dans l’optique d’une rapide diffusion sur petit écran. « Annette » est un « Oncle Boomy » (Palme d’or 2010) plus accessible. Il est fortement auto référencé (la moto de « Mauvais sang« , le « monstre » vêtu de vert de Tokyo ! et d’Holy Motors) mais il contient de forte influences et références externes (telle qu’une scène explicite à La Piscine de Deray, ou un trait d’humour appuyé à la mauvaise prestation en « morte » de Marion Cotillard dans Batman). Plus que du côté de Demy ou de Brodway, il faut aller chercher la stylistique de cette comédie musicale (genre périlleux s’il en est) du côté de l’âge d’or d’Hollywood. Rien de plus normal quand on sait que Carax est issue d’une culture mixte, sa mère étant une critique renommée de cinéma en Amérique. Par ailleurs, à l’image de Godard, son maître -on se demande toujours pourquoi, car ils sont fort différents- Carax se réclame de Griffith et Dreyer. Aussi il faut d’avantage penser à l’époque bénie où Fred Astaire et Rita Hayworth chantaient et dansaient tout au long de leurs films et ce pour le plus grand bonheur du public. Carax est un grand, un très grand cinéaste, incompris, mésestimé, quasi maudit. Ses détracteurs le qualifient de « faiseur » ou « formaliste » ; d’autres, dans les années 80, l’ont classé dans la même Nouvelle nouvelle vague, celle de l’image pure et d’une pensée parfois trop simpliste (tout dans la forme, peu dans le fond) d’un Luc Besson ou d’un Jean-Jacques Beneix -nous apprécions aussi la filmographie elle aussi maudite et inégale de ce dernier qui ne tourne plus, hélas, depuis longtemps. Carax n’est pas un cinéaste à la Godard (qui, à notre sens, ne fait plus de cinéma, et a laissé depuis longtemps, très longtemps, tomber le forme pour un fond surestimé et parfois prétentieux). Il est un immense formaliste, unique, produisant des images somptueuses, étonnantes, comme Gaspar Noé, à ceci près qu’il est dans la pensée et les multiples couches que contient Annette et ses autres films, beaucoup plus profond et sophistiqué. Il a gagné en maturité (il n’est plus le jeune homme de Boy meets Girl et tant mieux). Le film est par ailleurs très émouvant, surtout la scène finale qui nous a fait littéralement pleurer. Reste des clés à résoudre, des scènes à l’obscure clarté un rien effrayante et parfois drôles, que les fans de Lynch apprécieront. L’interprétation est parfaite. Certains Cotillarophobes ont peur, qu’ils se rassurent : elle se montre plus qu’à la hauteur et trouve ici un de ses rôles les plus marquants.
NOTRE AVIS 2: *
La bande annonce de Annette ne donnait pas du tout envie … Le film ne lui ressemble pas. Carax fait ce qu’il peut, notamment du point de vue de la mise en scène et en cherchant à soigner l’image, le film propose quelques splendides notes, référencées ou non – Carax remercie cette fois-ci Vidor -, au milieu d’une partition générale des plus exécrables: un scénario indigent, des dialogues déplaisants et hyper répétitifs, sans qualité littéraire, une musique assourdissante et rarement passionnante, des acteurs dont l’image ne collent pas au projet. L’impression de bric-a-brac, de fourre-tout plus indigeste que génial, domine. Dommage … le poète Carax et la soupe Hollywoodo broadwayienne, plus proche de Lalaland que de Demy, ne font pas bon ménage.
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