Marie Losier était à la Mostra de Venise où son nouveau documentaire Peaches Goes Bananas, émouvant et intime sur la punk star canadienne, était projeté dans le cadre des Giornate Degli Autori. A cette occasion, nous nous sommes entretenus avec elle.
Le Mag Cinéma: Bonjour Marie, l’Université de Nanterre, des études de littérature, les Beaux Arts à New York, un premier long métrage qui sort en 2011, pouvez-vous nous parler de votre parcours, et notamment de ce moment où vous vous dites, tiens je vais être cinéaste ?
Marie Lozier: Je ne me suis jamais dit tiens je serais cinéaste ! Je crois que c’est juste la vie qui a décidé le parcours, c’est plutôt la liberté que j’ai eu de partir avec deux valises à New York, et de ne pas faire les études que je me destinais à faire, mais de faire de la photo, de la peinture, et d’atterrir plutôt dans le cinéma underground, et de découvrir le 16 mm, la pellicule et un groupe d’amis artistes qui passent de la poésie à la performance, au cinéma, qui cherche à ce que tout soit mélangé, tout soit fait sans économies, mais avec de l’entraide, c’est cela qui m’a amené à faire des portraits de gens, qui sont mes amis. Et ensuite, cela s’est fait petit à petit.
LMC: Est-ce qu’il y a une rencontre en particulier qui change la donne à ce moment là ?
ML: Il y en a 2, 3, 4 … La première ça a été avec les frères Kuchar , George et Mike Kuchar, qui ont influencé tout le cinéma underground, par exemple John Waters. ils ont toujours filmés leur famille, leur mère, les copains, qui sont passionnés de cinéma américains, hollywoodiens, et qui ont filmés pendant 20 ans. Ce sont deux frères jumeaux identiques. Quand j’ai rencontré Mike, je lui ai demandé comment me servir de ma caméra 16 mm, et lui en fait, il m’a mis dans un film. J’ai passé du temps avec lui, j’ai regardé comment il faisait, et j’ai fait mon premier portrait sur Mike « Birth, Bad and beyond« . Quand son frère a vu le film, il m’a dit ah je viens de voir le film, j’adore, et on a fait un deuxième portrait avec George « Electrocute your stars« . Ce sont des portraits qui sont faits dans ma chambre, et qui ont m’ont fait basculé vers une série de portraits. J’avais d’autres envies, dans le théâtre avec Richard Foreman, et ensuite, une très très forte amitié qui a changé ma vie, c’était Tony Conrad
LMC: Peaches Goes Bananas on le voit aujourd’hui … Mais votre premier long métrage, multi récompensé à Berlin, date de 2011, et vous aviez commencé à filmer Peaches bien avant …
ML: En 2006. En fait je ne savais pas que ca allait donner un film. Je partais de New York pour la première fois, avec cette rencontre avec Genesis et Lady Jaye qui m’ont embarqué avec eux, j’ai pris une semaine off, j’ai embarqué des bobines, et je me suis retrouvé en tournée avec le groupe Psychic TV dans un bus, ce qui faisait rêver, et je savais même pas que je faisais un long métrage, je ne savais pas ce que je faisais, et au Botanique à Bruxelles, Psychic TV donnait un concert en ouverture de Peaches. dans les couloirs, je filmais avec ma Bolex, y a Peaches qui déboule dans un costume extraordinaire en argent, et qui parle avec Genesis, et elle me dit viens avec moi ! Elle m’embarque dans les loges et j’ai pu filmer son groupe. Je lui ai envoyé les bobines après. Elle a tellement aimé que quand elle est revenue à New York parce qu’elle allait voir sa sœur, on a commencé à filmer dés qu’on se voyait. Et tout ça, ça fait 17 ans.
LMC: En 2013, vous aviez déjà fait un film sur Peaches …
ML: C’était plus pour une rencontre que je devais faire, pour un magazine, d’artistes à la biennale, et comme je ne connaissais personne, Peaches me dit, bah moi je suis là, on prend une gondole et on filme, et ça fait une petite vidéo.
LMC: Guy Maddin, Alan Vega (chanteur de Suicide), Richard Foreman au théâtre, qu’est-ce qui fait que vous vous intéressez à un ou une artiste ?
ML: Si jamais je m’intéresse à quelqu’un c’est qu’il y a eu une rencontre. On se rend compte aussi que c’est un certain milieu, et dans tous les milieux, il y a des rencontres. On passe du théâtre à la musique, de la musique à la peinture, ce sont les rencontres qui font que ça devient des amitiés ou des films, mais il n’y a pas un film où je me suis dit tiens je vais faire un film sur quelqu’un. C’est la rencontre, l’amitié, qui fait naître le désir de filmer, c’est ma façon de gérer la vie, de regarder les gens. Ce sont souvent des gens qui sont tout le temps dans la création, leur quotidien est dédié à la création. Passer du temps ensemble, c’est aussi créer chacun dans son coin, et pour moi de créer un portrait avec eux, et mes moyens.
LMC: Précisément, quand vous créez ces portraits, vous le faites avec l’artiste. Quelle est la part de collaboration ? Si on prend Peaches, on peut penser qu’elle montre tout, mais peut être qu’elle a voulu quand même garder le contrôle sur certains aspects, ou qu’il y a des choses qu’elle ne voulait pas montrer ?
ML: Non, car c’est assez instinctif. On sent quand on connait vraiment quelqu’un. Il y a des choses que la personne révèle tout de suite, en disant ça je veux pas qu’on le filme, qui amène à flmer certaines choses, ou par exemple certaines histoires qui nous permettent de rêver à certaines scènes, pour mieux comprendre la personne, et qui peuvent amener à un choix de décors, une mise en scène, un espace, une question documentaire à développer. La personne le fait ou pas, s’embarque ou pas, ou alors plus surprenant, peut réagir et proposer autre chose, prendre une autre direction. Je pense que cette collaboration c’est très fluide. Ca se fait vraiment avec le temps, le travail régulier. On travaille à deux, et il n’y a pas de confrontation.
LMC: le documentaire ouvre par votre voix, une question, seul moment où on vous entend, …
ML: Ce n’est pas moi ! C’est Peaches …
LMC: La question qui est posée a trait au rapport au corps. La question vous semblait évidente ?
ML: C’est essentiel pour moi. Tous les films que j’ai faits, même sur la musique, c’est toujours d’abord le corps. Et Peaches, pour moi, c’est un premier film sur l’effet que la musique a sur le corps, et le fait que le corps devienne un objet d’art, comme avec Genesis d’ailleurs, mais en transformation. Aussi le corps avec le temps. qui veillit. Mais surtout l’énergie du corps, la beauté du corps, comment la mise en scène, la musique transforme le corps et le rend beau … En 17 ans on voit le personnage changer, et moi aussi j’ai beaucoup évoluer, j’ai changé ma façon de filmer, j’ai appris aussi à beaucoup mieux gérer les tournages. Je m’intéresse alors à comment le corps devient une danse, et questionne la maladie. Il y a beaucoup de questions sur le corps qui sont en rapport avec la création mais aussi avec le fait de vivre avec son corps.
LMC: Le film est tourné en 16mm, peut-on vous demander le nombre d’heures de rush que vous avez collectées ? Et à quelle fréquence avez-vous rencontré Peaches ?
ML: Je suis toujours nulle pour répondre à la question du nombre d’heures de rush, faudrait voir avec ma super monteuse … Car y avait 7 To d’archives à regarder, beaucoup de tournages en vidéo que j’ai faits, pas mal de 16 mm, mais surtout le gros travail pour moi, c’est le son !
Il y énormément d’interviews, d’histoire et de sons ambiants à écouter, c’est là où on s’arrache le plus les cheveux … Les rencontres avec Peaches se faisaient épisodiquement, c’est comme un film gruyère, avec des trous. Il y a des années où j’ai beaucoup filmé parce qu’on était toutes les deux à New York, ensuite, j’allais à Toronto, j’en profitais si elle était là, ou j’allais voir ses parents. Après elle venait aussi beaucoup voir sa soeur à l’époque, à Whiteplane à côté de New york, où on se voyait. Après j’ai déménagé en Europe, Peaches était à Berlin, et bizarrement j’ai habité l’appartement contre son mur sans le savoir et on s’est retrouvé. J’ai aussi fait d’autres films qui ont pris du temps, et je suis revenu dessus. C’est très lié à ce qu’elle faisait, et ce que moi je faisais aussi, ce n’est pas un film qui se fait en une fois.
LMC: On revient sur votre passé littéraire. En dissertation, on reprend souvent la citation d’Hugo: « Quand je vous parle de moi, je vous parle de vous ». Est-ce que quand vous parlez de Peaches vous parler de vous, et des femmes en général ?
ML: Bien sûr ! C’est un de mes films qui me ressemblent le plus. C’est vraiment un film de Marie quelque part. Et c’est vraiment un film qui parle de la liberté … beaucoup plus que de la femme, des femmes.
LMC: Quel rapport entretenez-vous avec la part la plus intime que Peaches vous a confié, vous sentez-vous investi de quelque chose ?
ML: En fait je n’ai pas ressenti, j’ai vécu. C’est la rencontre avec sa soeur qui a été la plus importante. Ca a été immédiat. On a tout de suite joué ensemble. Elle était malade mais tellement vivante, tellement joyeuse, tellement drôle, tellement artistique, que le regard que j’ai pu voir en regardant les rush que Peaches portait à sa soeur, m’a énormément ému, car j’ai vu ce que j’ai filmé sans savoir au moment où je l’ai filmé, parce que je l’ai vécu. Une intimité vécue plus que ressentie donc.
LMC: Quand on fait un portrait, on choisit un angle. Quelque chose que l’on souhaite mettre lumière, une petite idée que l’on peut avoir. Mais une petite idée sur 17 ans, ça devient quoi ?
ML: J’ai jamais une idée c’est d’abord une rencontre. Ca sera ce que ça sera sur le moment, mais c’est vraiment le temps qui dessine le film, mais aussi, quelque chose qui n’est pas assez dit en général, c’est au montage, avec, par exemple Gaelle, avec qui j’ai travaillé aussi, que le film se dessine. Parce que c’est un tel travail de recherches, de construction artisanale, du son, de l’image et de rechercher à travers 17 ans, un film qui ne soit pas linéaire, pas chronologique, qui ne soit pas non plus un film dont on se dit qu’il est à Paris ou à Berlin, mais qu’il y ait une émotion, et une traversée avec une histoire, je pense que le film il se dessine là, même si au cours du tournage, on dit action, on se dit ah tiens il manque ça, ah on pourrait essayer ça et le film se dessine au cours du temps.
LMC: Est-ce que vous vous êtes posé la question d’apparaître à l’écran ?
ML: Pas du tout. Non par contre, quand on a regardé les rushs avec Gaelle je me suis vu, et je me suis dit, ah j’étais pas mal à l’époque. C’est très bizarre de se revoir. Et de s’entendre tout le temps. Je déteste m’entendre. On m’entend tout le temps rire, commenter. C’est un travail très compliqué pour enlever ma voix, mes rires. On a essayé plein de choses avec Gaelle et au final on a tout retiré car on a trouvé le fil ?
LMC: Peaches Goes Bananas, à voir en salles, en festival, dans un musée, en concert ?
ML: Pour moi c’est un film qui doit être vu dans une salle du début à la fin. Il y a une histoire qui se suit, si on arrive au milieu du film je pense qu’on rate le film.
LMC: Ce titre Peaches goes to bananas, il était là dés le départ vous en aviez un autre en tête ?
ML: Non aucun, c’était dés le début. Avant même de faire le film. Avant que je sache que j’allais faire le film, j’étais en train de manger un Banana Split à Brooklyn avec mon ami Jonathan Caouette, et je me suis dit, il faut que je trouve un titre, parce que ça m’aide parfois à penser l’histoire du film, à trouver une continuité, et elle s’appelle Peaches. Et on a eu un éclair: Peaches goes bananas ! Ca ne m’a jamais quitté c’était déjà en 2008. Pour moi ça représente bien peaches, l’énergie, les fruits, tout l’univers de l’anglais, du jeu de mot, de la relation aux mots, de la création du vocabulaire anglais qui est génial pour ça.
LMC: Trois aspects ressortent du portrait, l’importance de la famille, de la famille recomposée, la troupe, mais aussi, une vie débordante avec des fêtes, mais sans confort, sans luxe. Quel est l’aspect qui vous a le plus frappé ?
ML: Je pense tous les trois. La famille, ça me touche beaucoup dans le sens où chacun, en tout cas, pour ma part, recompose une famille avec ses amis artistes, ou les gens qu’on rencontre, et j’ai vu combien une famille pouvait soutenir un travail qui était aussi extrême, différent peut être de ce que les parents font, et avec un tel amour, et combien la famille pouvait être inclue dans ce voyage d’être artiste, et le confort ça n’a jamais été dans ma vie, donc ça ne m’a pas choqué. C’est vraiment une punk, c’est tellement dans mon univers, dans ce que j’ai eu dans ma vie à New york que cette partie là a été naturelle.
LMC: Vous êtes enseignante à la HEAD à Genève, quel est le premier ou le seul conseil que vous donnez à vos élèves, s’il devait y en avoir un, quand ils se lancent dans l’art et dans le cinéma en particulier ?
ML: Ne jamais ma parler de ce qu’ils vont écrire, ou alors d’aller chercher de l’argent, mais s’ils ont un sujet de documentaire, de d’abord le faire, d’abord le filmer ne pas attendre de trouver l’argent, d’écrire le processus, mais trouver le plaisir et ne pas rater le coche, et ensuite on se débrouillera.
LMC : Un mot sur vos autres projets en cours, vous êtes en train de faire un portrait d’un groupe The residents qui s’appellerait beyond the mask, mais aussi vous travaillez sur une comédie musicale, Sugar Bomb …
ML: Le film sur The Residents a changé de nom, il s’appelle maintenant Schizo in limbo, ça fait 6 ans maintenant que je travaille sur ce film, et je suis en train de le monter. Ce sera une surprise bientôt, et ca été merveilleux. Et la comédie musicale, ça fait plusieurs années que je suis sur le projet, on est en train de le développer, et c’est aussi lié à la musique, la dance, et l’addiction au sucre, mon addiction, projet qui me permet une liberté totale.
LMC: Est-ce qu’il vous arrive d’employer l’expression « ça c’est du cinéma! », et si oui, quel sens vous lui accordez ?
ML: Non, j’ai jamais dit ça. Par contre, je dis ça c’est un beau film.
Merci. Merci à vous.
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