Mis à jour le 2 octobre, 2020
Le festival de Venise vient de s’achever, nous n’avons pas pu y participer pleinement cette année du fait des conditions sanitaires. Mais il nous a été donné de découvrir quelques films en sélection Orrizonti. Voici nos retours sur ces derniers:
Listen – Ana Rocha de Souza – Portugal/Grande-Bretagne
À la périphérie de Londres, un couple portugais et des parents de trois enfants, Bela et Jota, ont du mal à joindre les deux bouts. Lorsqu’un malentendu survient à l’école avec leur fille sourde, les services sociaux britanniques s’inquiètent pour la sécurité de leurs enfants. LISTEN décrit la lutte inlassable des parents immigrés contre la loi, pour garder leur famille ensemble.
Notre avis: ***
Le film a remporté deux prix, dont l’un des plus convoités, l’équivalent de la caméra d’or (meilleur premier film). Et nous n’en avons absolument pas été surpris, car le geste cinématographique, à défaut d’être novateur ou d’afficher une singularité atypique, est intéressant. Les premières images laissent à penser qu’Ana Rocha de Sousa lorgnent résolument du côté de Ken Loach. Une fois passée la mise en place un peu laborieuse – mais nécessaire – car trop soulignée, le film s’écarte de son modèle premier pour livrer un message relativement fort, témoigner d’une certaine urgence, et dresser un constat que l’on ne peut taxer d’arbitraire ou de militant. Là où Ken Loach aurait appuyé sur la pédale du sensible, aurait littéralement maltraité son héros pour qu’on s’appitoye sur son sort, Ana Rocha de Sousa opte quant à elle pour une approche bien différente; elle s’attarde non pas sur le sort dévolu, mais sur l’absurdité de la situation, l’absurdité de certaines réactions « professionnelles » pour mieux y opposer une vision plus humaine, d’autres personnes qui agissent avec autrement plus d’intelligence. Ken Loach aurait préféré ôter toute forme d’espoir, ou plus exactement, se serait fait un malin plaisir à se jouer de l’espoir pour mieux nous sous-tirer quelques larmes, nous faire entendre son message, sa lutte, Ana Rocha de Sousa questionne, reste ouverte à la possibilité d’un avenir meilleur ou en tout cas différent, et nous saisit peut être davantage de la sorte. L’actrice principale en fait un peu trop dans la première partie du film, puis trouve dans les deux suivantes un ton plus juste, très aidé par la justesse de jeu de celui qui interprète son mari, un homme brave, conscient de ses limites, et de ses contradictions. Au delà de l’émoi que le sujet peut faire ressortir en tant que tel, le film propose différents portraits, individuels (la mère, le père, à moindre titre les deux enfants) mais aussi plus collectifs (la famille, la société anglaise). Le regard porté, tout comme le film, est touchant et assurément sincère.
Careless Crime – Shahram Mokri – Iran
Lors d’une journée ordinaire, quatre personnes ordinaires décident de mettre le feu à un cinéma plein de monde.
Notre avis: ***
Le dernier film de Shahram Mokri est une œuvre intéressante et très ambitieuse, pleine de précision et de détails, avec une approche Tarantinoesque pour ce qui touche à l’Histoire et à l’histoire du cinéma. Nous pouvons l’appeler un « méta-film ». La force de Careless Crime vient de son personnage principal, Takbali, complexe et mystérieux interprété par Abolfazl Kahani – écrivain et metteur en scène de théâtre, il s’agit de son premier film en tant qu’acteur. Partout en sa présence, nous ressentons un sentiment de suspense à couper le souffle. La musique choisie pour l’accompagner, les choix de cadre, la lumière puissante qui l’oblige à cligner des yeux constamment (un choix audacieux car beaucoup de plans semblent surexposés pour cette raison), et le maquillage (La moustache et la coiffure, qui font qu’il ressemble comme un goutte d’eau à un activiste pré-révolutionnaire en Iran des années 1970) créent un personnage imprévisible et très charismatique dès le début du film. Takbali (Abolfazl Kahani), évoque un zombie revenu du passé (il y a quarante ans) afin de reproduire le même geste historique aux yeux de la nouvelle génération. Le personnage n’est pas seulement un concept qui aide le cinéaste à exprimer son point de vu, mais aussi un être humain aux multiples facettes. Ceci dit, l’ensemble du film n’est pas aussi convainquant. De très nombreux personnages entrent dans l’histoire, le spectateur peut passer à coté des multiples mises en abyme – dans Careless Crime quatre films différents s’entremêlent de manière complexe -, le plaisir que le réalisateur prend à multiplier les répétitions fini par perdre son intérêt. L’image finale du film, cependant, se révèle magnifique, avec un caractère étonnant et spectaculaire.
The Wasteland – Ahmad Bahrami – Iran
Lotfollah est un superviseur d’usine de briques, servant d’intermédiaire entre les ouvriers et le patron. Le patron veut leur parler de la fermeture de l’usine. Tout ce qui compte maintenant pour Lotfollah est de garder Sarvar, la femme qu’il aime, indemne.
Notre avis: ***
Lauréat du prix Orizzonti du meilleur film, ainsi que du prix Fipresci, le style du deuxième long-métrage d’Ahmad Bahrami rappelle celui de Béla Tarr selon certains critiques – beau compliment pour ce jeune cinéaste Iranien. La comparaison se base sur le rythme très lent, la perspective philosophique désespérée et des images éloquentes en noir et blanc. Le cinéaste a choisi une forme circulaire pour dépeindre «une destruction inévitable». Dans la première moitié du film, le scénario déploie une scène originelle – la rencontre du patron avec les ouvriers – qu’il ausculte sous différents angles sous forme d’allers-retours incessants. Cette scène est représentée de manière fragmentée: à chaque fois nous allons faire connaissance avec l’un des personnages principaux. Dans la seconde moitié, après avoir écouté le discours du patron dans son intégralité, le film prend une tournure linéaire pour montrer le destin de chacune de ces personnes et pour, finalement, arriver à une fin choquante. A contrario de la forme relativement absconse, les signes et les symboles politiques du film paraissent clairs et ne nécessitent pas d’analyse particulière. Quoi que The Wasteland ne soit pas exempt de défauts – par exemple il n’ approfondit pas suffisamment ses personnages, n’amène pas chaque histoire à un point culminant émotionnel, comporte trop de répétitions mais aussi son atmosphère dans l’ensemble sonne surannée, poussiéreuse et ne crée pas un pont entre le passé et le temps moderne -, il parvient à intriguer le spectateur – Bien sûr, le spectateur patient! – atout supplémentaire qui en fait un beau film.
Nowhere special – Uberto Pasolini – Grand Bretagne/Italie
John, un nettoyeur de vitres âgé de trente-cinq ans, qui a consacré sa vie à élever son fils, après que la mère de l’enfant les a quittés peu après l’accouchement. Quand John apprend qu’il n’a plus que quelques mois à vivre, il tente de trouver une nouvelle famille parfaite pour son fils de quatre ans, déterminé à le protéger de la terrible réalité de la situation.
Notre avis: **
Le troisième long métrage du réalisateur italien Uberto Pasolini, tourné en Grande-Bretagne, se résume facilement en deux lignes: Un père célibataire quitté par sa femme après la naissance de leur enfant, souffre d’une maladie mortelle (La maladie n’est pas citée dans le film, peut-être un cancer). A l’aide des services sociaux et alors qu’il est encore en vie, il essaie de trouver une famille convenable pour s’occuper après sa mort de son fils âgé de trois ans. Cette histoire minimale, bien sûr extrêmement amère – surtout dans les scènes où l’enfant doit se familiariser avec le concept de mort et appréhender l’abandon – ne convient pas à un format long. De fait, le rythme en pâtit, le récit s’étire. Les séquences centrales (nombreuses visites à des familles candidates à l’adoption) se relèvent répétitives et longues. Leur multiplicité est vaine. Pourtant, l’accent mis sur la relation émotionnelle père-fils et la création d’instants privilégiés entre eux tend à sauver le film. Nous notons un autre point fort, la présence de l’acteur principal, James Norton, que l’on avait déjà vu fort brillant en Mr. Jones dans le film éponyme d’Agnieszka Holland. Ici, il offre une performance très différente. Nous devrons réentendre parler de lui prochainement. Pour finir, citons une note biographique intéressante sur le réalisateur (également producteur et propriétaire d’ un studio de tournage à Londres): contrairement aux attentes, il n’a aucun lien de parenté avec Pier Paolo Pasolini, mais est le neveu de Luchino Visconti!
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