Nadav Lapid le dit sur la scène du Théâtre Croisette, Oui était probablement le film le plus important qu’il ait pu faire, et son trac n’était pas feint au moment de le dévoilé au public. Lancé avant le 7 Octobre, le film prend un tour bien différent, et devient une vitale nécessité pour l’artiste, qui retrouve sa verve expérimentale si notable sur Synonymes.
L’ ouverture de Oui, en comédie musicale endiablée, critique de la vulgarité, est un modèle du genre: dynamique, parfaitement chorégraphiée, mis en scène, en sons comme en images. Elle annonce un film flamboyant, provocateur, qui ne se cache pas tout en prenant des risques formels. La suite nous donnera pourtant en partie tort, le réalisateur israélien, qui entretient de longue date avec son pays une relation d’amour-haine, cherchera avant tout à nous faire partager les opinions, pouvant changer, d’un pianiste artiste qui après le 7 Octobre nourrit un sentiment de vengeance et rompt l’équilibre endiablé qu’il pouvait avoir avec sa femme Yasmine, et leur progéniture.
Bien entendu, comme souvent dans le cinéma de Nadav Lapid, les personnages, abstraits, représentent des entités, dont les pensées les dépassent largement, à la portée bien plus corpusculaire, pour ne pas dire étatique ou nationaliste. De façon certaine, plutôt qu’Y et Yasmine, le couple aurait pu tout aussi bien se nommer Israel et Palestine. Lapid nous livrera tout le long des 2h30 du film une diatribe anti-hymne, anti-nationalisme, en faisant principalement appel à l’intelligence du spectateur. A l’image de Pasolini, il ose nous faire partager les abjectes pensées de son héros principal, puis sa légère remise en question. Il n’opte pas pour la neutralité, ou la saine distance, au contraire, il choisit de suivre ses pas, ses pensées, parfois de façon explosive. En contre champs, la guerre, Israël qui se venge de la Palestine, Netanyahu qui prend des décisions de plus en plus radicales et inhumaines. Mais aussi, sans que cela ne vaille explication, ni même relativisme, le récit horrifique, détails à l’appui, des attentats terroristes du Hamas le 7 Octobre. Sa caméra tremble, les sons explosent, Lapid ose. Parfois trop, parfois trop longuement ou de manière trop répétitive. Mais il ose. Jusqu’à l’humour, imprévu, sorti de nul part. Jusqu’au regard caméra, et au dialogue adressé au spectateur: qu’aurait-il fait s’il était Israélien ? La question est posée, en dénonciateur radical du fascisme, du populisme, de l’attentisme, Lapid clive. Oui sera applaudi comme sifflé, parfois pour de mauvaises raisons (opinions politiques arrêtées, quand le film cherche au contraire à traduire la multitude de composantes à prendre en compte, et donc, la relative complexité de la question).
Nadav Lapid avec Oui prend le parti de s’attaquer à un sujet ô combien délicat, pour lui plus qu’un autre. Il le traite avec une certaine finesse, en posant un regard assez effacé sur un endoctriné, sur un pays malade, en dressant un parallèle avec la vulgarité. Son analyse assez décoiffante, jamais ne joue sur le sensible, au contraire, Lapid montre le spectacle pour nous en fait ressortir toute la crasse. Il parvient, exercice difficile, à faire cohabiter les différentes faces d’un tel conflit, les différentes lectures que l’on peut en faire, une simpliste, directe, pulsionnelle et instinctive, mais aussi une autre plus complexe, qui se cache derrière des théorisations, des calculs, et des excuses, du côté de l’impunité. En nous imposant de suivre un personnage clown, interprété par le performeur israélien (de gauche) Ariel Bronz, il nous rappelle pourtant qu’Israël, reste son pays, qu’il a fuit précisément pour ses dérives, mais qu’il aimerait aimer de nouveau. Et il invite le spectateur à le méditer avec lui, prenant le risque de se mettre à dos ses compatriotes, mais aussi, peut être les adversaires d’Israël, puisque Lapid ne montre pas les palestiniens, ni même des images de Gaza, il filme Israël.
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