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CANNES 2013 Rencontre avec Chloé Robichaud – Sarah préfère la course

Mis à jour le 25 mai, 2015

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Rencontre avec Chloé Robichaud, jeune réalisatrice québécoise de 25 ans, sur la terrasse du Palais des Festivals et des Congrès, lors du festival de Cannes 2013 après la projection de Sarah préfère la course en compétition Un Certain Regard et en lice pour la Caméra d’or

 Mag Cinéma : Un court métrage à Cannes l’année dernière, un premier long métrage en sélection Un Certain Regard et en lice pour la caméra d’or à Cannes, peut-on parler de rêve éveillé ?

Chloé Robichaud : Oui c’est un véritable rêve éveillé. Je remercie le festival de Cannes  de me le faire vivre aussi jeune.  C’était le plan A que j’avais dans la vie et il fonctionne alors je touche du bois pour que ça continue.

 

M.C. « Sarah préfère courir » aurait-il pu s’appeler « Chloé préfère filmer » ?

C.R. Oui. C’est sûr que Chloé préfère le cinéma ! Plus jeune je rêvais moi-même de courir et de participer aux Jeux Olympiques, mais c’est mon autre rêve, le cinéma, qui a pris le dessus.

 

M.C. Qu’est-ce qui vous relie à l’athlétisme et plus précisément à la course de fond ?

C.R. En fait je voyais les Olympiques très jeune et l’esprit de compétition, la fierté sportive« venaient me chercher », je trouvais cela très beau. J’ai cherché à m’inscrire dans une équipe, mais il n’y avait pas d’équipe dans ma ville. Après c’est le cinéma qui « venait me chercher » et il y a eu un concours dans un journal, alors que j’avais treize ans, il fallait écrire un synopsis de film, je pensais à mon rêve de course, j’ai écrit le synopsis sur ce sujet. Le film s’appelait La course finale, ce qui n’était pas un très bon titre, mais j’étais toute petite, et le personnage principal s’appelait Sarah. Depuis cela a beaucoup évolué, mais la genèse de « Sarah préfère la course » part de là !

 

M.C. Quel était le point de départ de ce film, était-ce le sujet que vous vouliez à tout prix tourner pour votre premier long métrage ?

C.R. Oui cela remonte à loin. C’est parti du projet de synopsis que j’ai écrit à 13 ans, une petite idée qui a évolué. J’ai voulu parler du passage à l’état adulte, des conséquences des choix de vie que l’on fait. Je suis allée à fond sur ce sujet. J’ai commencé à l’écrire alors que j’étais à l’université.

 

 

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M.C. Quels auteurs vous ont bercé, quelles sont vos références ? Denys Arcand peut être ?

C.R. Vous venez de citer ma référence préférée. Il est pour moi un grand modèle. J’aime son cinéma, très verbeux, intellectuel parfois mais divertissant, réfléchi. Je regarde plein de films, je pense à Wes Anderson, mais aussi à Bergman dans des genres très différents. J’aime le cinéma.

 

M.C. Ces références sont pourtant en apparence éloignées de votre propre cinéma ?

C.R. Oui mais quand on y réfléchit, on peut trouver des petites touches d’inspiration. J’emprunte à Wes Anderson les plans fixes et l’humour décalé, à Denys Arcand un aspect politique, mais au final je fais mon cinéma.

 

M.C. Le cinéma québécois a-t-il sa propre identité, qui dépasse le mélange des influences du  cinéma français et du cinéma américain ?

C.R. Depuis ces quelques dernières années, j’ai l’impression qu’il se passe quelque chose de très fort au Québec. Aux Oscars, trois films canadiens ont été nommés d’affilée pour le meilleur film en langue étrangère – Incendies de Denis Villeneuve en 2011.Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau en 2012, Rebelle de Kim Nguyen en 2013 NDLR- trois films québécois ! C’était du jamais vu ou presque. Les films sont projetés dans les plus grands festivals, ce qui inspire tous les réalisateurs québécois. Le cinéma québécois a son identité, c’est certain, mais il est de plus en plus universel, et c’est la raison pour laquelle notre cinéma s’exporte de plus en plus.

 

M.C. Côtoyez-vous les fers de lance que sont Denis Villeneuve, Xavier Dolan, ou Jean Marc Vallée qui brillent de milles feux ? Vous ont-ils aidé pour faire votre film ?

C.R. Je n’ai pas eu la chance de rencontrer Denis ou Xavier, mais j’ai travaillé avec d’autres réalisateurs québécois qui ont relu le scénario ou m’ont donné leur avis sur le montage.

 

M.C. Avez-vous été surprise du très bon accueil du film à l’issue de la projection ?

C.R. J’ai été touchée. Surprise, oui, mais au fond de moi  je l’espérais. C’est le premier film d’un certain nombre de personnes dans l’équipe, que ce soit le directeur photo, le directeur artistique, ils étaient dans la salle .Le bon accueil est pour nous tous un bel encouragement.

 

M.C. Le film s’inscrit-il obligatoirement dans notre époque ou la portée est-elle plus large ?

C.R. J’espère que c’est intemporel, mais le film parle de notre génération, de la génération des 18/30 ans de notre époque, mais je ne sais pas dire si cela restera applicable dans dix ans, même si j’espère que le film vivra longtemps.

 

M.C. Est-ce une observation, une réflexion, qui porte nécessairement sur la société Québecoise  ?

C.R. Je suis partie d’une observation québécoise, mais j’ai veillé à ce que le scénario soit le plus universel possible parce que je souhaite que cela résonne pour d’autres femmes. Hier à la fin de la projection, une femme iranienne est venue me parler du film pour me dire à quel point cela l’avait touchée, elle avait pu s’identifier au personnage. Cela m’a vraiment fait plaisir. J’ai réalisé que des Sarah il n’y en a pas qu’au Québec, il y en partout dans le monde !

 

M.C. Passer du court métrage au long métrage se fait-il sans surprise ?

C.R. Il y a eu des surprises oui ! Un long métrage, c’est plus long ! Les journées sont plus longues, les équipes plus fatiguées. Humainement, je devais être présente pour rapatrier les troupes, dire à tout le monde «On lâche pas ». Le tournage était fatiguant parce qu’on avait peu de budget, donc peu de journées pour tourner,, tout devait être condensé. Il y a eu 23 jours de tournages pour 80 scènes.

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M.C. Vous faîtes vous l’apôtre d’un certain féminisme ? Sarah est assez masculine, Antoine est plus romantique,  est-ce revendicatif ?

C.R. Non ce n’est pas revendicatif. Généralement, les personnages masculins sont ceux portés sur la carrière, la femme est plus axée sur le côté social. Ici avec Sarah et Antoine les rôles sont inversés. Antoine dit qu’il ne sait pas ce qu’il veut faire dans la vie, mais qu’il aime les gens. Il est romantique, il rêve de mariage tout en restant très viril. Je ne pense pas qu’il soit mou, ou rose, je voulais qu’il soit homme. J’ai plein d’amis comme cela, qui sont très romantiques. Mon frère qui a 18 ans était à la projection hier, il voyait le film pour la première fois, il m’a dit qu’il s’identifiait au personnage d’Antoine. Il me dit « oui c’est comme ça ». Je suis contente, c’est que cela fonctionne !

 

M.C. Ceci est particulièrement applicable à la société et aux mœurs québécois …

C.R. Oui. Je n’ai pas voyagé suffisamment pour parler des autres pays, mais oui c’est très québécois !

 

M.C. Le film amène une réflexion sur les valeurs traditionnelles, sur les institutions telles que le mariage, mais aussi sur l’individualisme, est-ce là aussi un sujet qui résonne d’autant plus au Québec ?

C.R. Oui. Comme Sarah, beaucoup de jeunes se sont mariés au Québec pour leurs études et divorcent une fois celles-ci terminées parce que ce sont des mariages sans amour. J’avais envie de parler de ces conventions, et je le fais dire à Sarah : « Je pensais vraiment que c’était cela devenir adulte, se marier travailler », comme si on était régi par des conventions, elle entre dans cette idée-là, comme le souhaite sa mère, s’impliquant dans le travail et dans un mariage hétérosexuel, mais elle se rend compte que ce n’est pas pour elle.

 

M.C. Courir, être ambitieux, semble presque plus simple que d’aimer ? Peut-on parler de désenchantement, souhaitez-vous parler du désenchantement de notre époque ?

C.R. Le film est en fait très optimiste. J’espère. Il y a une ambition, il y a peut être un peu de désenchantement, mais elle fait des choix, et je trouve beau qu’elle fasse ses propres choix. Maintenant, je pars peut être d’un constat négatif pour faire passer un message optimiste.

 

M.C. La fin du film très ouverte, peut être interprétée de différentes façons, vous-même vous l’interpréter comme un message d’espoir ?

C.R. Ce n’est pas un «happy ending », j’en conviens. J’ai fait un choix de musique approprié, qui varie dans des tonalités grave pour remonter, comme une sorte d’extase, puis redescendre, parce que la vie n’est pas un « happy ending ». Il y a une porte qui s’ouvre vers Sarah parce qu’elle fait un choix, et tout l’optimisme réside en ce que ce choix lui corresponde. Certes ce choix peut avoir des conséquences, mais elle l’a accepté, alors que jusqu’à présent elle n’en était pas certaine.

 

M.C. Vous êtes vous inspirée de la fin de « The Wrestler » de D. Aranofsky?

C.R. On m’en a un peu parlé, mais non. J’ai vu le film plus tard. J’ai beaucoup aimé cette fin, c’est vrai. Il y a ce mélange entre optimisme et tristesse, car on ne sait pas ce qui va arriver. J’aime les fins ouvertes, qui laissent le spectateur libre d’imaginer ce qu’il advient des personnages.

 

M.C. Cela se perçoit dans votre façon de filmer, vous donner des espaces importants à l’interprétation…

C.R. Oui en même temps cela peut parfois paraître frustrant pour certains, mais c’est aussi un cadeau. En tant que spectatrice, j’aime qu’on ne me donne pas tout, qu’on me fasse confiance, qu’on pense que je suis suffisamment intelligente pour comprendre, pour voir les choses. Je trouve cela beau de faire travailler le spectateur, et de l’embarquer dans une histoire.

 

M.C. Si on fait le parallèle avec vous-même, pensez-vous que vous êtes bien placée pour la compétition pour la caméra d’or ?

C.R. Je n’ai pas vu les autres films en compétition, les horaires ne le permettent pas. Je suis dans la course, alors je vais courir !

 

M.C. Avez-vous pu voir d’autres films ?

C.R. J’ai réussi à voir les films en ouverture. J’ai vu notamment Miele  de Valéria Golino que j’ai beaucoup aimé. J’ai fait en sorte de voir l’autre film canadien en compétition pour la semaine de critique, Le démantèlement, que j’ai beaucoup aimé aussi, peut être par esprit patriotique …

 

M.C. Quel genre de réalisatrice pensez-vous être puisque vous intervenez à toutes les étapes du film, est-ce que vous cherchez à tout contrôler ?

C.R. Je donne beaucoup d’espace aux interprètes, même si je contrôle bien des aspects. Je fais confiance aux autres, et je travaille beaucoup en collaboration avec mes acteurs. Je suis capable de dire non au bon moment, mais Sophie Desmarais (l’actrice principale NDLR), par exemple, a apporté plein de détails dans le film, que ce soient la tenue vestimentaire, les mouvements, ou le regard. Sophie a proposé sa vision de Sarah, je n’ai pas exigé des choses d’elle. Je n’ai pas fait le montage seule, et cela m’a fait du bien d’avoir des regards extérieurs sur le film. C’est la différence entre moi et Xavier Dolan! Même si j’avais fait le montage de mes court-métrages, pour mon premier long métrage j’ai préféré m’appuyer sur d’autres. Je n’ai pas fait l’affiche non plus, mais une de mes très bonnes amies l’a faite, alors j’avais un regard fort …

 

 

M.C. Le point commun entre vous et Xavier Dolan c’est aussi que vous êtes tous deux très jeunes et avez beaucoup de talent…

C.R. Si c’est vous qui le dites ! En tout cas, nous sommes tous les deux très jeunes, ça c’est vrai !

 

M.C. Une soirée est-elle prévue pour le film ?

C.R. Oui, jeudi soir (le 23 Mai) après la montée des marches, il y aura une petite soirée pour l’équipe du film. Rien de bien extravagant cette fois-ci. Peut être une prochaine fois à Cannes, qui sait ?

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