A l’heure où nous pleurons la disparition de nombreuses grandes figures du cinéma –Michel Piccoli, Jean-Claude Carrière, Robert Hossein, Bertrand Tavernier…-, d’autres s’en sont allés bien plus tôt. En 1986 s’est éteint Andreï Tarkovski à l’âge de 54 ans. Il aurait eu aujourd’hui 89 ans.
Le Mag Cinéma vous propose de revenir sur la biographie du cinéaste.
Après avoir composé avec la censure soviétique en exergue au sein de l’URSS, et les nombreuses difficultés qui en résultent (délais innombrables entre ses oeuvres, demandes de coupures de plus en plus exigeantes, interdiction de présenter ses films aux festivals internationaux par peur des messages inclus dans la filmographie), le cinéaste décide de s’exiler en Occident, là où la pression est moins forte, et ce afin de retrouver une liberté de production. S’ensuit alors une période diplomatique ambigüe où le réalisateur, persona non grata de l’URSS, a peur de finir apatride, lui et le reste de sa famille.
Être cinéaste en URSS
Né en 1932 du célèbre poète Arseni Tarkovski et d’une mère correctrice, Maria Vichniakova, Andreï Tarkovski est évacué dès l’enfance en 1940 à Iourevets, une campagne située à 500 kilomètres de Moscou, à la suite de l’entrée de l’URSS dans la Seconde Guerre Mondiale.
Reparti à Moscou pour ses études, il entre au VGIK, une des écoles nationales de cinéma en URSS, en 1956 après des études d’arabe et de géologie. Après trois films d’études, Les assassins, Il n’y aura pas de départ aujourd’hui et Le rouleau compresseur et le violon, Andreï Tarkovski réalise son premier long métrage, L’Enfance d’Ivan, en 1962 lui valant le premier Lion d’Or au Festival de Venise pour un film soviétique.
Ce premier film est rapidement repéré par l’Occident. Certains, aux prémices de la nouvelle vague française, verront en lui une nouvelle vague soviétique, Jean-Paul Sartre comparant même L’Enfance d’Ivan aux Quatre cents coups de François Truffaut. Les scènes oniriques de l’Enfance d’Ivan ne correspondent pas au schéma typique du réalisme socialiste et le cinéaste par ce biais apporte un renouveau vu de l’Occident au cinéma soviétique.
Les instances bureaucratiques du Goskino commencent à se méfier de l’œuvre de Tarkovski, craignant de n’avoir pas vu un second sens qui aurait pu s’en détacher. Il signe ainsi le début d’une haute surveillance concernant ses œuvres, les autorités soviétiques ayant peur de l’image qu’elles puissent véhiculer à l’Ouest.
Andreï Tarkovski proposera ensuite comme sujet de son second film une fresque historique sur la vie d’Andrei Roublev, moine peintre d’icône russe du quinzième XVe siècle. Le sujet convient aux autorités qui y voient une manière de glorifier un artiste national mais, inquiets de ce que pourrait rendre le film, la production n’est autorisée à commencer que trois ans plus tard, en 1965. Le film est achevé en 1966 et ne sortira que deux ans après pour une avant-première à Moscou. Il faudra ensuite attendre 1971 pour une sortie plus large. Le film est placé en catégorie C et les horaires de sortie sont peu arrangeants et quasiment confidentiels.
En 1971, le Goskino commande à Andreï Tarkovski une adaptation de Solaris, roman de science-fiction de Stanislas Lem. Bien qu’à la fin du tournage plus d’une quarantaine d’objections (coupes ou censures) soient demandées par le Goskino, le film est un des seuls du réalisateur à être diffusé tel quel. Il est le seul film de Tarkovski à bénéficier d’une distribution correcte en URSS.
Seulement trois films en plus de dix ans quand les tournages ne durent en moyenne que six mois.
Le quatrième film de Tarkovski, Le Miroir, pose encore plus de problème pour le cinéaste. Le film est tout simplement refusé par le Goskino, et les choses semblent être difficiles à améliorer. Après des mois d’attente, Andreï Tarkovski hésite même à envoyer une lettre à Brejnev pour comprendre ce refus et voir si celui-ci ne pourrait faire quelque chose : silence de la presse, nombre de copies inférieur au minimum légal, refus du Goskino de le présenter aux festivals internationaux.
Vient ensuite Stalker. Une pellicule a été envoyée par l’Allemagne de l’Est spécialement pour le film et ce pour deux raisons : les Allemands attendent en effet beaucoup du prochain film du cinéaste ; afin d’éviter les défaillances techniques qui ont pu être aperçues dans de précédents long métrages. Mais la pellicule est empruntée par le Goskino pour un autre projet, et à la suite d’une grande partie du tournage, Tarkovski se rend compte que celle qui a été utilisée n’est pas bonne. En 1978, ne supportant plus toutes ces attaques à son encontre, le cinéaste est victime d’un infarctus. Il faudra recommencer l’entièreté du film avec un budget et un temps amoindris.
L’exil en Occident
Stalker est le dernier film tourné en URSS par le réalisateur gravement affecté par la pression et la censure dont il fait l’objet. Tarkovski part tourner son prochain film Nostalghia en Italie, en partenariat avec la RAI.
Le premier voyage du cinéaste en Italie aura lieu en 1979, voyage pendant lequel ce dernier fit notamment des repérages avec Tonino Guerra dont découlera un documentaire : Tempo di Viaggo.
Après les quelques années d’allers et retours en Union Soviétique, Andreï Tarkovski s’occupera de nombreux projets de l’autre côté du Rideau de Fer : de la mise en place d’Hamlet au Covent Garden à Boris Godounov.
Dès 1980, des problèmes de budgets retardent la coproduction de Nostalghia. En Juin 1980, enthousiaste à l’idée de diffuser Nostalghia, Toscan du Plantier proposera à Andreï Tarkovski que Gaumont finance entièrement le film si le Goskino et la RAI n’arrivent pas à s’entendre sur les visées financières.
Mais pour Le Sacrifice, les choses sont différentes. Le film sera en partie financé par la Suède, grâce au soutien d’Anna-Lena Wibom. Les estimations quant au budget nécessaire tournent aux alentours de deux ou trois millions de dollars. Une potentielle participation de la République Fédérale d’Allemagne est de même négociée. Quant à la société Gaumont, qui avait participé au financement de Nostalghia, celle-ci estime à présent que Le Sacrifice n’est pas un film assez prometteur commercialement parlant et décide de se retirer du projet.
Après de nombreux allers-retours en Italie, des rumeurs fusent sur le fait qu’Andreï Tarkovski ne reviendra pas en URSS.
Les films de Tarkovski commencent à être censurés en URSS, son nom supprimé des recueils officiels de cinéma. Le 21 septembre 1982, à la suite de l’arrivée de Larissa en Italie, le cinéaste redouble d’efforts pour demander que son fils les rejoigne. Mais les autorités soviétiques refusent et lors du Festival de Cannes de 1983, où fut présenté Nostalghia, le Goskino a nommé au sein du jury Serge Bondartchouk, grand opposant au cinéma de Tarkovski ayant critiqué à maintes reprises son film, l’empêchant ainsi d’obtenir la palme d’or. Face à ces nombreuses menaces du Goskino et la tournure prise lors du Festival de Cannes, Larissa et Andreï s’expriment dans une conférence de presse le 10 juillet 1984 sur le choix de ne pas retourner en Russie, en demandant l’asile politique aux États-Unis.
Si leur décision fait grand bruit dans les journaux et donne raison à l’Occident sur le manque de liberté au sein du bloc soviétique, Larissa et Andreï se retrouvent en Italie avec des visa proches de l’expiration et leur fils retenu en URSS. S’ensuit alors un appel à l’aide envers de nombreux soutiens diplomatiques pour retrouver leur fils et contre le risque d’être apatride.
Dès l’annonce de Larissa et d’Andreï face à leur choix de rester en Occident, des comités se sont fondés pour défendre les Tarkovski, consistant principalement en des fonds monétaires pour aider la famille ne vivant sans aucun revenu. Le cinéaste décide d’envoyer de nombreuses lettres aux chefs d’État de pays occidentaux : Ronald Reagan, Margaret Thatcher, François Mitterrand.
Le jeune Andrioucha est gardé en URSS « comme un otage », pour faire pression sur Tarkovski et le faire revenir en Russie. La situation n’avance pas et il faudra attendre décembre 1985. Andreï Tarkovski apprendra qu’il a un cancer du poumon, et n’aurait plus que quelques semaines à vivre.
Dans toute cette tourmente, c’est la France qui a le plus fait pour le cinéaste. François Mitterrand, avec le soutien du ministre de la Culture Jack Lang, donne des passeports à Andreï Tarkovski et sa famille, et décide de payer les frais médicaux du cinéaste « jusqu’au bout ».
A l’annonce de sa maladie, la décision de laisser son fils repartir voir sa famille est prise par l’URSS, séquence immortalisée par Chris Marker et visible dans son documentaire Une journée d’Andreï Arsenevitch. Le jeune Andrioucha arrive donc en France peu de temps après, et c’est lui qui ira récupérer les prix reçus à Cannes pour Le Sacrifice, son père étant trop affaibli pour s’afficher lors du Festival.
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