Mis à jour le 21 février, 2025
Un film d’Ameer Fakher Eldin
Avec: Georges Khabbaz, Hanna Schygulla, Ali Suliman, Sibel Kekilli, Tom Wlaschiha, Nidal Al-Askhar, Bassem Yakhour, August Diehl
Munir se rend sur une île isolée pour envisager une action radicale. Il est hanté par une parabole énigmatique que lui a transmise sa mère. Dans le silence de son île sanctuaire isolée, il rencontre l’énigmatique Valeska et son fils rude mais loyal, Karl. Bien que peu de mots soient prononcés, de simples actes de gentillesse commencent à surmonter leur méfiance mutuelle. Le lourd fardeau de Munir est progressivement allégé et son désir de vivre est ravivé.
Notre avis : **
Un film plutôt radical sur la forme comme sur le fond, parti-pris retenu pour tenter d’interroger les consciences sur un sujet très actuel, la manière dont on accueille les réfugiés, les chances qu’on leur donne de pouvoir s’intégrer, avec un ancrage fort sur ce que peut ressentir une personne qui ne parvient pas à s’intégrer. Le réalisateur par une représentation épurée, symbolique et mystique, tente de poser l’équation en revenant à l’essentiel, un homme et son avatar littéraire, un berger, handicapé, aveugle, sourd, et muet qui n’a pour raison de vivre que sa femme et sa famille, en l’occurrence sa jolie femme qui lui apporte le réconfort qui le maintien debout. Le concept est simple, efficace, digne et permet de percevoir la détresse de Munir, nous invitant à scruter son évolution. Il rappelle des entreprises cinématographiques récentes (Un homme intègre de Rasoulof dans son premier tiers) et plus globalement s’inscrit dans les pas d’un cinéma oriental, qui interroge le présent à travers les écrits anciens, les traditions (certains des films de Mohsen Makhmalbaf par exemple) ou encore dans ceux de Khalil Gibran (Le prophète) dans sa recherche de simplification de la réflexion. Cette approche naturaliste a le mérite d’une certaine radicalité, et de représenter de manière allégorique une situation vécue aujourd’hui par ceux qui ont émigré et sont rejetés par quelques uns de leurs hôtes, eux aussi aveugles et sourds à leur souffrance, qui leur imposent leur modèle sans leur ouvrir les portes qui permettent d’avancer, de se construire dans la dignité. Ce qui précipite le départ de Munir de son taudis qui juxtapose la voie ferrée, c’est, outre le mal logement, l’absence d’horizon, mais aussi, ce sur quoi il ne met pas de mot, le mal du pays. Le pèlerinage vers une terre vierge submersible (symbole?) qu’il s’impose lui permettra d’y voir plus clair, comme pour le spectateur qui pourrait cependant regretter que l’on en arrive là, s’interroger sur la bonne réception du message envers ceux à qui il s’adresse … Car quelque part, montrer qu’une personne expatriée ne rêverait dans l’absolu que de revenir sur ses terres d’origine (Yunan, à dessein, tait le passé de Munir, s’il a lui même immigrer ou s’il est né en Allemagne), c’est révéler l’échec de l’intégration et même de l’aide que les pays occidentaux se targuent d’apporter, c’est abandonner tout espoir, renoncer non pas à une promesse d’un avenir meilleur, mais à quelque chose d’essentiel, une condition de vie digne qui avait induit le départ originel, c’est donner du crédit au discours ambiant qui appuie sur l’incapacité de l’Europe à accueillir toute la misère du monde (quoi que cela puisse être vrai) pour mieux diffuser un discours xénophobe, nationaliste, et enlever toute culpabilité à la pulsion raciste. Nous ne doutons pas de la sincérité du message, ni même de sa fonction d’appel à l’aide ou de révélateur de conscience, mais cependant nous doutons fortement que le film puisse précisément heurter ceux qui pensent que la source de leur mal-être vient des autres, de personnes extérieures qui viennent profiter de la générosité de leur pays, et viendrait expliquer, dédouaner, à la manière d’une baguette magique, toutes les défaillances, sur la plan sociétal et économique des gouvernements des pays puissants. Dit autrement, le film pâtit de son timing et perd en universalité du fait que le sujet soit brûlant d’actualité. Ce sujet, plutôt beau, et universel, ce pamphlet qui pose la question la solidarité et la met en perspective par un habile procédé formel, se heurte avec notre présent, ce qui se joue en Europe, et une peu partout dans le monde, quoi qu’il parvienne à tenir le fil qu’il s’est donné, quoi qu’il propose quelques saisissantes et évocatrices scènes, comme par exemple la rencontre entre Munir et Valeska, qui peut se lire de différentes façons, Valeska faisant preuve d’ouverture envers Munir (et d’humanité) qu’une fois que celui-ci se sera emporté, puis excusé, rappelant ce dernier à ses devoirs, avant qu’il n’obtienne des droits, sous condition. Valeska, qui se révèlera celle qui se souciera de Munir, parmi les quelques autochtones repliés et soudés entre eux par leur propre tradition, petit motif d’espoir d’un changement positif, dans toute cette pénombre. Peut être est-ce ainsi qu’il faut interpréter précisément cette maxime énigmatique que Valeska souffle à l’oreille de Munir, en pleine crise d’angoisse (Tu as trop d’air. Si tu avais moins d’air, tu en manquerais moins. à moins que ce ne soit là un appel à la décroissance.
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