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Jean Eustache: cinéaste maudit, cinéaste singulier

Mis à jour le 17 avril, 2024

L’Œuvre de Jean Eustache est enfin disponible dans un coffret exceptionnel Blu-ray/DVD, grâce au travail de Carlotta films et Les Films de Losange. Sortie le 16 avril 2024.

Le Coffret contient 7 DVD (ou 6 Blu-rays), comprenant tous les longs et courts métrages du cinéaste (nouveaux masters restaurés, son dolby, sous-titres sourds et malentendants) + plus de 6h de compléments (archives télévisées et radio sur le tournage des films, interviews, projets inachevés) + un livre de 160 pages.

Disponible chez Carlotta

L’année dernière avait été marquée par un évènement cinéphilique attendu depuis très longtemps, la restauration du chef d’œuvre de Jean Eustache La Maman et la Putain, qui avait tant secoué la croisette en 1972, Gilles Jacob y allant d’une formule restée célèbre « je trouve que c’est un film merdique … je pense que c’est un non film, non filmé par un non cinéaste et non joué par un non acteur… » et dont il se sera depuis excusé, reconnaissant sa grande erreur… alors que le film obtînt le Grand Prix, mais resta très confidentiel au vu de sa sulfureuse réputation.

La Maman et la Putain fit scandale, parce que les mœurs qui y sont exposées restaient contraires à la morale ambiante, parce que la vulgarité, même poétisée, s’invitait dans les dialogues et révulsait les tenants d’un politiquement correct. Eustache amène une poésie verbale, très écrite, osée dans La Maman et la Putain, qui mélange vulgarité, dandisme, haute intensité émotionnelle, grande culture, positions politiques, regards actuels, pensées philosophiques, points de vue moraux atypiques et parfois même, en apparence, contradictoires. Un tel mélange s’écarte des codifications liées par exemple au niveau de culture, que l’on peut retrouver par exemple chez Rohmer. Il propose également un temps long purement fictionnel, qui laisse la place à des dialogues pensés pour être vrais, contemporains, mais bel et bien fictifs et très écrits.

La projection lors de Cannes Classic fut un moment d’émotion rare, pour ses interprètes encore vivants (à l’heure où nous venons de perdre le dernier réalisateur vivant de la Nouvelle Vague en la personne de Jacques Rozier) Jean-Pierre Léaud, ce formidable non acteur pour citer Jacob donc, la non moins formidable Françoise Lebrun, mais également toutes les personnes venues en nombre pour découvrir cette version restaurée. La ressortie en salles fut un succès qui en appelait donc d’autres.

En effet, dés le 7 Juin 2023, il nous a été donné, à l’occasion d’une rétrospective Jean Eustache, de revoir dans les meilleurs cinéma d’Art et Essai, toute l’œuvre de Jean Eustache, intense et moderne, en versions restaurées 4K. Nous avons pu alors (re)découvrir en salles (et dès aujourd’hui en DVD) La Rosière de Pessac (1968), Le Cochon (1970), Numéro zéro (1971), Mes petites amoureuses (1974), Une sale histoire (1977), La Rosière de Pessac  (1979), Odette Robert (1980) ainsi que les courts métrages Les Mauvaises Fréquentations – Du côté de Robinson (1964), Le père Noël a les yeux bleus (1966), Le Jardin des délices de Jérôme Bosch (1979), Offre d’emploi (1980) et Les Photos d’Alix (1980).

La carrière de cinéaste de Jean Eustache interroge aujourd’hui encore. Le réalisateur narbonnais a su en deux longs métrages interroger, déranger, provoquer l’ire de certains, le plus grand des respects pour d’autres, et proposer un cinéma résolument ambitieux et si singulier, que tout cinéphile qui se respecte se doit de redécouvrir, dans toute sa diversité.

Celui qui fut considéré en son temps comme un enfant de la Nouvelle Vague (il fréquentait les cahiers du cinéma via sa femme qui y travaillait), s’était déjà fait très remarqué d’une part par ses moyens métrages, Les mauvaises fréquentations puis Le père noêl a les yeux bleus, terminé grâce à Godard qui lui confia ses chutes de pellicule de Masculin Féminin, et d’autre part, par ses travaux interrogeant le rapport entre la fiction et le documentaire, et le pouvoir transformateur de l’image et de la caméra. Sa théorisation sur le faible pouvoir de la mise en scène lui donnera plus tard l’envie de raconter une sale histoire, celle de son ami Jean-Noel Picq, de deux façons différentes, en mode capture du réel et en mode rejeu par un acteur.

Alors que le cinéma vérité avait passablement vécu, Jean Rouch continuant ceci dit son œuvre, Eustache s’en présentait en digne successeur, dans ses documentaires pour la télévision, lorsqu’il s’intéresse à sa grand-mère (même si le film ne sera pas diffusé – ni restauré ici), ou plus encore lorsqu’il filme des rites provinciaux comme le Cochon ou la Rosière de Pessac.

Eustache et Pialat auront été les deux réalisateurs qui auront chercher à proposer des formes de narration nouvelles, en basant leurs histoires sur des trames peu ordinaires, où le ressenti des personnages occupent une place essentielle. Cette filiation entre Pialat et Eustache se retrouve doublement dans le second long métrage de ce dernier, Mes petites amoureuses, diamétralement opposé à la Maman et la Putain, et lui aussi, considéré aujourd’hui comme un chef d’œuvre. En premier lieu, Eustache confiait à celui qui venait de sortir la série télévisée la Maison dans les bois un petit rôle, en second lieu, le regard nostalgique, amer et sans fard, quasi cru, qui y est posé n’a d’équivalent véritable que dans le cinéma de Pialat (et de Bresson). En première lecture, très difficile donc de trouver le liant entre le très verbeux, poétique, tourbillonnant et survitaminé La Maman et la Putain, ses polyamours et mœurs parisiennes, ses dialogues extraordinaires et le temps suspendu de mes petites amoureuses, où un jeune enfant devient adolescent et se construit par des rêves d’ailleurs, des amourettes, dans une province où les divertissements et les mots sont rares. Mais précisément, cette rétrospective vous permettra de constater que le Père Noel a les yeux bleus en constitue la parfaite transition. Le regard désabusé du jeune homme (interprété par Jean-Pierre Léaud) pensant avoir plus de chances de réussir à séduire s’il parvient à être à la mode, et ainsi à se faire accepter des plus riches, à entrer dans la société parisienne, n’est que la continuité de la pensée d’Eustache lui même, un jeune enfant venu de Province, qui monte à Paris, et se rêve en cinéaste et en dandy, sans en avoir quelque part l’autorisation, sentiment qui ne cessera de l’accompagner.

Redécouvrir Eustache, au cinéma, passe également nécessairement par la confrontation du regard noir que le réalisateur portait sur la société peu de temps avant de mettre fin à ses jours, dans Offre d’Emploi, si simple dans son concept et si parlant aujourd’hui encore. Maudit, doublement boycotté, une première fois après le scandale que suscitait le sujet et le vocabulaire de la Maman et la Putain, une seconde fois, du fait d’une réception critique exécrable de la presse de Mes petites amoureuses, orchestrée par vengeance d’un journaliste qui s’était vu refusé l’accès à la projection presse (Eustache se vengeant lui-même de papiers peu amènes à son endroit), Eustache, au talent aujourd’hui reconnu à sa juste hauteur, n’aura pu réaliser que deux longs métrages, et quelques courts et moyens métrage.

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