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Jouer avec le feu de Delphine Coulin, Muriel Coulin

Mis à jour le 4 septembre, 2024

Un film de Delphine CoulinMuriel Coulin

Avec: Vincent Lindon, Stefan Crepon, Édouard Sulpice, Benjamin Voisin, Sophie Guillemin, Arnaud Rebotini

Pierre élève seul ses deux fils. Louis, le cadet, réussit ses études et avance facilement dans la vie. Fus, l’aîné, part à la dérive. Fasciné par la violence et les rapports de force, il se rapproche de groupes d’extrême-droite, à l’opposé des valeurs de son père. Pierre assiste impuissant à l’emprise de ces fréquentations sur son fils. Peu à peu, l’amour cède place à l’incompréhension…

Un film social à la française, qui s’attaque à un sujet totalement d’actualité, l’extrême droitisation du pays, la recrudescence des idées fascistes (et plus généralement extrêmistes), la radicalisation des opinons. Rien d’anormal donc à y retrouver en acteur principal Vincent Lindon, en père de famille endeuillé courageux, aimant mais dépassé par la tournure de la crise d’adolescence de son fils (intéressant Benjamin Voisin, notamment pour passer d’un registre à un autre, de l’enfant aimant son père et sa famille, au jeune adulte qui veut s’émanciper et s’affirmer politiquement, en rébellion des idées de gauche que son père a voulu lui inculquer). Formellement, les soeurs Coulin optent pour la sobriété, dans un style qui peut rappeler un peu celui des frères Dardennes, pour sensibiliser socialement, même si elles s’autorisent quelques accélérations musicales qui viennent accélerer le rythme. Le récit linéaire s’attache à proprement introduire les personnages, leur conviction, les liens qui les unisse, cherchant à dessiner un portrait social dont on sent qu’il serait le terreau originel, une forme de didactisme s’installe à des fins dramatiques (le film cherche, maladroitement selon nous, à expliquer). Les deux premiers tiers de l’histoire suivent un fil narratif devenu classique, qui oscille entre moments d’espoir (la famille aimante, le père qui s’adoucit après une posture très dure, un espoir de sortie de crise, de l’amour et de la compréhension qui se réinstalle naturellement) et moments de crises (rébellion, tensions, radicalisations des propos, des postures, point de rupture, …). La narration présente cependant une agréable fluidité, de nouveaux enjeux se mettent en place (le frère, le rapport entre les frères, la douleur commune qui unit la famille et excuse en partie ce qui est présenté comme un trouble du jeune homme), et nous apprécions le jeu et la direction d’acteur, notamment que Vincent Lindon soit ordinarisé vis-à-vis de ces rôles de héros social, présenté avant tout comme une victime, comme un homme qui essaye de bien faire mais ne sait plus trop comment procéder, à en espèrer une amélioration des choses d’elles même (une forme de renonciation face à un combat qu’il juge perdu d’avance). Mais outre le caractère prévisible que la trame narrative introduit pour un spectateur qui ne s’y laisse plus surprendre, nous venons à regretter le regard porté, notamment une forme de simplisme et des raccourcis qui nous semblent aller à l’encontre de la gravité du sujet (pourtant présenté de tout son long comme majeur). Ainsi, la facilité s’invite lorsque la radicalisation des idées semble venir pour partie de l’extérieur, de fréquentations jugées mauvaises, et décrites comme étant essentiellement masculinistes dans des milieux sportifs (groupe d’ultras de football, groupe militant révolutionnaire prêt à casser de l’étranger « pas propre », fanatiques de MMA), ou encouragées par la jalousie, l’absence de perspectives de ceux qui ne participent pas à l’élite, et la caractère pédant de ceux qui continuent de dénigrer les idées d’extrêmes droites pour lutter contre elles. A ce niveau, l’étude sociale qui explique la montée des idées d’extrême droite (les antifas seront aussi perçus un peu plus tard comme un mal équivalent…) ne nous semble que très peu poussée, ce qui eut pourtant été nécessaire pour intellectualiser davantage le film et le rendre de fait plus nécessaire … (Dans le même registre, nous préférions bien davantage Chez nous de Lucas Belvaux). Si le film a obtenu une place en compétition à la Mostra de Venise, et si on doute qu’il puisse convaincre le plus grand nombre dans un pays qui est déjà passé de l’autre côté – sans que l’opinion ne crie, pour le moment, à la grande privation de liberté- il le doit probablement au virage qu’il prend dans son final, surprenant narrativement, mais aussi formellement. Les discours laissent subitement la place aux silences, aux regards expressifs, le temps n’est plus aux explications, après que le drame se soit invité avec une radicalité que l’on n’aurait osé soupçonner (cette dernière nous semble personnellement plus alignée avec le message d’alerte véhiculé). Il touche la famille toute entière, et pose plus encore un cas de conscience, au tribunal duquel le spectateur se trouve lui-même invité. Saisissant final, qui nous renvoie enfin à la question que le titre du film pose de manière trop abrupte et manichéenne, à jouer avec le feu, ne va-t-on pas tous ensemble nous y brûler ?

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