Surqualifiée et surexploitée, Rita use de ses talents d’avocate au service d’un gros cabinet plus enclin à blanchir des criminels qu’à servir la justice. Mais une porte de sortie inespérée s’ouvre à elle : aider le chef de cartel Manitas, à se retirer des affaires et réaliser le plan qu’il peaufine en secret depuis des années : devenir enfin la femme qu’il a toujours rêvé d’être.
On ne peut enlever sa part d’audace à Emilia Perez (notez au passage la consonance avec la star Disney Selena Gomez ici au casting, qui ne nous semble que peu fortuite). Film chic assurément, se voulant choc, mais surtout toc ! Que sert la maîtrise formelle indéniable – on pense au cinéma de Larrain, les chorégraphies et autres effets de mise en scène au cordeau si ce n’est un scénario basé exclusivement sur des répliques et situations décalées, des paroles de chansons (plutôt drôles dans l’ensemble étonnamment, ingrédient qui a trop souvent manqué dans la filmographie d’Audiard), du What’s the fuck comme il se dit. Audiard n’aurait-il pas cherché maladroitement – naïvement aussi – à cocher des cases ? Difficile en effet de voir dans ce croisement entre un film de cartel et une comédie musicale à la West Side Story un véritable hymne trans-identitaire … La ficelle nous semble un peu grosse, mais bon Greta Gerwig ayant commis Barbie, rien n’est moins sûr, l’univers musical hyper kitsch l’entraînera-t-elle ?
Dommage car mis à part ce scénario faible au possible, et le choix de l’univers musical à la Selena Gomez, le travail se voit à tous les étages de cette production Saint Laurent. Trop d’ailleurs, nous en revenons presque à ce qui fut jadis nommé de notre côté de l’Atlantique le Cinéma du look: beau (en tout cas selon les canons actuels des images renvoyées par le monde du luxe), clinquant, privilégiant les images hautement animées, les effets multiples pour accompagner une musique (des clips géants), plutôt que de composer une structure conceptuellement plus riche, que d’articuler une pensée littéraire, intellectuelle, artistique ou ne serait-ce que poétique. Ou de proposer un portrait sincère.
Le film renvoie à cette même question qui nous a si souvent taraudé dans la filmographie d’Audiard, où veut-il en venir, quelle flamme cinéphile le porte et l’anime ? Auteur ou faiseur ? Cinéaste du sensible ou spectaculaire ? Divertissant ou interrogeant ? Vous pourrez assurément lire parmi les écrits de nos confrères qu’Emilia Perez donne l’occasion à Audiard d’affirmer son style, de se faire plaisir et de faire montre de sa virtuosité. Beaucoup en faisaient même à Cannes cette année un candidat très sérieux à la Palme d’Or pour sa modernité de ton doublé d’une maestria retrouvée, et à l’instar de Serrebrennikov, de nombreux plans séquences, de nombreuses coordinations impliquant les différents corps de métier (les acteurs, les éclairagistes, les décorateurs, les chorégraphes, …) peuvent effectivement sembler magiques, ou ingénieuses, et le spectateur de se demander à de nombreuses occasions « comment » Audiard s’y est pris pour convier de tels effets. Au delà du comment, hélàs, nous en restons pour notre part au quoi, à cette histoire aussi vide qu’insipide et inintéressante, brinquebalante et affabulatoire – aux antipodes d’un Pialat, d’un Rohmer, ou de tout autre conteur ou observateur, qui s’intéresserait à une vérité, à une nature, à une psyché, mais aussi au « pourquoi » du « comment ». Pourquoi une comédie musicale ? Pourquoi un récit de cartel ? Pourquoi une histoire de changement d’identité sexuelle très improbable ? Pourquoi tant de manichéisme ? Pourquoi Selena Gomez ? et au final, pourquoi Emilia Perez, si ce n’est pour épater un peu la galerie, et proposer, il est vrai, un plutôt agréable divertissement.
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