A bras le corps était projeté à la Mostra 2025, dans la section Spotlight. Ce film nous a séduit pour son scénario très épuré, et sa mise en scène, qui vise à l’essentielle, pour mieux se recentrer sur son sujet, un récit qui renvoie nécessairement à notre époque.
Voici notre entretien avec Marie-Elsa Sgualdo la réalisatrice et son interprète principale Lila Guéneau.
Le Mag Cinéma (L.M.C.) : Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?
Lila Guenot (L.G.) : Bonjour, je m’appelle Lila Guenot, j’ai 20 ans. J’ai commencé le cinéma assez jeune, en passant des castings. Récemment, on a pu me voir dans H the Night, réalisé par Caroline Poggi et Jonathan Vinel, et je joue aussi dans À bras le corps, qui devrait sortir début 2026, réalisé par Marie-Elsa Gualdo.
Marie-Elsa Sgualdo (M.E.S.) : Je m’appelle Marie-Elsa Sgualdo, je suis réalisatrice. J’ai déjà fait plusieurs courts-métrages, dont le dernier, On peut pas tout faire en même temps mais on peut tout laisser tomber d’un coup, était présenté à Cannes.
L.M.C. : Pouvez-vous nous parler de votre rencontre ?
M.E.S. : J’ai découvert Lila dans un court-métrage de Maé Sonnet. J’ai eu un énorme coup de cœur pour elle. Quand nous nous sommes rencontrées, c’était comme si nous nous connaissions depuis toujours. La discussion a été immédiate, fluide, et elle incarnait exactement le personnage d’Emma que je cherchais pour À bras le corps : une actrice authentique, sans artifice.
L.G. : Oui, une rencontre, c’est toujours partagé. On s’est rencontrées un an avant le tournage, en mai 2023, à Paris. Puis six mois plus tard, on a fait des essais avec Sandrine Blancke, qui joue la mère d’Emma, et Thomas Doret, qui interprète son mari. Tout s’est passé très naturellement. Petite anecdote : quand on s’est vues la première fois, Marie-Elsa m’a dit : « Ah, tu as vraiment cette cicatrice ! ». Elle ne s’en souvient plus, mais moi oui, ça m’avait marquée.
L.M.C. : Quel a été le point de départ d’À bras le corps ? Était-ce une intention formelle ou le sujet avant tout ?
M.E.S.. : Le sujet avant tout. C’est le prolongement de réflexions que j’ai déjà menées dans mes courts-métrages. J’avais cette voix intérieure, une voix féminine, qui demandait : « Pourquoi les choses se passent ainsi ? ». C’est aussi une somme de récits, de témoignages et d’expériences de femmes, d’hier et d’aujourd’hui. Mon désir était de défendre ce personnage et, à travers elle, toutes ces femmes.
L.M.C. : Si je vous dis que l’on sent une influence de Robert Bresson, est-ce un compliment ou une erreur ?
M.E.S. : C’est un compliment ! Mais je dois avouer que je me suis interdit de regarder des films pendant la préparation, de peur d’être influencée.
L.M.C. : Ce film se déroule à une autre époque, mais vouliez-vous aussi parler de la nôtre ?
M.E.S.: Pour moi, c’est avant tout un film contemporain. Les problématiques que traverse Emma sont encore celles auxquelles les femmes sont confrontées aujourd’hui. Il fallait intégrer l’époque représentée pour mieux la dépasser et en faire un film actuel.
L.M.C. : Comment avez-vous construit ensemble le personnage d’Emma ?
L.G. : Nous avons eu une semaine de préparation en Suisse, juste avant le tournage. J’ai rencontré les autres comédiens, ce qui m’a permis de mieux situer Emma dans son parcours. Comme nous ne tournions pas chronologiquement, cela m’a aidée à garder une vision globale de son histoire. Ensuite, sur le tournage, nous communiquions beaucoup. Marie-Elsa est très précise, chaque détail compte, et nous travaillions scène par scène.
M.E.S.: Oui, c’était un vrai dialogue. On cherchait ensemble, entre chaque prise.
L.M.C. : Vous travaillez plutôt avec peu de prises ou beaucoup, plutôt école Eastwood, ou école Kechiche ?
L.G. : Nous faisions beaucoup de prises, parfois neuf ou dix. Les plans séquence de Benoît Dervaux, notre chef opérateur, le nécessitaient. Chaque détail devait être juste. Pour moi, c’était intense, mais Marie-Elsa avait le recul nécessaire. On refaisait jusqu’à ce qu’elle soit pleinement satisfaite.
M.E.S.: C’était toujours constructif, et Lila remettait de l’intensité à chaque prise.
L.M.C. : Votre film aborde aussi le passé de la Suisse, sa neutralité, et l’industrie de l’armement. Est-ce encore tabou aujourd’hui ?
M.E.S.: Je n’ai pas encore montré le film en Suisse, mais je pense que cela suscitera des débats et des critiques. Pour moi, c’est une question importante.
L.M.C. : Peut-on dire que votre film est féministe ? Marxiste ?
L.G. : Je dirais humaniste.
L.M.C. : Le scénario a-t-il connu beaucoup de réécritures ?
M.E.S.: Oui, avec l’aide de Nadine Lamari, scénariste. Sa rigueur a été essentielle.
L.M.C. : Travaillez-vous avec un storyboard ?
M.E.S.: Non. Avec Benoît Dervaux, nous préférons garder une certaine liberté. Les repérages donnent une base, mais la présence des comédiens change tout. Le storyboard fige trop les choses.
L.M.C. : Avez-vous été influencée par des tableaux ?
M.E.S.: Oui, nous avons pensé à Mircea Cantor, entre autres. Mais surtout, je m’interdisais de regarder des films pendant le processus. Mes influences viennent davantage des gens que je rencontre.
L.M.C. : Comment avez-vous trouvé vos décors ?
M.E.S.. : C’était difficile car nous avions peu de moyens pour un film d’époque. J’ai beaucoup travaillé avec Sarah Van Garde, notre cheffe décoratrice. Elle a fait un travail magnifique, à partir d’archives et de dessins. L’essentiel était aussi de trouver des partenaires qui partagent mes valeurs.
L.M.C. : Vous avez confié le rôle du pasteur à Grégoire Colin. Pourquoi lui ?
M.E.S.: C’était un choix tardif. Je le connaissais surtout des films de Claire Denis. Il a une sensibilité et une humanité rares. Il a été un partenaire précieux, notamment pour Lila.
L.M.C. : Le titre À bras le corps est-il polysémique ?
M.E.S. : Oui. Il évoque l’idée de prendre à bras le corps le destin, les épreuves, mais aussi le bébé. C’est un titre qui reflète le parcours d’Emma, mais aussi le mien.
L.G. : Pour moi, ça reflète surtout la détermination de Marie-Elsa : elle ne lâche rien.
L.M.C. : Dans quelle mesure le film vous ressemble-t-il, Marie-Elsa ?
M.E.S. : J’y ai mis beaucoup de moi. Le processus a été long, j’ai grandi avec lui. Je me dévoile à travers ce film.
L.M.C. : Avez-vous déjà des distributeurs ?
M.E.S.: Oui, en Italie et au Benelux. Nous espérons en avoir bientôt en France.
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