La programmation des 33èmes rencontres de Toulouse du festival Cinélatino donnait à voir une centaine de métrages dont certains mis en compétition. Qu’ils soient courts ou longs, documentaires ou de fiction, les films de l’édition 2021 tracent un large panorama du cinéma d’Amérique latine. Après avoir passé en revue le palmarès de la compétition des longs-métrages de fiction, nous nous attardons ici sur celui des longs-métrages documentaires.
L’édition 2021 du festival Cinélatino mettait en compétition sept documentaires dans la catégorie longs-métrages. Trois étaient d’origine argentine, deux issus d’une production brésilienne, alors que le Paraguay et le Chili étaient représentés par un documentaire chacun. Ces deux pays faiblement représentés remportent pourtant trois des quatre prix mis en jeu !
Grand vainqueur de cette édition 2021, le documentariste paraguayen Arami Ullón remporte le Prix documentaire rencontres de Toulouse et le Prix du public. Dans Apenas el sol (Nothing but the sun), Ullón fait reposer l’entièreté de son documentaire sur Mateo Sobode Chiqueño. Celui-ci est membre de la communauté des Ayoreo et interviewe quelques-uns de ses congénères parmi les plus âgés, représentants vivants d’une culture ancestrale. Chaque témoignage ou chant est enregistré sur cassette audio pour garder trace d’une âme amérindienne en voie d’extinction.
A l’image du média audio utilisé par Chiqueño, Apenas el sol est quasi totalement tourné vers le passé. Un passé antérieur à la venue des hommes Blancs qui, il y a plus d’un demi-siècle, ont expulsé les Ayoreo de leur forêt pour les parquer dans des campements. Un temps révolu nous est donc conté puisqu’il est peu fait cas de l’après, celui d’une minorité ethnique dont les croyances ancestrales et le mode de vie ont été dissolus dans ceux de la société paraguayenne.
Le procédé utilisé par Ullón a les limites de sa simplicité. Le documentaire porte un témoignage intéressant sur une communauté rarement (jamais ?) filmée. Mais les échanges enregistrés se limitent à des constats face auxquels aucun contrepoint n’est proposé. L’absence de mise en relief et de confrontation à une réalité autre manquent à ce documentaire-témoignages. Sans ces absences, Apenas el sol aurait gagné en profondeur d’analyse.
Le Prix Signis a été remis à Francina Carbonell, auteure de El cielo está rojo. Dans ce documentaire, la documentariste chilienne s’empare d’un fait réel qui vit périr quatre-vingt-un prisonniers du centre pénitentiaire San Miguel au Chili suite à un incendie. Ce fait divers tragique donna lieu à un procès que nous ne verrons pas à l’écran. Une voix off introduit le documentaire. Il s’agit de celle du juge d’instruction qui déclare ouvert le procès intenté contre la direction du centre pénitentiaire et contre quelques-uns de ses employés. Cette même voix off clôt El cielo está rojo par l’énoncé du verdict. L’affaire est complexe, le verdict sera bref, sec et glaçant.
Entre cette introduction et cette conclusion, Carbonell procède par l’utilisation de nombreuses images ou vidéos de surveillance. Des enregistrements audio d’archives font aussi partie des matériaux utilisés. Comme cette tragédie a été jugée devant les tribunaux après enquête, la documentariste s’appuie également sur les reconstitutions qui ont été menées et les témoignages collectés durant celles-ci.
Les faits et dires sont restitués à l’écran dans un ordre quasi chronologique. El cielo está rojo jouit d’un montage technique bien pensé qui met en relief les dysfonctionnements, matériels et humains, révélés par l’enchaînement des faits et les conditions de vie dans le milieu carcéral chilien. Quelques images et vidéos choc parachèvent ce documentaire qui brille entre autres par sa redoutable acuité et la pertinence de son approche.
L’ultime prix remis, le Prix lycéen, revient à Toia Bonino pour La sangre en el ojo. Dans Orione (2017), son précédent et premier documentaire, la réalisatrice argentine racontait l’histoire d’Ale du point de vue de la mère de celui-ci. Ale, jeune délinquant du quartier Don Orione de Buenos Aires, perdit la vie suite à un mauvais coup qui a mal tourné. Trois ans plus tard, La sangre en el ojo adopte le point de vue de Leo, frère d’Ale, et forme donc un diptyque avec son aîné.
La sangre en el ojo commence comme un film de crime. En voix off, Leo, fraîchement sorti de quatorze ans de prison, nous annonce sa ferme intention de venger la mort d’Ale. L’acte de vengeance envisagé est donc pleinement prémédité. La violence des propos tenus entre en totale contradiction avec les images montrées. Celles-ci, paisibles, invitent à une grande tranquillité.Bonino ne cessera de jouer sur cette double atmosphère née entre les images montrées et la bande son (voix off) donnée à entendre. Ce procédé étrange déconcerte d’abord puis finit par s’imposer. La sangre en el ojo faot fait ainsi le récit rétrospectif et en voix off du parcours personnel et « particulier » de Leo. Leo est un délinquant ordinaire parmi d’autres traînant derrière lui un passé compliqué pointant sur un avenir incertain. La réalisation de ce documentaire est de belle qualité. Un soin notable est notamment apporté à la composition des cadres proposés. La forme soignée de La sangre en el ojo entre là encore en contrepoint d’un langage de rue brut.
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