Présenté dans la section Generation Kplus de la Berlinale 2025, Space Cadet de Kid Koala est un conte visuel et musical, entièrement muet, qui explore les liens entre une jeune astronaute et son robot bienveillant.
Lors de notre échange, Kid Koala revient sur l’adaptation de son roman graphique, son approche artisanale de l’animation et l’émotion suscitée par son film. Un voyage poétique et universel, qui promet de toucher toutes les générations.
Le Mag Cinéma : Ma première question porte sur le titre de votre film. Pourquoi avoir choisi Space Cadet ?
Kid Koala : Le titre vient de mon deuxième roman graphique, Space Cadet. Je l’ai choisi parce que, tout d’abord, une partie importante de l’histoire se déroule dans l’espace. Le personnage principal, Céleste, est un astronaute qui voyage dans le cosmos. Mais au-delà de cela, son gardien, un robot qui lui sert de figure parentale, reste sur Terre et commence à dysfonctionner. Sa mémoire se détériore, le rendant désorienté. D’une certaine manière, les deux personnages sont des space cadets : l’un explore l’espace extra-atmosphérique, l’autre est perdu dans son propre espace mental.
En tant que musicien dans les années 2000, notamment au sein du label Ninja Tune, pensiez-vous déjà à l’époque à l’écriture d’un roman graphique ?
Oui, tout à fait. Mon premier roman graphique, Neuphonia Must Fall, est sorti à cette époque. Il raconte l’histoire d’un robot qui essaie d’écrire des chansons d’amour alors qu’il ne sait pas chanter. Il doit trouver un autre moyen de créer de la musique qui résonne comme une chanson d’amour. C’était ma première expérience de récit long en bande dessinée, et j’ai tellement apprécié que j’ai commencé à écrire Space Cadet juste après la fin de la tournée de Neuphonia.
Comment vous est venue l’idée de Space Cadet ?
C’était vraiment un moyen pour moi de faire face à ce qui se passait dans ma vie à l’époque. Je venais de perdre ma grand-mère, qui m’était très chère, ainsi que d’autres membres de ma famille proche. Cette période m’a permis de me remémorer des moments précieux passés avec mes proches. Au même moment, j’étais sur le point de devenir père pour la première fois. Ce contraste – perdre des membres de la famille tout en anticipant l’arrivée de ma fille – m’a fait réfléchir sur le cycle des générations. Je voyais clairement le passé, mais l’avenir était encore inconnu, bien qu’excitant. L’écriture du livre est devenue un moyen de gérer toutes ces émotions, et s’est finalement transformée en une célébration de mes souvenirs les plus précieux.
À quel moment avez-vous décidé que ce livre deviendrait un film ?
Ce n’était pas mon idée à l’origine. Le livre et la bande sonore qui l’accompagne ont été publiés en premier, et comme le livre n’a pas de dialogue, il avait déjà l’allure d’un scénario de film muet qui n’avait pas encore été réalisé. Après la tournée du livre, j’ai considéré que le projet était terminé. Mais lors de l’un des spectacles, Jeanette Petit et Natalie Bissonette d’Outsiders Films étaient présentes. Elles ont découvert les personnages, acheté le livre et entendu la musique. Ce sont elles qui ont suggéré d’étendre le roman graphique pour en faire un long métrage. Au début, je n’étais pas sûr – je viens du monde de la musique, où les budgets sont beaucoup moins élevés que dans le cinéma. Lorsqu’ils m’ont proposé l’idée, je me suis dit : « D’accord, si vous pensez vraiment que ça peut marcher…. ». J’ai signé les droits d’option pour développer le projet, et ils ont passé plusieurs années à trouver des financements et un scénariste pour développer l’histoire. C’est ainsi que Mylène Chollet est arrivée, elle a écrit un très beau scénario.
Parlons du style du film. Vous avez dit que la musique existait avant le film. Pouvez-vous décrire le ton doux de l’histoire et de la musique ?
Oui. Le livre original comportait 15 pistes destinées à accompagner certaines scènes, mais pas assez pour un long métrage complet. Certaines de ces pistes ont été conservées dans la partition finale, tandis que de nombreux nouveaux morceaux ont été composés. J’ai également collaboré avec plusieurs chanteurs pour contribuer à la bande sonore. La relation entre Robot et Céleste est faite d’attention et de soutien, c’est pourquoi j’ai souvent commencé par des mélodies au piano, en ajoutant des couches de platines ou de cordes selon les besoins. Mon ami Vid Cousins m’a aidé à orchestrer des éléments supplémentaires tels que des cuivres et des cordes pour rehausser certains moments. J’ai un lien très personnel avec cette musique. Je me souviens d’avoir composé l’une des pistes du livre original alors que je tenais ma fille Maple dans mes bras lorsqu’elle était bébé. Je jouais une douce berceuse au piano d’une main tout en la tenant de l’autre, et je l’ai enregistrée comme ça. Ces émotions sont profondément liées au projet, et lorsque j’ai composé une nouvelle musique pour le film, j’ai essayé de renouer avec ce sentiment.
Diriez-vous que votre film a une vision optimiste ou utopique ?
Pour moi, la création du livre original était une façon de célébrer la vie de ma grand-mère plutôt que de pleurer sa perte. Je voulais conserver cet esprit dans le film. Je ne voulais pas qu’il soit sombre, je voulais qu’il fasse sourire les gens et peut-être même qu’il suscite des réflexions sur leur propre enfance et leurs expériences formatrices. C’est pourquoi nous avons été attentifs au rythme, à la musique et même à la conception visuelle. Nous voulions créer un espace dans le film, un espace pour que le public respire, réfléchisse et se connecte à ses propres souvenirs plutôt que d’être submergé par des informations constantes. Un film sans dialogue est également plus un puzzle pour le public. Sans paroles pour le guider, le spectateur doit interpréter lui-même les émotions des personnages. Pour ce faire, il peut instinctivement puiser dans ses propres souvenirs d’enfance et ses expériences personnelles. Je voulais créer quelque chose qui susciterait ces émotions d’une manière subtile mais significative.
Aviez-vous des références en matière d’animation à l’esprit lorsque vous avez conçu le robot dans le roman graphique ? Avez-vous vu des films comme Mon Ami Robot ou Le Robot Sauvage, qui explorent également des thèmes similaires ?
Lorsque nous avons commencé à planifier l’animation, nous avons d’abord testé un style de planche à dessin en 2D similaire à celui du roman graphique original. Cependant, nous l’avons trouvé trop distrayant sur le plan visuel : le mouvement constant des lignes hachurées créait un effet de « bouillonnement », ce qui rendait l’image très contrastée. C’est pourquoi, lorsque nous avons décidé de passer à l’animation en images de synthèse, nous souhaitions conserver l’aspect artisanal de l’œuvre. Notre directrice artistique, Corinne Merrill, qui a travaillé sur Le Petit Prince et créé les éléments en papier en stop-motion, a joué un rôle déterminant dans l’obtention de cette esthétique. Elle conçoit également des décors miniatures pour nos productions théâtrales avec des marionnettes. Nous avons abordé l’animation avec l’idée de la garder visuellement organique, bien qu’elle soit réalisée en images de synthèse. En outre, je voulais conserver le minimalisme du roman graphique original. Dans le livre, par exemple, j’avais dessiné le robot assis sur une chaise dans une pièce presque vide, avec peut-être un ou deux meubles en arrière-plan. J’ai délibérément évité d’encombrer l’environnement avec des détails inutiles. Nous avons conservé la même simplicité dans la composition du film afin de garantir une expérience immersive et ciblée.
Le film a un ton très doux, mais il aborde aussi des thèmes plus profonds comme la solitude et le deuil, qui sont au cœur de l’histoire. L’idée que les robots remplacent les humains vous paraît-elle positive ou s’agit-il d’une critique de la société moderne ?
Nous concevons effectivement des robots, mais mon point de vue dépend de l’intention qui sous-tend la création. Lorsque je m’intéresse à l’art, qu’il s’agisse d’une peinture ou d’un morceau de musique, j’essaie de comprendre l’inspiration qui se cache derrière. Si je peux m’y identifier, le support ou le style devient secondaire. La technologie peut être perçue de deux manières : comme une menace qui automatise tout et élimine l’objectif humain, ou comme un outil qui ouvre de nouvelles possibilités. Prenons l’exemple d’un piano : il s’agit d’une création technologique, élaborée avec soin grâce à l’artisanat et à la science. Pourtant, le rôle du musicien est de lui donner vie, d’utiliser cette technologie pour raconter une histoire. Le même principe s’applique aux robots. Plutôt que de les considérer comme de simples remplaçants, je me concentre sur l’effort humain et l’ingéniosité qui ont permis de les créer. Je préfère une perspective optimiste. Lorsque je vois des avancées comme les voitures autonomes, je ne pense pas que l’objectif soit d’éliminer complètement la conduite, mais plutôt d’explorer le défi : est-ce seulement possible ? C’est cette curiosité et cette ambition qui m’inspirent. En tant que DJ, j’ai toujours aimé la technologie – les tables de mixage, les effets sonores, les platines – mais en même temps, j’apprécie le côté physique de la lecture de disques et de la manipulation manuelle du son. Il s’agit de trouver un équilibre entre le numérique et le tactile.
Quel a été le plus grand défi dans l’adaptation de votre roman graphique en film d’animation ?
Le plus grand défi a été de rester fidèle au ton de l’œuvre originale tout en répondant aux exigences techniques de la réalisation d’un film. Comme c’était la première fois que je réalisais un film, j’ai dû apprendre un langage complètement nouveau, tant sur le plan créatif que technique. Par exemple, au début, je n’étais pas familier avec des termes tels que gamma dans l’éclairage ou comment les images se traduisent en temps. Lorsque je discutais du rythme avec les animateurs, je leur disais par exemple : « Attendez trois temps, puis au quatrième temps, cette action doit se produire ». Mais ils avaient besoin d’instructions précises en termes d’images, et non de rythmes musicaux. J’ai donc dû apprendre à convertir mon sens du rythme en nombre d’images. La même chose s’est produite avec les mouvements de caméra. Je ne savais pas ce qu’était un plan d’orbite, ni quelle était la différence entre le suivi et l’incrustation. Le premier jour, j’ai dû apprendre un nouveau vocabulaire. Heureusement, l’équipe a été incroyablement patiente, me guidant à travers les aspects techniques et m’aidant à communiquer ma vision avec les termes adéquats. Une fois que j’ai trouvé ce langage commun, la collaboration est devenue beaucoup plus fluide.
Diriez-vous que travailler avec une grande équipe d’animation est similaire à votre expérience de collaboration avec des musiciens comme Radiohead, Gorillaz, Beastie Boys ou DJ Shadow ? Vous avez l’habitude de travailler en équipe.
Oui, tout à fait. J’ai eu la chance d’être invité à ces tournées et d’assister à des productions de grande envergure en temps réel. En tournée, tout se déroule selon un horaire précis : si le spectacle commence à 20 heures, la mise en place de la scène commence à midi, et l’on peut voir tout le processus se dérouler étape par étape. Dans le cas de l’animation, j’ai été surpris de constater à quel point le flux de travail est différent. Il existe une chaîne de production structurée et les différents départements travaillent à des étapes distinctes, souvent à des mois d’intervalle. Par exemple, vous devez prendre des décisions cruciales concernant les mouvements de caméra avec l’équipe de mise en page avant même que les images finales n’existent. Il se peut que vous travailliez avec un simple fil de fer ou un rectangle gris représentant un accessoire, sans savoir exactement à quoi ressemblera la profondeur ou la composition finale. En tant qu’illustrateur, j’ai l’habitude de décider de l’angle, de la pose du personnage et de l’éclairage en une seule fois. Mais dans l’animation, ces éléments sont développés à des stades distincts, et une fois qu’un département passe à un autre projet, il n’est plus possible de revenir en arrière et de changer les choses. C’était un processus complètement nouveau pour moi. J’ai dû apprendre à anticiper et à faire confiance au pipeline tout en procédant à des ajustements en cours de route pour garantir l’impact émotionnel de chaque scène.
D’un point de vue plus personnel, lorsque vous avez écrit le roman graphique, vous veniez d’être père. Votre enfant a grandi depuis. A-t-elle vu le film ?
Elle a vu un premier montage il y a environ un mois – pas la version finale, mais presque. Elle a été très émue par le film. Elle a ri à certains moments, et à d’autres, elle a été émotionnellement touchée. C’est une enfant très empathique, donc je pense qu’elle s’est sentie concernée par les thèmes de l’histoire. Je ne sais pas si elle m’a dit qu’elle aimait ça juste pour être gentille parce que je suis son père (rires), mais je pouvais voir qu’elle était engagée. À la fin, elle était vraiment surprise par certains rebondissements de l’intrigue. Plus important encore, je pense que le film l’a touchée sur le plan émotionnel, ce qui signifie beaucoup pour moi.
Votre film est présenté dans la section Génération Plus. Le considérez-vous comme un film destiné à un public spécifique ou comme un film destiné à un public plus large et mondial ?
Pour moi, c’est une boucle qui se boucle. Avant même de me lancer dans la musique, l’un de mes plus beaux souvenirs d’enfance est d’avoir regardé un film de Charlie Chaplin avec ma grand-mère et ma mère. C’était l’une des rares fois où les trois générations de ma famille s’asseyaient ensemble et appréciaient la même œuvre d’art. Cette expérience m’a marqué et m’a donné envie de créer quelque chose qui puisse rassembler différentes générations. Aujourd’hui, nous en sommes là. Le scénario dont je rêve pour ce film est que les gens le regardent en famille, qu’il s’agisse de leurs parents, de leurs enfants ou de leurs grands-parents. J’ai été très touché lorsqu’un journaliste m’a dit : « J’ai hâte que le film sorte en salle parce que je veux y emmener ma nièce, mon neveu et ma grand-mère ». C’est exactement le genre de lien que j’espérais. En ce qui concerne le public mondial, c’est tout à fait possible. Il n’y a pas de dialogue dans le film, l’histoire est donc entièrement racontée par l’action, les images et la musique. Cela le rend universellement accessible : les gens peuvent le vivre et l’interpréter sans barrières linguistiques.
Réaliser un film muet était-il une contrainte pour vous ou vous donnait-il une plus grande liberté de création ?
Certainement plus de liberté. Mes deux romans graphiques sont également dépourvus de dialogues, si bien que raconter une histoire visuellement et par le biais de la synchronisation est quelque chose que j’explore depuis des années. J’ai également travaillé sur des productions théâtrales en direct, comme Neufonia Must Fall Live et The Storyville Mosquito Live, où nous jouons tout – marionnettes, décors miniatures, musique en direct, effets sonores – en une seule prise continue. Ces spectacles impliquent plusieurs caméras, des dizaines de maquettes et une équipe de 15 artistes, mais il n’y a pas de dialogue parlé. Pour moi, travailler dans un format muet n’est pas une contrainte, c’est un défi passionnant. Cela vous oblige à envisager la narration d’une manière différente, en vous appuyant sur le mouvement, l’expression et la conception sonore pour transmettre des émotions.
Le film a-t-il déjà été projeté ici ? Quelle a été la réaction du public ?
Oui, et j’ai été absolument ravi. Entendre les rires du public à certains moments, puis le silence complet – suivi de reniflements – lors des scènes émotionnelles a eu une grande importance pour moi. Cela montrait que les gens se sentaient concernés par l’histoire. Il y avait un réel sentiment de concentration dans la salle, et lorsque les rires spontanés sont arrivés, cela a été incroyablement gratifiant. C’est pour cela que nous faisons des films : pour partager une expérience avec un public, pour créer ces moments de réaction et de connexion authentiques.
Enfin, le film a-t-il déjà un distributeur français ?
Pas encore. C’est en fait la première fois que nous entamons des discussions sur la distribution internationale. Nous avons déjà un distributeur canadien, mais rien n’est encore confirmé pour l’Europe. Nous espérons que cela sera bientôt réglé – peut-être même ici !
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