A la sortie de la restauration de Peaux de Vaches, nous avons rencontré la réalisatrice Patricia Mazuy.
Le Mag Cinéma : Deux frères, l’un paysan et l’autre qui déteste la terre, brûlent leur ferme tuant par accident un homme. Roland le frère ainé sort de prison et vient bouleverser la vie de son jeune frère. Sélectionné au premier festival d’Angers, où il a gagné un prix, puis sélectionné à « Un certain regard » au Festival de Cannes, Peaux de Vaches, votre premier long-métrage produit en 1988, revient au cinéma aujourd’hui, récemment restauré sous votre direction. Pourquoi avez-vous choisi le titre « Peaux de Vaches » ?
Patricia Mazuy : C’était un bon titre. L’écriture du scénario avait duré longtemps, j’étais passée un peu par toutes les étapes, j’avais compliqué l’histoire mais après j’étais revenue à une sorte de truc minimaliste. Le titre plaisait au distributeur et producteur. Je le prenais aux premiers degrés vu qu’il y avait les vaches qui brûlaient au début.
L.M.C : Comment aviez-vous composé votre casting ?
P.M : Je l’avais écrit pour Jean-François Stévenin car j’étais très amoureuse de son film Passe Montagne. J’étais stagiaire monteuse sur Une Chambre En Ville et il jouait un second rôle dedans et je lui avais dit « je vais t’écrire un grand rôle », mais c’était cinq ans avant. Après j’ai demandé à Sandrine Bonnaire de venir faire Annie ce qui a rendu le film possible. Ensuite, j’ai cherché un frère pour Jean-François Stévenin. Il y a un directeur de casting qui s’appelle Richard Rousseau qui m’a fait penser à Jacques Spiesser, très connu auparavant et qui était dans une période un peu moins connu. Je les ai invité à bouffer tous les deux et j’ai trouvé qu’ils faisaient bien frère.
L.M.C : Entre le scénario d’origine et le film monté, êtes-vous passée par différents stades d’écritures ou bien le scénario était-il dès le départ fermé et arrêté?
P.M : C’est compliqué un premier film…je ne savais pas très bien diriger les acteurs, c’était un tournage très difficile, je n’étais pas du tout prête à tourner. La première partie du tournage a été extrêmement violente et dure. Pour la deuxième partie, j’ai fait venir une table de montage le dimanche pour regarder ce que j’avais fait et là j’ai fait évoluer. Le rôle de Sandrine Bonnaire n’existait quasiment pas au scénario, elle avait quelque chose d’injouable. Au fur et à mesure j’ai construit, et réécrivais pour la semaine. Il n’y avait pas assez de violence donc on augmentait la bagarre.
L.M.C : Annie, interprétée par Sandrine Bonnaire, est la grande figure féminine du film, c’est un personnage fort, déchiré entre deux hommes. Que vouliez-vous transmettre à travers elle ?
P.M : Le film était vraiment sur l’histoire des deux frères. Elle était le regard et en même temps il fallait lui donner des outils de jeu. Je voulais la faire exister comme personne. Elle se retrouve tout d’un coup avec un mari qu’elle ne connaît pas. Sandrine est une grande actrice sur qui je pouvais investir ce mystère et il fallait que je les éclaircisse.
L.M.C : La fille d’Annie, Anna – toute jeune Salomé Stévenin aux côtés de son père, a aussi une place importante dans le film. Elle n’a que 3 ans. C’était compliqué ?
P.M : Il n’y a pas eu de direction de jeu. Il fallait la mettre dans des situations et qu’elle ait confiance avant donc je l’avais beaucoup babysitté pendant six mois. Je suis très reconnaissante à sa mère de ne pas être venue pendant le tournage. C’était la sœur de Sandrine qui s’occupait d’elle hors plateau. Elle avait une présence déjà très forte.
L.M.C : Vous désiriez montrer une campagne moderne, agressive et violente. Pourquoi aviez-vous choisi de parler du monde rural, de l’agriculture ?
P.M : En dehors de mon père, toute ma famille [venait du milieu] paysan et je voulais réagir contre une vision bucolique, champêtre , joyeuse de la campagne, parce que moi-même j’avais un rapport amour/haine avec la campagne. Je voulais montrer que les paysans modernes ne sont pas des gens, juste avec des robes à fleurs qui vont sauter dans les foins. C’était en réaction.
L.M.C : Dans votre film, le point de vue de Jean-François Stévenin est mis en lumière par le son agressif, comme nous le voyons dans la scène des révélations où vous avez utilisé pour la première fois le son d’oiseaux agités. Parlez-nous un peu de votre choix de bande son … Aviez-vous des références pour vous inspirer?
P.M : J’aimais beaucoup les westerns, ça se voit beaucoup dans le film dont la musique. Théo Hakola était dans le groupe de rock Passion Fodder de l’époque. Il a fait une très belle musique et l’idée était que la musique et les sons de moissonneuses batteuses stridents et les tracteurs se mélangent.
L.M.C : 30 années séparent la réalisation de ce film de sa restauration. Quel est votre regard aujourd’hui sur celui-ci ?
P.M : Le film a été sauvé par la monteuse Sophie Schmit car le film pataugeait. Le scénario est d’ailleurs parfois hésitant par moments. Il avait des faiblesses et des forces que le film a gardé avec le temps donc je ne le changerais pas. Quand on le restaurait, j’étais avec Gaël le distributeur et c’était marrant comme à quel point, je me souvenais très bien de toutes les discussions que j’avais eu entre chaque plan que j’ai pu faire, alors que sur d’autres films que j’ai réalisé, mes souvenirs se mélangent. Mais comme c’est le premier, on s’en rappelle plus et c’est vrai qu’il n’y avait pas beaucoup de plans.
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