Mis à jour le 27 mai, 2023
Un film de Wang Bing
Liming est un quartier ouvrier proche de Shanghai, la ville la plus riche de Chine. Chaque année, de nombreux jeunes quittent leur village pour s’y installer. Ils ont entre 17 et 20 ans et viennent tous de la province rurale du Yunnan, à 2 500 km à l’ouest, où le fleuve Yangtze prend sa source. Ces jeunes Yunnanais vivent souvent sur leur lieu de travail, dans des dortoirs, des chambres insalubres, ou parfois dans de petits studios. Le temps et l’espace pour se rencontrer leur manquent. Alors ils communiquent par QQ, MSN China. Ils vivent comme des adultes mais ce sont des adolescents, et la situation instable, les pressions économiques, la dispersion géographique, brûlent leur innocence et leur jeunesse. Wang Bing va passer un an avec eux à Liming : au travail, à la maison, sur Internet, chaque jour de leurs relations professionnelles, amoureuses et amicales. À la fin de l’année, il les suivra dans la direction opposée, vers leur province d’origine, pour retrouver leur famille et célébrer le Nouvel An chinois.
Notre avis: ***
Le travail de Wang Bing présente deux qualités qui se ressentent dés les premières minutes. En premier, il s’agit d’un travail de fourmi, méticuleux, acharné, patient, Wang Bing a enquêté pendant plus de 5 ans sur son sujet pour en amasser la matière première, des rushs qui devaient être fort volumineux. Le second, très en lien, tient de l’humilité avec laquelle le réalisateur chinois – et sa caméra – s’efface littéralement devant son (ses) sujet(s). Sa caméra à l’épaule suit ses personnages, un peu comme Larry Clarke peut le faire quand il s’insère dans une communauté, et jamais la présence d’un observateur extérieur ne se fait réellement sentir: aucune mise en situation, aucune voix off, aucune explication sur l’écran, aucune direction indiqué, le regard se veut le plus neutre possible, seul persiste la direction donnée par le montage en lui même, mais le matériau reste volontairement brute, pour ne pas détourner l’attention. Ce qui se passe devant la caméra est le sujet, non le commentaire que Wang Bing pourrait en faire, ou d’un personnage fictif qu’il intégrerait devant sa caméra. Sa technique documentaire est en ceci à l’opposé de l’approche hautement (jusqu’à l’écœurement) pédagogique et didactique de Nicolas Philibert, ou dénonciatrice, véhémente et politique de Laura Poitras pour citer respectivement les derniers Lion d’or et Ours d’or. Beaucoup se sont d’ailleurs risqué, sans nécessairement être des experts de l’œuvre de Wang Bing (comme peut l’être Antony Fiant), à pronostiquer un destin de Palme d’Or à Jeunesse, sans même l’avoir vu. Entre temps, ceux là même auront peut être revus leur jugement. Jeunesse (Printemps), comme son titre le suggère, tient du portrait d’une frange de la jeunesse chinoise, au printemps (appel à révolution ?) … Ce portrait se conçoit sous nos yeux trois heures trente durant dans un mécanisme qui pour une part révèle d’un mécanisme hypnotique, la répétition des situations, des mouvements, des aspirations, des actions – quoi qu’un déplacement s’opère d’ateliers en ateliers, de personnage en personnage, d’autre part, qui nous étonne en ce que, l’adage étant bien connu, la réalité dépasse la fiction. Plus exactement, Wang Bing nous semble avoir dans son travail de montage voulu rendre compte qu’en captant la réalité, le temps qui passe, des motifs fictifs, propre au cinéma de fiction, s’invitaient d’eux même: les personnages se chamaillent, jouent, s’ennuient, se plaignent, et surtout, s’interrogent sur leur avenir, bien plus du point de vue sentimental que professionnel, comme si de ce côté là la pierre était de toute façon déjà jetée. En se balladant d’ateliers en ateliers, de situation particulière en situation particulière, Wang Bing parvient alors à nous restituer un fidèle portrait politique de la Chine d’aujourd’hui, de ses problèmes (la politique familiale, les coutumes toujours présentes, les situations d’inégalités entre ville et campagne, le patriarcat, la perte de valeurs, de sens au travail, lorsque le seul raisonnement qui s’impose est celui de la productivité et de la production massive …)
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