Mis à jour le 13 février, 2023
Fin des années 80, Stella, Etienne, Adèle et toute la troupe ont vingt ans. Ils passent le concours d’entrée de la célèbre école créée par Patrice Chéreau et Pierre Romans au théâtre des Amandiers de Nanterre. Lancés à pleine vitesse dans la vie, la passion, le jeu, l’amour, ensemble ils vont vivre le tournant de leur vie mais aussi leurs premières grandes tragédies.
Valeria Bruni-Tedeschi continue certes de filer un cinéma en Je, empreint de ses propres souvenirs, mais plus que jamais elle écrit ici en Nous, notamment en se faisant seconder de deux scénaristes avec lesquelles elle a régulièrement travaillé: Agnès de Sacy et Noémie Lvovsky. Nul hasard donc à ce que le récit proposé nous rappelle d’une part le côté intellectuel d’un Desplechin (Comment Je me suis disputé …), mais aussi l’accent mis sur le pulsionnel comme on peut le voir par exemple dans le cinéma de Maiwenn (en Je lui aussi) ou référence avouée, celui de Jerry Schatzberg (Bruni-Tedeschi a fait visionner à ses acteurs Panique à Needle Park pour se préparer aux rôles). Deux autres influences se font également sentir très rapidement et ne cesseront d’habiter le film, par ce procédé très étrange qui, par l’habileté et la passion de Bruni-Tedeschi, font des Amandiers le parfait miroir des mises en scènes, des obsessions et de l’écriture de Chéreau et par rebond de Tchekov, dont il est pleinement question (Louis Garrel interprète élégamment le metteur en scène français cofondateur du théâtre des Amandiers, avec sobriété – il est plus crédible qu’en Godard chez Hazanavicius).
La réussite principale du film, hormis le formidable jeu choral auquel s’adonne la troupe d’acteurs tout aussi talentueux que pouvaient l’être ceux qu’ils interprètent (les Agnès Jaoui, Vincent Perez, Thibault De Monthalembert, Marianne Denicourt, Bruno Todeschini, Eva Ionesco, Valéria Bruni-Tedeschi – elle même-, Thierry Ravel, et autres Franck Demule aux fortunes diverses) tient en ceci que le concept sert le récit et rend un formidable hommage au théâtre, aux acteurs, et à la jeunesse. Cette retranscription très juste d’une tranche de vie, d’une époque, à aucun moment ne nous semble artificielle. L’effet de mise en abyme n’en est que plus vertigineux quand on s’intéresse aux détails, qu’ils soient puisés dans les souvenirs de Bruni-Tedeschi, notamment pour les trajectoires les plus tragiques, dans une intention tout à la fois documentaire, rendant grâce et probablement cathartique ou même quand ils s’invitent à des fins de pure fiction.
Le scénario renferme assurément un regard particulier, celle d’une réalisatrice maîtrisant son art, qui se souvient avec amour de sa propre jeunesse, de ses amis, de ses maîtres, mais aussi des épreuves qu’elle aura traversées et majoritairement tues jusqu’alors. Patrice Chéreau n’aurait certainement pas renié ce film, tant il est animé d’une passion dévorante, tant il file à 100 000 à l’heure, comme ce train qu’il invitait à rejoindre (Ceux qui m’aiment prendront le train). Injustement oublié du palmarès Cannois (pourtant une évidence, – au moins pensions-nous que Nadia Tereszkiewicz remarquable en double de Bruni-Tedeschi repartirait avec le prix d’interprétation) mais l’année n’était pas bonne pour le cinéma qui portait une réflexion intellectuelle, et peut être que la palme d’or de Julia Ducournau de l’année dernière appelait à une palme d’or étrangère, par principe de non répétition), Les Amandiers, probablement le meilleur film de Valéria Bruni-Tedeschi, devrait sans nul doute émouvoir (rires et pleurs) et séduire de nombreux spectateurs. Cette jeunesse qui disparaît, qui s’échappe, mais, qui, en contrepoint brûle la vie ou la dévore, aspire à de hautes sensations, à des vertiges, à des espoirs et des ambitions, interrogeait déjà Tchekov en observateur de l’âme russe, et Bruni-Tedeschi parvient ici à prolonger cette interrogation.
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