The Parralax View, la perfection glacée du soupçon

Coffret Ultra Collector Blu-ray + DVD + Livre Carlotta Films

A cause d’un assassinat

Sous les apparences d’un polar politique, Alan J. Pakula signe avec À cause d’un assassinat (The Parallax View, 1974) l’un des films les plus saisissants de la paranoïa américaine des années 1970. Lorsqu’un candidat à la présidence est abattu en pleine campagne, l’enquête officielle se referme sur la figure commode d’un tireur isolé. Trois ans plus tard, un journaliste, Joe Frady, incarné par Warren Beatty, découvre que les témoins du drame disparaissent les uns après les autres. En suivant cette piste, il met à jour une organisation secrète qui recrute, conditionne et élimine au nom d’un pouvoir invisible.

Deuxième volet de la trilogie de la paranoïa de Pakula, entre Klute (1971) et Les Hommes du président (1976), le film s’impose comme une radiographie d’une Amérique post-Watergate, rongée par la méfiance envers ses propres institutions. À travers une mise en scène d’une rigueur géométrique, presque clinique, Pakula fait de l’espace et non des personnages le véritable protagoniste du récit. Sa caméra fixe, distanciée, devient l’œil froid d’un pouvoir sans visage, élevant le thriller au rang d’allégorie politique.

Un transfert 4K d’une limpidité troublante

La nouvelle restauration 4K, supervisée par la Criterion Collection, restitue la plénitude plastique du film et la précision millimétrée du travail de Gordon Willis, le “prince des ténèbres”. Plus qu’une simple amélioration visuelle, cette édition redonne au film son grain originel, la densité de ses noirs et la brillance métallique de ses lumières.
Chez Pakula, la lumière devient langage : elle ne révèle pas, elle dissimule. Elle sculpte les visages, creuse les cadres et transforme le visible en matière de soupçon. Le visionnage en Blu-ray devient une expérience quasi sensorielle, où chaque plan respire la maîtrise formelle et la menace latente.

L’Envers des totems par Jean-Baptiste Thoret

Cette édition est accompagnée d’un livre essentiel signé Jean-Baptiste Thoret, historien du cinéma et spécialiste du Nouvel Hollywood. Intitulé L’Envers des totems, l’ouvrage de 160 pages, richement illustré de photos et d’affiches d’époque, prolonge le film par une réflexion dense et incarnée.

Thoret y retrace la genèse d’un projet nourri par les tensions politiques d’après Kennedy, analyse le rapport entre Beatty, Pakula et Willis, et éclaire la construction du dispositif paranoïaque qui innerve le récit. Au cœur de son analyse, la célèbre séquence du test de la Parallax Corporation : véritable hypnose visuelle où le héros se fait “oswaldiser” sous les yeux d’un spectateur lui-même manipulé.

L’ouvrage se clôt sur deux entretiens inédits avec Alan J. Pakula (1974 et 1998), dont un mené par Steven Soderbergh. Le cinéaste y confie combien la géométrie des lieux guide ses choix esthétiques, évoque son goût pour le travail collectif et son attachement viscéral aux acteurs. Dans un aveu d’une belle sincérité, il explique comment être passé de producteur à réalisateur fut pour lui “une révélation joyeuse : celle de pouvoir enfin croire en ses propres yeux”.

Un accompagnement critique exemplaire

Carlotta accompagne et enrichi ce coffret de bonus d’une rare pertinence, prolongeant avec justesse la réflexion amorcée par le film.

Alex Cox sur À cause d’un assassinat (The Criterion Collection, 2021, 15 min, VOST)
Le cinéaste britannique Alex Cox rappelle le contexte d’une Amérique obsédée par l’assassinat de Kennedy et la “Commission Warren”. Cette atmosphère de doute collectif irrigue tout un pan du cinéma des années 1970, de Conversation secrète à Chinatown. Chez Pakula, la mort de la journaliste renvoie directement au mystère Dorothy Kilgallen, reporter morte dans des circonstances troubles après avoir interrogé Jack Ruby.

La genèse du film, entretien avec Jon Boorstin (Pulling Focus, 2021, 15 min, VOST)
Ancien stagiaire sur le tournage, Jon Boorstin restitue la tension d’un film sans scénario achevé, tourné dans l’urgence et l’intuition. Il décrit la conception de la séquence hypnotique du test et la rigueur d’une équipe artistique et technique travaillant dans un état de vigilance créatrice.

Révisions, entretien avec Nicolas Pariser (Carlotta Films, 2025, 27 min)
Le réalisateur Nicolas Pariser relit le film comme la matrice d’un cinéma du soupçon. Pariser y voit une influence directe sur sa propre œuvre et replace À cause d’un assassinat dans la constellation du cinéma complotiste, de Marathon Man à L’Affaire Mattei. Il rend un hommage appuyé à Gordon Willis, dont la science du cadre, entre Antonioni et le giallo italien, a façonné l’imaginaire visuel des années 1970.

Il y revient sur l’esthétique du film, dont l’influence fut décisive sur ses propres débuts, et situe la trilogie du complot de Pakula dans une tradition qui, de l’assassinat de Kennedy aux attentats du 11 septembre, n’a cessé de questionner la fiabilité et la vérité des images et la manipulation du réel par les médias. Selon lui, la suspicion permanente née de cette « crise du visible » ouvre la voie à une méfiance quasi généralisée envers l’appareil d’État, prélude à la montée de figures populistes comme Donald Trump.

Enfin, Pariser replace le film dans une tradition du cinéma politique américain, où l’image devient à la fois preuve et leurre.

Avec cette édition, Carlotta Films signe l’une de ses plus belles réussites. Entre la restauration 4K d’une précision exemplaire, les suppléments passionnants et le livre éclairant et inspirant de Jean-Baptiste Thoret, le coffret s’impose comme la référence ultime et absolue sur l’œuvre de Pakula.
Un objet d’étude et de plaisir, à la fois cinéphile et politique.
Un indispensable pour toute vidéothèque éclairée.

Coffret collector disponible ici: À cause d’un assassinat – Coffret Ultra Collector 29 – Blu-ray + DVD + – La Boutique Carlotta Films