Mis à jour le 20 mai, 2025
Un film de Julia Ducournau
Avec: Mélissa Boros, Emma Mackey, Golshifteh Farahani, Tahar Rahim, Finnegan Oldfield, Jean-Charles Clichet, Christophe Perez, Louai El Amrousy, Ambrine Trigo Ouaked, Fabien Giameluca
Alpha, 13 ans, est une adolescente agitée qui vit seule avec sa mère. Leur monde s’écroule le jour où elle rentre de l’école avec un tatouage sur le bras.
Notre avis: ***
Alpha le nouveau film de Julia Ducournau après Grave et sa palme d’or obtenue avec Titane se révèle surprenant. Artistiquement, et conceptuellement, la réalisatrice française prend le risque de ne pas satisfaire une partie de sa base. Alpha marque un virage ou un pas de côté dans sa filmographie, quitte à tenter de séduire une nouvelle population de critiques et de cinéphiles… Il se construit en quasi miroir de Titane, traite de nombreux thèmes avec une narration musicale, basée sur le sensation, et le parti pris de nous faire vivre une tranche de vie par le prisme du regard, mais aussi des sensations d’une jeune fille au sein d’une famille, elle même représentatrice d’une société, où l’amour règne, mais peine à guérir les maux qui le rongent et se transmettent de manière intragénérationnelle. L’usage des effets spéciaux tranche littéralement avec Titane, ils ne sont plus présents pour être présents, ou pour convoquer tel ou tel cinéaste qui aurait bercé Ducournau, ils se révèlent très peu nombreux et parfois manquent de justesse dans leur réalisation – la transformation en marbre des personnes ne fonctionnent pas complètement dira-t-on. Mais en se libérant de cet objectif d’excellence formelle sur le plan technique, Julia Ducournau se recentre sur son scénario, autrement plus intime, sincère, et élaboré; elle s’appuie tout à la fois sur une technique narrative intéressante, un sujet central démultiplié dans ses différentes thématiques, de convaincantes interprétations de l’ensemble du casting, de Mélissa Boros à Golshifteh Farahani en passant par Tahar Rahim, dont on pouvait craindre dans les premiers instants du film qu’il ne parviendrait à retranscrire le mal-être de son personnage (à d’autres époques, ce rôle eut convenu parfaitement à un Patrick Dewaere ou à un Pierre Clementi) et enfin convoque un univers musical et sonore parfaitement en adéquation avec l’atmosphère des années 90 telles qu’elle a pu les vivre et chercher ici à retranscrire. Surtout, elle s’éloigne sciemment de toute codification de style de genre, et nous propose un drame, une réflexion passionnelle, mais aussi une carte postale intime, qui oscille entre son regard vers le passé, et par la portée allégorique du récit, sur notre époque. Aux antipodes du film mashup de références, en refusant le regard psychanalytique (lui préférant une lecture sensorielle, voire mystique), le film s’intéresse à une intimité particulière, celle d’Alpha, et le fait avec tact et sincérité. La dystopie ambiante sert ici de décor métaphysique (comme chez Laxe du reste) et ne constitue pas le vrai sujet, juste un contexte symbolique, une piste. Cette entreprise cinématographique se situe loin des canons des films qui ont pu traiter la période Sida dans les années 90 en France, ou un peu plus tard (du jeune cinéma français des années 90 et son désanchement, aux nuits fauves et sa recherche de fureur, de vie dans la perspective de la mort. Le geste cinématographique se rapprocherait peut être davantage d’un cinéma à la croisée de différents auteurs qui se sont servis de la science fiction pour nous livrer une part de leur regard, de leur désarroi, ou de leur constat sur l’époque, sur l’humanité, de Dany Boyle à Abel Ferrara, en passant par David Mackenzie ou Alex Garland, tout en en étant résolument très éloignés. Avec Alpha, en glissant quelques clins d’oeil jamais appuyés à Edgar Allan Poe, Ducournau nous aura parler de Sida, d’Amour, de matriarcat, de traditions berbères, de familles, de traumatismes, d’addictions, de soins palliatifs, de démons (intérieurs mais aussi extérieurs, que le vent rouge amène), d’adolescence, de deuil, de rapport à la sexualité, de harcèlements, de mise au rebut, de regards excluants, de Julia Ducournau aussi. Mais chut, on ne vous l’aura pas dit.
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