Le 16 octobre dernier, Marco Bellocchio accordait une « conversation » dans le cadre cinéphile du Festival Lumière 2019. Elle précédait donc de quelques jours la sortie en salle de son dernier opus, Le traître. Un film remarquable désormais à l’affiche et que nous vous invitons à visionner (La palme oubliée) car il est fait partie des meilleurs films de la sélection officielle du dernier Festival de Cannes. Nous vous proposons dans les lignes qui suivent une transcription de cet entretien.
La conversation est menée par Didier Allouch qui ouvre les débats en évoquant la notion de « body of work ». Il émane de l’œuvre cinématographique de notre invité une cohérence certaine depuis ses débuts à l’aube des années 1960. Marco Bellocchio s’excuse d’abord de son émotion à devoir parler devant un large public [ndlr : celui du Théâtre Comédie Odéon]. Ensuite, concernant la cohérence de son œuvre, il avoue humblement ne pas en avoir conscience. Il y a de bons films et d’autres qui le sont moins mais, au final, l’important est d’avoir toujours fait ce qu’il voulait faire.
La cohérence de sa filmographie nait aussi d’un thème souvent abordé, celui de la famille. Issu d’un milieu bourgeois et catholique – mais « malgré [son] âge, [il] ne retourne pas à la foi » –, l’auteur de Fais de beaux rêves (2016, Très beau portrait masculin pour ouvrir la Quinzaine des réalisateurs) considère la famille comme une cellule primordiale. La famille nucléaire protège ses enfants. Une famille mafieuse protège aussi puis tue. Le traître aborde ce sujet. Buonogiorno, notte (2003) traite aussi de cette thématique à travers son personnage féminin qui, dans une situation déshumanisée, s’interroge sur comment sauver cet homme [ndlr : Aldo Moro] qui pourrait être son père. La part fictionnelle du film offre au président des démocrates-chrétiens la possibilité de s’échapper.
Dans la réalité, la classe politique n’a pas su le sauver car il avait des projets politiques que personne ne souhaitait soutenir. Et Bellocchio d’annoncer qu’il travaille actuellement sur le projet d’une mini-série qui portera un regard en contrechamp et en contrepoint sur l’emprisonnement d’Aldo Moro. Par contre, il concède ne plus avoir envie de réaliser un film sur Silvio Berlusconi. Nanni Moretti l’a fait dans le bon timing [ndlr : Le caïman en 2006]. Aujourd’hui, cet homme politique indéfendable n’inspire plus rien et ne scandalise plus personne. En Italie, tout a été oublié à son sujet en dix ans.
En se plaçant « ni avec l’État, ni avec les terroristes », Bellocchio dit être « un anarchiste non violent, un révolutionnaire modéré ». Mais s’il considère que le cinéma peut être un vecteur de réveil des consciences, la caméra ne peut pas être une arme. Le cinéma italien d’aujourd’hui est moins politique que par le passé. Les dénonciations d’abus politiques, religieux ou patriarcaux intéressent moins. Le cinéaste estime nécessaire la présence d’une figure incarnant l’autorité, mais l’obéissance ne doit pas être systématique. Ainsi, ramené à l’échelle familiale, être père ne doit pas être porté au rang des dogmes, y compris pour celui qui est aux cieux.
A la question relative aux embardées soudaines observées dans ses films vers le surréalisme, l’irréalisme mystérieux, Bellocchio répond qu’il n’est pas historien et qu’aucun de ses films n’a vocation à être réaliste. Ces écarts cinématographiques sont autant de provocations à la manière de Luis Buñuel, ce génie.
Dans les films composant la filmographie de Bellocchio, il y a presque toujours un personnage féminin au centre de l’histoire racontée. Pour autant, si le cinéaste avoue aimer les femmes, il ne considère pas œuvrer pour un cinéma féministe. Il faut remarquer ici que cette figure féminine centrale a souvent été soit une mère soit une sœur. Le diable au corps (1986), mieux accueilli en France qu’en Italie, a été le premier film qui a dérogé à ce constat. Faire d’une femme un personnage central sert aussi à construire une dualité. Ainsi dans Le saut dans le vide (1980), une histoire assez personnelle pour le réalisateur par rapport aux relations qu’il entretient avec sa sœur, quand démarre la liberté de la femme (Anouk Aimée), l’homme (Michel Piccoli) commence à souffrir. Finalement, La belle endormie (2012) reste aux yeux de son auteur l’unique film réalisé avec un parti pris, celui de l’admiration pour… un père.
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