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Limonov, la ballade de Serebrennikov

Tout à la fois militant, révolutionnaire, dandy, voyou, majordome ou sans abri, il fut un poète enragé et belliqueux, un agitateur politique et le romancier de sa propre grandeur. La vie d’Edouard Limonov, comme une trainée de soufre, est un voyage à travers les rues agitées de Moscou et gratte-ciels de New-York, des ruelles de Paris au cœur des geôles de Sibérie pendant la seconde moitié du XXe siècle.

Limonov, la ballade d’Eddy la très attendue adaptation du roman d’Emmanuel Carrère par le metteur en scène et cinéaste russe Kirill Serebrennikov nous est apparue brillante par instant, excellente dans l’ensemble, mais ceci-dit frustrante. En premier lieu, quel dommage que certaines dimensions du personnage soient éludées (sa période française, son goût des soirées mondaines, son jeu avec les médias et le personnage qu’il se crée, très largement documentée y compris par Thierry Ardisson qui l’avait invité dans ses Nuits blanches) ! Mais aussi, quel dommage que son œuvre et ses succès littéraires, ses actes politiques, son opposition à Poutine, son ultranationalisme, son rôle dans la vie politique russe en soient réduits, parfois à quelques images ou mots, là où nous aurions préféré un développement. Voilà pour les premiers motifs d’insatisfaction eut égard à notre forte attente au vu de la force du roman et de la maestria – son art punk et graphique – de Serebrennikov.

Car, à l’instar d’un Schrader qui nous revient sur la croisette avec une œuvre qui repose sur ses talents contenus, Limonov pris en déconnexion du roman et de ce que nous savons de la vie intrigante du poète Limonov, méritait amplement de se retrouver en sélection officielle à Cannes, et nous parions alors que le film repartirait du festival avec une récompense. Plus précisément, Limonov nous donne à voir un concentré de la grammaire visuelle et sonore de Serebrennikov, qui trouve ici un sujet et une trajectoire où son talent peut s’exprimer avec excellence. Le choix qu’il effectue de nous immerger dans le cerveau de Limonov procure parfaitement les sensations recherchées, si tant est que cela nécessitait d’être prouvé. Ben Whishaw, transformé, incarne avec grâce ce Limonov à l’esprit torturé, tandis que la voix off schizophrène nous introduit plus encore dans son cerveau, dans un procédé d’immersion déjà aperçu dans la Fièvre de Petrov.

Nous retrouvons aussi cette ambivalence (excellente mais frustante) à ne considérer que la seule Bande Originale. Lou Reed comme Tom Waits (Russian dance) s’imposaient en première idée en marqueur d’époque et d’état d’esprit … mais précisément, ces deux propositions manquent d’originalité pour permettre de renforcer le texte épique d’Emmanuel Carrère.

Outre les réserves que nous formulons quant à l’adaptation du roman (impossible, avouons le), Limonov nous a semblé pâtir du choix de rythme retenu (ou contraint ?) . Le film en soi s’avère soit trop long pour concentrer l’épique (ou les divagations de l’âme du poète), soit trop court pour nous proposer un film d’art total ou souligner plus encore le destin extraordinaire de cet homme, sa folie et ce qu’elle nous renvoie. Frustrant aussi que le génial réalisateur russe se soit tant attardé sur une relation amoureuse qu’il semble presque ériger en blessure première quand le roman n’y accorde qu’une très faible importance. Frustrant que cette magnifique idée de convier Emmanuel Carrère au casting ne soit poussée dans ses retranchements. Frustrant enfin que l’on trouve à redire sur un film qui possède une très belle forme et pour fond un diamant brut et que nous ne soyons pas ici en train de vous parler d’un chef d’œuvre incontestable, mais seulement d’un très beau film poétique, et habité, une ballade bien plus qu’une balade.

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