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FIFP2024 – Journal critique

Le Festival CitéCiné, le Festival International du Film Politique a lieu en ce moment. Nous vous proposons ici un journal critique pour mieux vous guider à travers la programmation foisonnante de cette 6ème édition de ce festival de Carcassonne.

L’échelle de notation qui est appliquée est la suivante :

–       très mauvais film
*         film passable
**       bon film
***     très bon film
****   excellent film
***** chef d’œuvre


La zone d’intérêt (2023, Jonathan Glazer)

Avec Christian FRIEDEL, Sandra HÜLLER, Ralph HERFORTH et Maximilian BECK

Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, et sa femme Hedwig s’efforcent de construire une vie de rêve pour leur famille dans une maison avec jardin à côté du camp.

Notre avis **** : La zone d’intérêt titre invoque le camp de concentration d’Auschwitz. Ainsi nommément cité, ce lieu de triste mémoire n’est pas l’endroit vers lequel Jonathan Glazer oriente sa caméra. En effet, le camp voisine la maison de la famille Höss, lui (Christian Friedel) est le commandant du camp, elle (Sandra Hüller) est sa fidèle épouse dont le métier est celui d’élever leurs enfants dans les meilleures conditions possibles dans ce lieu « paradisiaque ». Jamais l’intérieur du camp ne sera le décor d’une scène du film. Auschwitz est maintenu hors du champ de la caméra. On apercevra pourtant les bâtiments à plusieurs reprises mais ils seront systématiquement relégués en arrière-plan et leur affichage souvent partiellement barrés par quelques éléments de décors dont, bien sûr, les murs de l’enceinte.

Dans La zone d’intérêt, le cinéaste ne donne ainsi pas ou peu à voir mais laisse à entendre. Ce choix cinématographique radical confère au film une grille de lecture très spécifique. D’ailleurs, les deux premières séquences indiquent clairement aux spectateurs comment ce métrage doit être appréhendé. Il y a d’abord un écran noir dont la seule animation est celle apportée par sa musique d’accompagnement. La deuxième séquence regroupe la famille Höss dans la campagne environnante au bord d’un cours d’eau. Filmés de loin, les personnages échangent quelques propos inaudibles et non sous-titrés. Au contraire, les chants des oiseaux sont parfaitement perceptibles alors que leurs auteurs sont invisibles à l’écran. Nul doute, c’est notre ouï de spectateur qui sera notre sens le plus sollicité durant la centaine de minutes que dure La zone d’intérêt.

L’écran noir liminaire trouvera un écho dans l’écran également noir annonciateur du générique final. D’autres écrans vides mais de couleurs différentes essaiment le film. Ils interviennent au moment où ce qui devait apparaître à l’écran n’est pas montrable. C’est alors, de nouveau, la bande son qui prend le relai et porte le narratif. La narration du film se loge aussi dans les attitudes et les gestes quotidiens effectués en milieu privé mais dont la parenté avec ceux exécutés dans le camp n’est pas feinte.

Dans la même veine, le détachement de tel ou tel protagoniste face à un évènement vu derrière un rideau ou une information entendue fait froid dans le dos. Pareille perception glaciale ne pourra qu’accompagner la divulgation avec une précision clinique d’un plan, objectifs de rendement chiffrés compris. La poursuite d’une activité alors qu’est entendu ce qui se passe dans le camp de l’autre côté du mur relève d’une indifférence coupable qui semble rivaliser de monstruosité avec les actes commis au sein du camp. Alors que le consentement est total, l’anormalité devient la nouvelle normalité.

Pourtant, l’acte de résistance, fragile et vulnérable, subsiste. Il est filmé plein champ et restitué en images thermiques pareilles à celles d’une action de guerre captée en direct. Ainsi visualisée comme un négatif, l’action filmée prend les allures d’une expérience étrange dont l’issue pourrait se révéler dramatique. Malgré le risque placardé, ce sera l’unique séquence qui s’aventurera à arpenter timidement l’intérieur du camp. La présence physique des détenus est fantomatique : quelques silhouettes entraperçues dans un champ de maïs, une locomotive filante dont on aperçoit l’épaisse trainée de fumée laissée derrière elle pareille à celle rejetée en arrière-plan par les incinérateurs d’Auschwitz.

La zone d’intérêt est peuplée de spectres. Parmi ces derniers figurent les employés de maison de la famille Höss.  Ces Polonais non Juifs sont finalement des parents proches de leurs homologues de confession juive, seul un mur d’enceinte les sépare. Leurs habits de couleur grisâtre évoquent les pyjamas rayés des victimes de l’holocauste. Ainsi, l’opulence ostentatoire des uns s’oppose au dénuement total des autres.

Glazer a fait le choix d’une mise en scène tout aussi forte qu’ingénieuse. La zone d’intérêt constitue un geste cinématographique rare et d’une redoutable efficacité. C’est une œuvre, remarquable et inattendue, de mémoire. Le cinéaste porte ici un témoignage précieux là où un musée ne fait qu’exposer une triste réalité passée en voie d’effacement et réduit à une simple exposition. Un spectacle aseptisé dont la froideur n’est pas celle des évènements « restitués » mais celle d’une exposition sans âme. L’œuvre du temps efface tout, peu à peu.


Nomades du nucléaire (2022, Kilian Armando Friedrich et Tizian Stromp Zargari)

Marie-Lou, Florian, Jérôme et Vincent sont employés par des sous-traitants de l’industrie nucléaire française. Leur travail consiste à effectuer la maintenance et le remplacement du cœur des réacteurs chaque fois que cela est nécessaire. Pour ce faire, , toujours prêts à être envoyés en mission, ils vivent dans des camping-cars devant les centrales. Tous luttent contre la solitude et l’incertitude auxquelles leur travail les expose. Et rêvent de leur vie future, loin des aires de parking et des centrales.

Notre avis **(*) : Kilian Armando Friedrich et Tizian Stromp Zargari placent dans le champ de leur caméra quatre intérimaires employés du secteur nucléaire. De mission en mission, de parking en camping, d’une centrale nucléaire à une autre, ce sont quatre existences en transhumance perpétuelle qui nous sont dévoilées. La précarité n’est pas d’ordre financier car les missions réalisées sont correctement rémunérées. Pour autant, les postes occupés sont peu enviables. La précarité subie est d’ordre physique. Il y a d’abord une existence forcée loin de ses proches. La solitude observée participe à l’épuisement physique d’un travail en 3×8 et 7/7. Il y a ensuite, au plus près du réacteur, l’exposition aux radiations. Ces intérimaires témoignent qu’en une seule demi-journée de travail, ils peuvent être exposés au maximum mensuel autorisé en matière d’exposition aux radiations nucléaires ! Enfin, il y a cette incertitude des lendemains. La mission intérimaire terminée, la suivante peut ne pas être immédiate et imposer à son acteur un déplacement, parfois éloigné, vers une autre centrale nucléaire et, si un emplacement est disponible, un autre camping. A défaut, un parking voisin fera office d’aire de « repos ».

Le duo de réalisateurs met ainsi en lumière une frange méconnue du monde des salariés. Ici, la sous-traitance institutionnalisée rime trop souvent avec maltraitance. Le constat est amer, la souffrance est réelle et probablement appelée à grandir au fur et à mesure que les années s’écouleront. L’intention des deux auteurs est donc louable malgré un choix de traitement discutable. En effet, on peut regretter que Nomades du nucléaire n’interroge pas plus ses protagonistes et ne se soit pas aventuré à aller filmer ses protagonistes dans leur quotidien professionnel.


Baghdad on fire (2023, Karrar Al-Azzawi)

Avec Tiba FADHIL, Yousif SATAR et Khader ELIAS TAHA

Un récit ardent de l’espoir et des rêves de la jeunesse irakienne, menée par Tiba, une jeune femme de 19 ans qui fait face aux énormes conséquences de se battre pour la démocratie, la liberté et un avenir. Ils luttent pour la démocratie en Irak. Ils sont à l’avant-garde du plus grand mouvement de jeunesse depuis 20 ans, depuis l’invasion américaine du pays.

Notre avis **(*) : Le choix du titre du documentaire – Baghdad on fire – est opportun. Karrar Al-Azzawi place dans le champ de sa caméra les manifestations qu’a connues la capitale de l’Irak jusqu’à l’effacement de ce mouvement de contestation par la crise de la Covid-19. Derrière sa caméra, le documentariste se place dans les pas de Tiba (Tiba Fadhil) qui prend part aux manifestions notamment en prodiguant les premiers soins aux manifestants blessés ou victimes des gaz lacrymogènes. Dans les rues, sur les places, la jeune génération iraquienne scande ses slogans notamment contre l’occupant américain. En face, la présence policière fait un usage immodéré de la violence. Loin de leur mission première, le maintien de l’ordre, la police ici dénommé milice oppose une répression violente qui va faire de nombreuses victimes.

A défaut d’une réelle contextualisation, le spectateur risque de rester en marge d’un mouvement de revendications dont les attendus restent flous car protéiformes. L’emprunt d’extraits de vidéos prises depuis la foule via des téléphones portables n’aide pas à trouver une cohérence dans le fil narratif ténu proposé. A l’image de la situation de l’Irak du moment, Baghdad on fire paraît instable. Si évolution il y a, voire révolution puisque ce terme est employé, la direction prise offre peu de visibilité dans un brouillard épais de revendications parfois contradictoires. Dans la noirceur ambiante, le système répressif du gouvernement local dispose de toute évidence d’une carte blanche. Les deux parties s’affrontent, se confrontent, irrémédiablement et irréversiblement. La lutte menée est sans issue si ce n’est celle d’une mort quasi certaine.


King’s land (2023, Nikolaj Arcel)

Avec Mads MIKKELSEN, Amanda COLLIN, Simon BENNEBJERG, Kristine KUJATH THORP et Gustav LINDH

Danemark 1755, le capitaine Ludvig Kahlen part à la conquête d’une lande danoise réputée incultivable avec un objectif impossible : établir une colonie au nom du roi, en échange d’un titre royal. Une ambition bornée que l’impitoyable seigneur de la région cherchera sans relâche à étouffer. Le destin de Kahlen est alors en jeu : son entreprise lui apportera la richesse et l’honneur, ou lui coûtera la vie…

Notre avis *** : King’s land a les allures d’un film de pionniers… en terres danoises. La location de l’action est la grande originalité d’un film disposant d’un budget confortable. Le casting réuni, les décors mis en œuvre, les costumes d’époque témoignent chacun d’une œuvre voulue ambitieuse. A l’écran, tout reflète ce souhait de qualité parfois ostentatoire. Ainsi, il est difficile de reprocher quoique ce soit à une réalisation souffrant d’aucun manquement, du moins d’apparence.

En effet, cette qualité de réalisation représente aussi son premier et principal défaut. Nikolaj Arcel s’applique à produire de belles images composées souvent en plans larges, voire aériens. Cette application est sans faille de bout en bout. Malheureusement, car Arcel a oublié que King’s land n’était pas un film mais deux films. Il y a les sphères du pouvoir danois dans lesquelles gravite toute la bourgeoisie locale. En face, il y a toute la rugosité des terres réputées infertiles des landes.

Il y a donc deux mondes que tout oppose, l’opulence urbaine d’un côté et l’extrême pauvreté rurale de l’autre. Mais ces deux mondes très dissociés sont filmés de la même façon d’un bout à l’autre du métrage. Ainsi, pour le personnage du capitaine Ludvig Kahlen incarné à l’écran par Mads Mikkelsen, seuls les décors et ses habits. L’acteur danois, déjà peu enclin à développer une large palette d’interprétations, trouve ici un terrain de jeu idéal par son périmètre réduit.

Aucune variation ne sera observée non plus en fonction de la tension intrinsèque de chaque scène. Dès lors, King’s land, malgré ses indéniables qualités et les moyens déployés, se révèle être une œuvre très lisse qui n’emporte jamais son auditoire. Arcel réalise un film trop monolithique dans sa composition ce qui constitue un obstacle dans cette famille de long-métrage, historique, censée retranscrire l’atmosphère de l’époque visitée.


Première affaire (2023, Victoria Musiedlak)

Avec Noée ABITA, Anders Danielsen LIE, Alexis NEISES, Louise CHEVILLOTTE, Saadia BENTAIEB, Chad CHENOUGA, Sonia BENDHAOU et François MOREL

Jeune avocate fraichement diplômée, Nora a l’impression de n’avoir rien vécu lorsqu’elle est propulsée dans sa première affaire pénale. De sa première garde à vue au suivi de l’instruction, Nora découvre la cruauté du monde qui l’entoure, dans sa vie intime comme professionnelle. Emportée par la frénésie de sa nouvelle vie, elle multiplie les erreurs et en vient à questionner ses choix.

Notre avis **(*) : Comme son personnage principal interprété par Noée Abita, jeune avocate confrontée à sa première affaire pénale, Victoria Musiedlak débute dans la réalisation de films par ce premier long-métrage titré Première affaire. Le scénario dont la réalisatrice est l’auteure offre un angle de travail original. Là où une enquête judicaire était pressentie avec un regard porté privilégiant le point de vue du présumé coupable, c’est celui de la jeune avocate qui sert de fil directeur à la narration du film.

Les traits du visage très juvénile de Abita constitue un premier frein pour cette jeune avocate, même débutante. La performance satisfaisante de l’actrice n’est nullement critiquable mais son physique d’adolescente est en décalage par rapport au personnage incarné. Anders Danielsen Lie dans le rôle principal masculin permet de trouver un équilibre dans le duo de personnages autour duquel se noue le fil narratif du film.

Première affaire n’est donc pas un film de procès mais dévoile un regard féminin, celui de son personnage principal, sur une profession complexe. Cette part du film présente un intérêt certain notamment par son originalité. Cet intérêt se voit cependant ensuite dilué par le récit de la relation amoureuse que les deux principaux protagonistes nouent.


Dernières cendres (2023, Loïc Tanson)

Avec Sophie MOUSEL, Timo WAGNER, Jules WERNER, Luc SCHILTZ et Marie JUNG

1838
Durant plusieurs siècles, le Luxembourg a été soumis à des régimes autoritaires et étrangers successifs. Des vagues de famine et de maladie ont aujourd’hui décimé sa population.
Dans le nord de la région frappée par la pauvreté, la famille GRAFF, un patriarche à sa tête, règne sur un village isolé. Grâce à eux, ses habitants ont survécu aux malheurs et aux calamités incessantes. Pour garantir leur avenir, ils ont établi des règles strictes, pieuses et oppressantes qu’il faut suivre rigoureusement. Mais HELENE, âgée d’à peine douze ans, refuse d’obéir et tente de s’échapper avec l’aide du plus jeune fils de Graff, JON, qui est profondément attaché à HELENE.
15 ans plus tard
Le Luxembourg est enfin une nation indépendante. Le paysage est transformé par la construction d’un chemin de fer, mais la famille GRAFF est toujours la dirigeante incontestée de son village fortifié, malgré le vieillissement et la fragilité physique croissante de son patriarche.
Lorsqu’ils découvrent une inconnue, OONA, près du cadavre du bras droit des GRAFF, ils décident de l’accueillir dans le village.

Notre avis ***(*) : Dernières cendres démarre par un long prologue dont la réalisation est particulièrement soignée. Loïc Tanson opte pour un format carré et un noir et blanc très équilibré pour restituer quelques évènements historiques de 1838 en terres nord luxembourgeoises. Les plans séquences défilent à l’écran et rend déjà compte d’un environnement violent. Les mouvements de caméra observés sont nombreux et incessants. Il y a dans ce prologue une proposition cinématographique de belle facture. Par le noir et blanc employé, certains plans semblent invoquer Carl Theodor Dreyer.

Après ce prologue, l’action se place en 1853 et le noir et blanc est abandonné au profit d’une colorimétrie où dominent des couleurs sombres venant figurer à l’écran un tournage majoritairement effectué en nocturne. La violence demeure et fait l’objet de quelques excès parfois complaisants. Finalement, Dernières cendres se révèle être une œuvre sombre empruntant aux codes des films gore. La complaisance observée sur certaines séquences vient un peu amoindrir la perception de ce long-métrage par ailleurs très réussi.


Inchallah un fils (2023, Amjad Al Rasheed)

Avec Mouna HAWA, Haitham OMARI, Yumna MARWAN, Salwa NAKKARA, Mohammad AL JIZAWI, Eslam AL-AWADI et Seleena RABABAH

Jordanie, de nos jours. Après la mort soudaine de son mari, Nawal, 30 ans, doit se battre pour sa part d’héritage, afin de sauver sa fille et sa maison, dans une société où avoir un fils changerait la donne.

Notre avis *** : Dans Inchallah un fils, Amjad Al Rasheed met en œuvre un scénario à tiroirs coécrit avec Rula Nasser et Delphine Agut. L’action du film prend ses quartiers en Jordanie comme il aurait pu les prendre en Iran. En effet, la mécanique scénaristique mise en œuvre n’est pas sans nous remémorer celle utilisée par Asghar Farhadi. Ainsi, Inchallah un fils s’inscrit dans les traces notamment de A propos d’Elly (2009). Les décisions prises par l’héroïne principale, Nawal incarnée par Mouna Hawa, ne cesseront de compliquer la possible émergence d’une issue à l’imbroglio mis en images.

Certes le scénario proposé laisse apparaître quelques faiblesses dont l’une concerne l’indéfectible refus de Nawal de vendre un pick-up qui lui est inutile car elle ne dispose pas du permis de conduire. Et, en cumulant sans cesse les complications scénaristiques, le choix narratif proposé dans l’épilogue du film favorise un dénouement certes inattendu mais aussi quelque peu « facile ». Malgré cela, si le spectateur parvient à faire abstraction de ces quelques facilités émaillant le fil narratif, Inchallah un fils se révèle plutôt satisfaisant.

Ce long-métrage interroge avec acuité la condition des femmes jordaniennes. Le combat mené par Nawal contre un système sociétal très patriarcal est ardu. De plus, la situation est rendue encore plus complexe par le fait que Nawal se retrouve veuve et mère d’un unique enfant de sexe féminin. Si sa progéniture avait été masculine, alors ses problèmes administratifs et ses obligations vis-à-vis de la loi de son pays auraient été bien moindres.


Between revolutions (2023, Vlad Petri)

Avec Victoria STOICIU et Ilinca HARNUT

Dans le Bucarest des années 1970, Zahra et Maria se lient d’une profonde amitié alors qu’elles étudient ensemble à l’université. Alors que l’Iran est en proie à des troubles politiques, Zahra est contrainte de rentrer chez elle, laissant Maria derrière elle. Au cours de la décennie suivante, elles maintiennent leur lien par le biais d’une série de lettres, relatant leurs luttes en tant que femmes se battant pour se faire entendre et leurs pays respectifs évoluant dans des directions divergentes. Malgré la distance et les obstacles, leur désir de se retrouver ne se tarit pas.

Notre avis *** : Le synopsis de Between revolutions introduit les deux protagonistes de ce documentaire. Elles n’apparaissent pas à l’écran. Leurs échanges de correspondances sont déclinés à l’écran par deux voix off. Vlad Petri orchestre ainsi un dialogue entre une ressortissante iranienne et son homologue en Roumanie, anciennes amies sur les bancs de l’université de Bucarest. Le réalisateur fait se succéder à l’écran des archives iraniennes et roumaines datant des années 1970 et 1980.

Ce montage de vidéos accompagné des deux voix off qui se font écho montre deux pays en pleine évolution. Une évolution qui en Iran prend la forme d’un soulèvement populaire qui aboutit à une révolution menant à la destitution du Chah. Dans le même temps, la vie au quotidien devient de plus en plus difficile. Là aussi, Bucarest est le théâtre de manifestations où sont scandés des slogans contre le pouvoir en place. La révolution en Roumanie viendra plus tard avec l’effondrement du mur de Berlin qui n’est pas relatée par ce documentaire.

Les archives montrées à l’écran permettent de percevoir les mouvements populaires d’Iran et de Roumanie sous un angle différent de celui habituellement utilisé sous nos latitudes. Ce sont des archives précieuses qui sont ici sorties de l’oubli. Ainsi Between revolutions acquiert un grand intérêt historique malgré le non sous-titrage d’une archive relative à une manifestation en Iran et une bande son muette et donc non sous-titrée sur une archive roumaine. Enfin, sur une archive relative à une manifestation à Téhéran, la bande son ne semble pas celle d’origine. Ces « manquements » ne concernent cependant qu’une petite durée de métrage et portent à peine ombrage sur ce documentaire de Vlad Petri digne du plus grand intérêt.


Amal (2023, Jawad Rhalib)

Avec Lubna AZABAL, Johan HELDENBERG, Fabrizio RONGIONE, Catherine SALÉE, Ethelle GONZALEZ-LARDUED, Babetida SADJO et Medhy KHACHACHI

Amal, enseignante dans une école bruxelloise, encourage ses élèves à cultiver l’amour de la lecture et la liberté d’expression, quitte à se mettre en danger. Ses pratiques pédagogiques audacieuses vont changer la vie de ses élèves.

Notre avis ***(*) : Le synopsis de Amal révèle peu de choses et ne permet pas de soupçonner que derrière celui-ci apparaîtra un film d’une grande puissance. A travers un scénario dont il est un des coauteurs, Jawad Rhalib embrasse un sujet clivant dont le traitement est complexe. Au sein d’une population multiconfessionnelle, quel enseignement doit être proposé par l’Education nationale laïque ?

Lubna Azabal endosse le rôle principal d’une professeure auprès d’adolescents d’un quartier défavorisé. Face à elle, une classe dont les élèves sont représentatifs de la classe moyenne belge. Une population dont le clivage provient de leur appartenance confessionnelle. Le conflit va naître quand son personnage, Amal, va proposer à ses élèves de lire l’auteur Abū Nuwās, poète perse et homosexuel du VIIIème siècle. Ces conseils de lecture incompatibles avec les préceptes du Coran vont mettre le feu aux poudres.

Dans sa première partie circonscrite essentiellement au sein de la classe précitée, Amal obéit à des codes proches de ceux utilisés dans les documentaires. Ainsi, certaines scènes faisant entrer en conflit ses protagonistes semblent, par instants, relevées d’un documentaire réalisé in situ. Puis, le film bascule plus volontiers vers la fiction mais conserve son approche très réalise en s’appuyant sur un scénario crédible et contemporain.

A travers son personnage titre, Azabal produit une performance d’actrice de premier ordre. Au fur et à mesure de l’avancée de la narration, la tension se fait de plus en plus présente. L’actrice accompagne brillamment cette montée en pression alors que les menaces, y compris physiques, se dévoilent inexorablement. Amal, au regard du sujet traité, aurait pu sombrer par excès de manichéisme. Rhalib a su éviter se travers même si nous regrettons un court épilogue. Celui-ci, mal amené et inutilement violent, était dispensable.


Dissidente (2021, Pier-Philippe Chevigny)

Avec Arianne CASTELLANOS, Marc-André GRONDIN, Nelson CORONADO, Antonio ORTEGA, Gerardo MIRANDA, Luis OLIVA, Micheline BERNARD et Eve DURANCEAU

À Richelieu, ville industrielle du Québec, Ariane est embauchée dans une usine en tant que traductrice. Elle se rend rapidement compte des conditions de travail déplorables imposées aux ouvriers guatémaltèques. Tiraillée, elle entreprend à ses risques et périls une résistance quotidienne pour lutter contre l’exploitation dont ils sont victimes.

Notre avis **** : Dans Dissidente, Pier-Philippe Chevigny aborde la thématique des travailleurs étrangers, ici guatémaltèques, venant chercher meilleure fortune au Québec. Le scénario du film est inspiré de faits réels et vise à exposer le système hyper-libéral mis en œuvre. Il y a ces cotisations syndicales déduites des feuilles de paye venant en financement d’une protection à laquelle ces travailleurs n’ont pas droit durant leurs trois premiers mois de présence sur le territoire canadien. Il y a ces contrats de travail de durée limitées de sorte que ces employés ne puissent être comme travailleurs permanents. Enfin, il y a les conditions de travail déplorables où tout est sacrifié à des rendements attendus toujours plus élevés.

Arianne Castellanos tient le rôle principal, celui d’une traductrice. L’attachement qu’elle porte à son travail mais aussi à ces travailleurs étrangers qu’elle accueille et accompagne va porter ses actions bien au-delà de la traduction. L’actrice canadienne dont la famille paternelle est guatémaltèque livre une prestation remarquable. A l’écran, son interprétation reflète l’intérêt patent qu’elle porte à ce sujet sociétal et à ses conséquences.

Tant en terme d’écriture du scénario que de sa mise en images, Chevigny fait preuve d’une maturité certaine. Le résultat obtenu à l’écran est très prometteur pour ce réalisateur qui jusqu’ici était l’auteur d’une filmographie composée d’une dizaine de courts-métrages. Dissidente nous rend curieux du contenu de sa prochaine réalisation.


Vivants (2023, Alix Delaporte)

Avec Alice ISAAZ, Roschdy ZEM, Pascale ARBILLOT, Jean-Charles CLICHET, Guillaume MARQUET, François DE BRAUER, Nicolas CARPENTIER, Grégoire LEPRINCE-RINGUET et Vincent ELBAZ

Gabrielle, 30 ans, intègre une prestigieuse émission de reportages. Elle trouve peu à peu sa place au sein d’une équipe de reporters aguerris, qui ont connu les grandes heures du journalisme de terrain. Malgré l’engagement de Vincent, leur rédacteur en chef, ils sont confrontés au quotidien d’un métier qui change, avec des moyens toujours plus réduits, face aux nouveaux canaux de l’information. Ils restent cependant habités par la solidarité, le sens de l’humour, la passion pour la recherche de la vérité et la foi en l’avenir.

Notre avis ** : Le postulat de départ d’Alix Delaporte, réalisatrice et coscénariste du film, était de faire découvrir le monde des reporters de guerre à son auditoire. L’intention est louable mais les choix faits restent discutables. Au final Vivants ne se démarque pas suffisamment pour convaincre vraiment. Le titre même du film pose question car il ne rend pas compte du contenu du métrage.

Delaporte a réalisé un film là où le sujet abordé aurait probablement trouvé un meilleur réceptacle sous la forme d’un documentaire. Le souhait de porter Vivants auprès d’un public élargi a sans doute dicté ce choix. Si ce film donne effectivement à voir une équipe de reporters de guerre, les faits d’arme individuels de ces personnages appartiennent au passé. Ce groupe est éloigné du front puisque désormais ils œuvrent au quotidien pour fournir le contenu d’une émission de télévision au demeurant vieillissante et à la recherche d’un second souffle.

Ainsi, Vivants montre avant tout des professionnels de l’audiovisuel dans leur bureau de rédaction en quête d’une information qui viendrait justifier une intervention sur le terrain. Dans les faits, les reportages ambitionnés ou produits ont une portée limitée et n’appellent à fournir un supplément d’âme au métrage visionné. Ainsi, le reportage-terrain sur lequel la réalisatrice clôt son film ne fera pas sortir l’équipe de reporters de Paris. L’évènement filmé (au milieu d’une foule armée de téléphones portables…) est certes original mais aussi et surtout parfaitement anecdotique.

Un autre choix étrange est celui du personnage principal. Le récit du film est fait à travers le regard de Gabrielle, une stagiaire dont l’arrivée dans l’équipe de reporters constitue l’entame du film. Sans remettre en cause l’interprétation d’Alice Isaaz au demeurant satisfaisante, le rôle principal aurait dû échoir au reporter le plus expérimenté de l’équipe à savoir au personnage incarné par Roschdy Zem. Mieux encore, ce dernier aurait été encore plus convaincant dans le rôle du rédacteur en chef sous réserve que ce rôle soit plus écrit et plus profond.

Au final, Vivants est un film mal né car il paraît toujours en décalage par rapport à l’ambition portée initialement. La forme, l’angle narratif, la distribution des rôles, l’insuffisance d’écriture de certains personnages sont autant d’obstacles qui font barrages à une bonne appréciation de ce film.


Concrete utopia (2023, Um Tae-Hwa)

Avec Lee BYUNG-HUN, Park BO-YOUNG et Park SEO-JOON

Séoul est frappée par un puissant tremblement de terre qui détruit toute la ville, à l’exception du palais impérial Hwang Gung. Les survivants se tournent vers un officier et une infirmière pour tenter de surmonter la longue crise qui les attend…

Notre avis ***(*) : Concrete utopia peut doublement intimider son public. Il y a sa durée excédant les deux heures et il y un synopsis sans ambages sur le contenu de ce long-métrage. Grâce à un premier long zoom-arrière intervenant très tôt dans le film, Um Tae-Hwa rend compte de l’étendue des dégâts : l’environnement urbain est réduit à un champ de ruines à l’exception d’un unique immeuble. Sur le plan technique, Tae-Hwa fait usage de nombreuses images de synthèse pour restituer visuellement un espace urbanisé devenu quasiment inhabitable. Toujours avec l’appui de trucages vidéo, le réalisateur soigne à la fois ses changements de plans et sa restitution d’un paysage post-apocalyptique. Concrete utopia est un film bénéficiant d’un visuel très travaillé.

Sur le plan narratif, le déroulement de l’histoire avance en deux temps. En premier lieu, Tae-Hwa use d’un style teinté d’humour, voire de burlesque. Face à la catastrophe filmée, ce mode narratif surprend par son audace et va jusqu’à l’intégration d’une séquence de karaoké, scène devenue un classique des films sud-coréens contemporains. Dans sa deuxième partie, Concrete utopia adopte la forme plus attendue d’un film catastrophe. Les touches humoristiques ont disparu pour ne plus réapparaître.

Au-delà des attitudes adoptées par les principaux personnages, chacun sera désormais contraint par l’enchaînement des évènements de révéler tôt ou tard sa véritable personnalité. Ainsi, aux chasses à l’homme imposées par une lutte de survie s’adjoint une chasse aux faux-semblants. L’utopie concrète évoquée par le titre du film n’est peut-être pas accessible aux « gens ordinaires » auxquels l’héroïne de Concrete utopia fait mention en fin de métrage. Imperceptiblement, sous les décombres d’un drame apparaît finalement une fable humaniste.


Matria (2023, Alvaro Gago)

Avec María VAZQUEZ, Santi PREGO, Soraya LUACES, E.r. “Tatán” CUNHA et Susana SAMPEDRO

Dans un village de pêcheurs galicien, Ramona est ouvrière. Son usine est rachetée et les salaires sont à la baisse. Quand Ramona se rebelle contre cette ultime humiliation, elle est licenciée sur-le-champ. Prête à tout pour garantir l’avenir de sa fille, elle enchaîne alors les petits boulots à un rythme effréné… mais jusqu’à quand ?

Notre avis *** : Dans Matria, Alvaro Gago fait le portrait d’une femme. Ramona, incarnée par María Vazquez, appartient à la classe populaire espagnole. Volontaire et dynamique, Ramona est le personnage central et omnipotent de Matria. Ce film écrit et réalisé par Gago est conjugué au féminin. Les protagonistes principaux sont féminins, leurs homologues sont cantonnés à des rôles secondaires et négatifs. Il y a dans l’écriture du film une certaine forme de manichéisme qui, pour un public masculin, pourrait être source de difficultés d’identification aux personnages et d’appréhension du message porté par le film.

Indubitablement, Matria s’adresse plus volontiers à un public féminin. La vie de Ramona telle qu’elle est montrée offre de multiples points d’ancrage constituant autant d’éléments d’identification. Dans ce portrait filmé, Gago ne révolutionne rien mais démontre une capacité certaine à maîtriser sa narration. Matria n’est cependant pas exempt de quelques facilités telles qu’un usage assez prononcé de faire avancer son récit au détour de conversations téléphoniques entre deux personnages. Le film aurait gagné en force si ces échanges avaient été mis en scène. Ce constat contribue aussi à la perception de la redondance de quelques scènes au détriment d’un épilogue rondement mené depuis son installation (dernière relation de Ramona avec chaque membre de son entourage proche) jusqu’au dénouement final qui risque de laisser dubitatif une partie des spectateurs.


Hors-saison (2023, Stéphane Brizé)

Avec Guillaume CANET, Alba ROHRWACHER, Sharif ANDOURA, Hugo DILLON et Emmy BOISSARD PAUMELLE

Mathieu habite Paris, Alice vit dans une petite cité balnéaire dans l’ouest de la France. Il caresse la cinquantaine, c’est un acteur connu. Elle a dépassé la quarantaine, elle est professeure de piano. Ils se sont aimés il y a une quinzaine d’années. Puis séparés. Depuis, le temps est passé, chacun a suivi sa route et les plaies se sont refermées peu à peu. Quand Mathieu vient diluer sa mélancolie dans les bains à remous d’une thalasso, il retrouve Alice par hasard.

Notre avis ***(*) : Dès son commencement, Hors-saison prend ses quartiers dans une station balnéaire bretonne. Très vite, ce film de Stéphane Brizé n’est pas sans nous remémorer Thalasso (2019) de Guillaume Nicloux. Le décalage observé entre Mathieu interprété par Guillaume Canet et les soins balnéaires qui lui sont prodigués est voisin de celui constaté lors de la rencontre orchestrée par Nicloux entre Guillaume Canet et Michel Houellebecq. Cette première partie de Hors-saison est le réceptacle des états d’âme de Mathieu, acteur de cinéma qui vient d’abandonner comme un « minable » un rôle au théâtre un mois avant la première.

Dans un second temps, cette mise en retrait volontaire et voulue par Mathieu dans ce centre de thalassothérapie va lui permettre de rencontrer Alice (Alba Rohrwacher), un amour de jeunesse. Le fil narratif prend alors une autre direction. Celle pavée de questions sur leur amour passé, sur ce qu’il pourrait être aujourd’hui s’il avait perduré et, peut-être, ce qu’il pourrait être s’il devait reprendre. Rohrwacher et Canet forment à l’écran un duo amoureux dont la sensibilité se loge dans les non-dits, les regards ou l’esquisse d’un sourire. Quelques beaux moments intimes émergent des cadres composés par Brizé.

Sur la forme, entre plage et centre de thalasso, Hors-saison baigne dans une atmosphère feutrée, calme et apaisante. Les séquences du film défilent ainsi à l’écran dans un tempo paisible à peine « perturbé » par quelques passages drôles savamment dosés et dispersés sur toute la durée du film. Hors-saison aurait été une œuvre monolithique si son auteur n’avait pas introduit à mi-parcours des séquences rompant singulièrement avec la forme précitée. Ici, l’audace prise est double puisqu’elle porte sur la forme mais aussi sur le fond. Le parti pris ici est un pari sur lequel Brizé prend le risque de déplaire.


Green border (2023, Agnieszka Holland)

Avec Jalal ALTAWIL, Maja OSTASZEWSKA, Behi DJANATI ATAI, Tomasz WLOSOK, Mohamad AL RASHI, Dalia NAOUS, Monika FRAJCZYK, Jasmina POLAK et Taim AJJAN

Ayant fui la guerre, une famille syrienne entreprend un éprouvant périple pour rejoindre la Suède. A la frontière entre le Belarus et la Pologne, synonyme d’entrée dans l’Europe, ils se retrouvent embourbés avec des dizaines d’autres familles, dans une zone marécageuse, à la merci de militaires aux méthodes violentes.Ils réalisent peu à peu qu’ils sont les otages malgré eux d’une situation qui les dépasse, où chacun – garde-frontières, activistes humanitaires, population locale – tente de jouer sa partition…

Notre avis *** : Agnieszka Holland propose dans Green border un long périple d’une durée quasi déraisonnable de 2h30. Ce film au long cours s’évertue à suivre l’exile d’une famille syrienne qui cherche à rejoindre la Suède. Il peut être découpé en deux parties distinctes encadrées par un prologue et un épilogue. L’ensemble est inégal et ne parvient pas à constituer un tout. Le contenu animé de bonnes et louables intentions prête le flanc à une lecture critique. Au final, le film interroge plus qu’il n’apporte de questions. Au-delà de l’exposé proposé, quelles étaient les réelles intentions de la réalisatrice.

Le prologue de Green border installe son action dans la carlingue d’un long vol. Les passagers sont des réfugiés et leur destination est l’aéroport de Minsk, capitale de la Biélorussie. De manière tout aussi maladroite qu’ostentatoire, le nom de la compagnie aérienne apparaît à l’écran. Le nom de cette compagnie souffle son origine : turque. La réalisatrice et coscénariste du film prend ainsi pour fil conducteur le narratif officiel sans autre forme de procès. Ce narratif, vérité d’un moment, n’a jamais été étayé et documenté après sa courte existence. Le transfert des réfugiés de Minsk vers la frontière polono-biélorusse est pour sa part simplement occulté. Le début de Green border ne satisfait pas. Le traitement proposé est vierge de tout parti pris sur une situation complexe appelant à analyse.

Le premier bloc narratif de Green border concerne les tentatives de franchissement par les réfugiés de la frontière entre la Biélorussie et la Pologne. Cette frontière sera traversée à plusieurs reprises dans un sens puis dans l’autre par des protagonistes renvoyés sans cesse de l’autre côté de la frontière par les forces militaires de chaque belligérant. Des séquences filmées émerge avant tout un concentré dense de faits inspirés du réel. La confusion l’emporte dans l’esprit du spectateur face à une suite d’actions très fabriquée et brouillonne. Ici, Holland reste neutre et s’évertue à équilibrer les torts car les exactions montrées sont commises des deux côtés de la frontière.

La seconde partie du film campe les actions et les évènements en terres polonaises un peu en marge de la zone de sécurité. Ici, la narration trouve enfin un équilibre et l’intérêt de Green border grandit enfin. Holland élargit son propos en introduisant un groupe d’activistes venant en aide aux réfugiés par diverses actions clandestines parfois à la limite de la légalité. Dans cette partie du film, indéniablement la plus intéressante, la cinéaste adopte une réalisation moins démonstrative pour rendre compte d’un scénario mieux écrit et plus travaillé.

Green border aurait gagné à être clos ici. Malheureusement, Holland complété son métrage d’un épilogue dispensable. L’action est déplacée en mars 2022 sur la frontière entre la Pologne et l’Ukraine. Le même adjectif « déplacé » peut être attribué au parallèle hasardeux fait dans cet épilogue entre les réfugiés rejetés à la frontière biélorusse et les exilés ukrainiens accueillis à la frontière polonaise !


La nouvelle femme (2023, Léa Todorov)

Avec Leila BEKHTI, Jasmine TRINCA, Rafaelle SONNEVILLE-CABY, Raffaele ESPOSITO, Laura BORELLI et Agathe BONITZER

En 1900, Lili d’Alengy, célèbre courtisane parisienne, a un secret honteux – sa fille Tina, née avec un handicap. Peu disposée à s’occuper d’une enfant qui menace sa carrière, elle décide de quitter Paris pour Rome. Elle y fait la connaissance de Maria Montessori, une femme médecin qui développe une méthode d’apprentissage révolutionnaire pour les enfants qu’on appelle alors « déficients ». Mais Maria cache elle aussi un secret : un enfant né hors mariage. Ensemble, les deux femmes vont s’entraider pour gagner leur place dans ce monde d’hommes et écrire l’Histoire.

Notre avis *** : Léa Todorov trace un double portrait féminin dans La nouvelle femme. En premier lieu, il y a Lili d’Alengy. Ce personnage fictionnel est une courtisane parisienne incarnée à l’écran par Leila Bekhti. L’actrice interprète avec finesse cette femme émancipée mais aussi cette mère distante. Une mère en reconstruction dont l’émancipation sur le plan familial pourrait nécessiter de mettre en retrait sa carrière professionnelle.

Puis, progressivement, Maria Montessori succède à Lili d’Alengy en tant qu’héroïne principale du film. Sous les traits de Jasmine Trinca à l’écran, Maria Montessori est une doctoresse italienne. Elle est l’auteure d’une nouvelle méthode d’apprentissage adaptée aux enfants déficients. La concernant Todorov dresse le portrait d’une femme qui, avec l’aide de Lili d’Alengy, va chercher à s’émanciper dans son rôle de mère mais aussi sur le plan professionnel vis-à-vis d’une sphère médicale prédatrice et à dominante masculine.

Todorov créditée à la réalisation et à l’écriture du scénario de La nouvelle femme parvient à composer un beau double portrait féminin. De notre point de vue, l’efficacité patente du film a pour sources deux qualités essentielles. Il y a d’abord l’équilibre trouvé entre les deux figures féminines du film. Elles sont traitées sur un pied d’égalité jusqu’à partager alternativement le rôle principal comme mentionné plus haut. Il y a ensuite la justesse et l’intérêt du propos porté par le film sur une thématique rarement (jamais ?) traitée sur grand écran.


Explanation for everything (2023, Gábor Reisz)

Avec Gáspár ADONYI-WALSH, István ZNAMENÁK, András RUSZNÁK, Rebeka HATHÁZI, Eliza SODRO, Lilla KIZLINGER et Krisztina URBANOVITS

C’est la fin de l’année scolaire à Budapest. Recalé à son oral d’histoire, Abel décide de mentir à ses parents sur les raisons de son échec et déclenche alors, malgré lui, un scandale politico-médiatique.

Notre avis *** : Le nœud dramatique de Explanation for everything prend sa source dans la survenance d’un évènement insoupçonné. L’acte involontaire d’Abel (Adonyi-Walsh Gáspár) va déclencher une polémique dans laquelle le jeune bachelier va s’enfoncer malgré lui. Au-delà de la polémique suscitée, c’est la confrontation de deux points de vue et d’interprétation inconciliables qui va constituer le moteur narratif imaginé par le réalisateur Gábor Reisz, ici également crédité au scénario avec Éva Schulze.

Sur une durée de 2h30, excessive, Explanation for everything tire le portrait de la société hongroise actuelle plus que jamais scindée en deux. L’opposition est grande entre ceux partisans d’une vision patriotique et ceux animés d’une approche progressiste. En filigrane, c’est la situation politique de la Hongrie qui est mise sur le grill et la perception de ce pays depuis l’étranger. La Hongrie a profondément évolué. La mutation observée interroge Reisz au même titre que la trajectoire politique suivie. Le réalisateur-scénariste ne prend pas parti pour un camp ou l’autre. Ni l’un ni l’autre n’a vraiment tort et personne n’a entièrement raison. Explanation for everything, film politique au long cours, décline une analyse pertinente d’un pays et de ses citoyens.


El profesor (2023, Maria Alché et Benjamín Naishtat)

Avec Marcelo SUBIOTTO, Leonardo SBARAGLIA, Julieta ZYLBERBERG, Alejandra FLECHNER, Andrea FRIGERIO et Mara BESTELLI

Professeur de Philosophie, Marcelo est secoué par la mort de son mentor mais cela ne l’empêche pas d’espérer hériter rapidement de son poste à l’université. Or, un inconnu est également sur le coup : un professeur plus jeune, plus beau et charismatique que Marcelo.

Notre avis *** : Maria Alché et Benjamín Naishtat mettent en scène Marcelo, professeur de philosophie, incarné à l’écran par Marcelo Subiotto. Sans véritable charisme, l’individu n’est pas de nature à se mettre en avant. Pourtant, un poste à l’université est à pourvoir. Marcelo peut légitimement y prétendre mais sans compter sur la concurrence d’un challenger aux allures de favori interprété par Leonardo Sbaraglia.

De cette opposition amicale, naissent des situations cocasses qui tournent toujours au détriment de Marcelo. El profesor est une comédie empreint de philosophie existentielle et constitue un film de divertissement dont l’épilogue amène nos universitaires à adopter. Parfois brouillon, souvent étonnant, El profesor demeure toujours insaisissable.


Elaha (2023, Milena Aboyan)

Avec Bayan LAYLA, Derya DURMAZ, Nazmi KIRIK, Armin WAHEDI, Derya DILBER, Cansu LEYAN, Beritan BALCI, Slavko POPADIĆ et Hadnet TESFAI

Elaha, une jeune femme d’origine kurde de 22 ans, cherche par tous les moyens à faire reconstruire son hymen pensant ainsi rétablir son innocence avant son mariage. Malgré sa détermination, des doutes s’immiscent en elle. Pourquoi doit-elle paraître vierge, et pour qui ? Alors qu’un dilemme semble inévitable, Elaha est tiraillée entre le respect de ses traditions et son désir d’indépendance.

Notre avis ***(*) : Elaha est le premier long-métrage réalisé par Milena Aboyan également auteure du scénario. Cette réalisatrice aborde un sujet entièrement féminin annoncé dans la synopsis de Elaha. Le titre renvoie au prénom de l’héroïne principale de ce film incarnée par Bayan Layla.

Pour cette première réalisation d’un long-métrage, Aboyan ne s’est pas facilité la tâche en optant pour une thématique difficile à traiter sur grand écran. Malgré ces difficultés, Elaha se révèle très convaincant pour plusieurs raisons. Il y a tout d’abord la justesse d’écriture du scénario. La réalisatrice et Constantin Hatz son coscénariste ont su insuffler dans leur récit un regard très équilibré et qui rend compte d’une belle acuité. Ainsi, le récit n’aboutit pas à un film manichéen qui marquerait une profonde scission entre les deux genres humains. La mixité du duo de scénaristes joue à plein. On peut en effet imaginer que lors de l’écriture du scénario, les potentiels excès de point de vue de l’un ont été contrebalancés par le regard de l’autre. En conséquence, le fil narratif de Elaha bénéficie d’un bel équilibre et d’un parfait dosage entre les différentes réactions que peuvent susciter la situation racontée. Pour autant et cela mérite d’être souligné, cette narration n’aboutit pas à un propos neutre. Elaha est porteur d’un message qui ne peut pas laisser indifférent.

Louons aussi les qualités de directrice d’acteurs de Aboyan. Là encore, la réalisatrice a pris le risque de s’appuyer sur un casting majoritairement jeune (choix contraint par le sujet traité) et débutant. La troupe d’acteurs convoquée est à créditer d’une interprétation de qualité dans sa globalité. Pour incarner le personnage-titre, la réalisatrice a fait appel à Layla qui signe ici son premier rôle pour le cinéma. Au sein d’un casting de qualité, cette jeune comédienne allemande livre une prestation remarquable notamment par la maturité affichée.


Bye bye Tibériade (2023, Lina Soualem)

Avec Lina SOUALEM et Nadine NAOUS

Hiam Abbass a quitté son village palestinien pour réaliser son rêve de devenir actrice en Europe, laissant derrière elle sa mère, sa grand-mère et ses sept sœurs. Trente ans plus tard, sa fille Lina, réalisatrice, retourne avec elle sur les traces des lieux disparus et des mémoires dispersées de quatre générations de femmes palestiniennes. Véritable tissage d’images du présent et d’archives familiales et historiques, le film devient l’exploration de la transmission de mémoire, de lieux, de féminité, de résistance, dans la vie de femmes qui ont appris à tout quitter et à tout recommencer.

Notre avis **(*) : Lina Soualem retrace l’histoire de sa famille maternelle à travers le regard et les souvenirs de sa mère Hiam Abbass. Une famille palestinienne installée à Tibériade et contrainte de quitter cette ville devenue israélienne en 1948. Un déracinement que les arrière-grands-parents et la grand-mère de la documentariste ont dû subir.

Le traitement proposé dans Bye bye Tibériade se révèle pertinent quand il cherche à témoigner de cet exil forcé. Malheureusement, Soualem et sa mère n’interrogent pas ou peu cette grand-mère sur ce drame vécu. Ainsi, ce documentaire prend trop peu souvent de recul par rapport à l’histoire familiale de la réalisatrice. Les choix et le destin de Abbass ne sont pas sans intérêt car ils content la vie d’une jeune femme palestinienne cherchant et réussissant à s’émanciper.

L’histoire de cette famille nous est racontée et montrée à travers des photographies et des extraits de films de famille tournés au début des années 1990. Cette part prépondérante de Bye bye Tibériade porte inéluctablement un intérêt moindre. L’histoire intime d’une famille embarque moins son auditoire car elle est, par essence, moins universelle et d’importance que l’Histoire de la Palestine au mitan du siècle dernier.

C’est là un biais commun de tous les films dont le fil narratif s’appuie sur des archives familiales. Bye bye Tibériade recèle cependant quelques intéressantes images d’archives historiques. L’intérêt de ce documentaire aurait été plus grand si ces archives avaient été plus nombreuses et avaient été accompagnées par une étude historique de la Palestine plus approfondie.