Le Festival International du Film Politique a lieu en ce moment. Nous vous proposons ici un journal critique pour mieux vous guider à travers la programmation foisonnante de cette 5ème édition de ce festival de Carcassonne.
L’échelle de notation qui est appliquée est la suivante:
– très mauvais film
* film passable
** bon film
*** très bon film
**** excellent film
***** chef d’œuvre
Houria (2022, Mounia Meddour)
Avec Lyna Khoudri, Amira Hilda Douaouda, Rachida Brakni, Nadia Kaci, Meriem Medjkane, Zahra Manel Doumandji Et Sarah Guendouz.
Alger. Houria est une jeune et talentueuse danseuse. Femme de ménage le jour, elle participe à des paris clandestins la nuit. Mais un soir où elle a gagné gros, elle est violemment agressée par Ali et se retrouve à l’hôpital. Ses rêves de carrière de ballerine s’envolent. Elle doit alors accepter et aimer son nouveau corps. Entourée d’une communauté de femmes, Houria va retrouver un sens à sa vie en inscrivant la danse dans la reconstruction et sublimation des corps blessés…
Notre avis *** : En 2019, lors de la sortie en salle de Papicha nous indiquions que « le récit féminin et féministe avancé par Mounia Meddour dans Papicha n’est pas sans nous rappeler celui de Deniz Gamze Ergüven dans Mustang. » En 2022, pour la sortie prochaine de Houria nous indiquons volontiers que « le récit féminin et féministe avancé par Mounia Meddour dans Houria n’est pas sans nous rappeler celui de Mounia Meddour dans Papicha. »
En effet, les désormais deux derniers films en date de la réalisatrice née à Moscou sont deux déclinaisons de deux métrages très voisins. Certes, les héroïnes 2022 ont un peu vieillies basculant ainsi de post-adolescentes à jeunes femmes mais l’envie de liberté demeure. Le titre du film est celui du personnage principal interprété par Lyna Khoudri, déjà actrice principale de Papicha.
De même, la part laissée aux hommes dans la narration est très limitée tant dans la durée que dans le contenu. Les figures paternelles sont ainsi complètement absentes. L’une d’entre elles sera évoquée au détour d’une scène mais bien trop brièvement. Nous aurions aimé en savoir plus sur le crime politique mentionné. Là encore nos écrits relatifs à Papicha s’appliquent pleinement à Houria : « conjugué au masculin, Papicha n’offre aucun rôle positif aux quelques hommes mis en scène. Le film se montre donc clivant, parfois manichéen, et requiert de la part des spectateurs une grille de lecture adaptée. »
Le montage syncopé et abrupt du film ne se soucie guère des transitions entre les scènes. Cet élément technique et un filmage en partie en caméra portée aux mouvements parfois brusques rendent certaines séquences peu lisibles. Ne mentionnions-nous pas déjà pour Papicha que « le montage syncopé de Papicha et les mouvements de la caméra rendent parfois certaines séquences peu lisibles. » ?
Houria est géographiquement un film moins marqué par l’Algérie hôte que son aîné. Cependant, on note chez Meddour une attention particulière apportée sur les gestes effectués par ses protagonistes. La réalisatrice prend soin de capter les gestes précis d’une danseuse répétés à l’envi mais aussi ceux qui forment le langage des signes. Les danses se déclinent naturellement en chorégraphies rythmées. Plus étonnamment, le langage des signes, patiemment appris, sera source aussi de chorégraphies en fin de métrage.
Pour la France (2022, Rachid Hami)
Avec Karim Leklou, Shaïn Boumedine, Lubna Azabal, Laurent Lafitte Et Samir Guesmi.
Lors d’un rituel d’intégration dans la prestigieuse École Militaire de Saint-Cyr, Aïssa, 23 ans, perd la vie. Face à une Armée qui peine à reconnaître ses responsabilités, Ismaël, son grand frère, se lance dans une bataille pour la vérité. Son enquête sur le parcours de son cadet va faire ressurgir ses souvenirs, de leur enfance à Alger aux derniers moments ensemble à Taipei. D’après une histoire vraie.
Notre avis ***(*) : A la lecture de son synopsis, Pour la France invite à une enquête dont l’objet serait de percer le mystère entretenu par la grande muette autour du décès accidentel de l’une de ses jeunes recrues, Aïssa (Shaïn Boumedine). Pourtant, la dernière réalisation en date de Rachid Hami est moins un film-enquête qu’un drame familial qui s’articule principalement autour du personnage interprété par Karim Leklou, frère aîné du défunt.
Ce décès accidentel et inexpliqué sert de prétexte au réalisateur, coscénariste avec Ollivier Pourriol, pour déployer une narration avant tout sous forme de flash-backs. Sous un titre écrasant et quelque peu surdimensionné, Pour la France fait ainsi le récit d’une famille partagée entre l’Algérie et la France : un père (Samir Guesmi) gendarme à Alger opposé à une mère (Lubna Azabal) soucieuse de donner un avenir à ses fils et donc à quitter l’Algérie pour venir s’établir en France.
Hami développe avec une belle sobriété un drame familial intimiste plutôt bien écrit. Les propos tenus sont mesurés : les sujets de discordes font plus l’objet d’une évocation que d’un réel traitement. Le réalisateur s’applique et réussit à restituer avec finesse les états d’âme de ses personnages. Un supplément d’engagement aurait ainsi permis de relever Pour la France à hauteur de son titre.
Rojek (2022, Zaynê Akyol)
ROJEK va à la rencontre des membres de l’État islamique, et de leurs femmes détenues dans des camps-prisons, provenant des quatre coins de la planète et partageant un rêve commun : établir un califat. Confronté aux croyances fondamentalistes des djihadistes, le film tente de retracer le début, l’apogée et la chute de l’État islamique (EI) à travers leurs histoires personnelles. Ces conversations constituent le fil conducteur du documentaire au travers desquelles s’entrelacent diverses séquences décrivant le Kurdistan syrien d’après-guerre.
ROJEK offre un regard intime sur une réalité inconnue, témoignant de moments charnières vécus par les acteurs de ce conflit. Le film aborde comment cette guerre idéologique n’est que le début d’une nouvelle menace.
Notre avis ** : Ce documentaire écrit et réalisé par Zaynê Akyol porte sur un sujet sensible en donnant la parole à une douzaine de prisonniers et prisonnières en attente de leur procès face à la justice révolutionnaire. Tous sont emprisonnés car ils sont ou ont été membres de l’Etat islamique. La mise en scène des interviews est rudimentaire. Les témoignages sont captés face caméra en plans serrés. L’interviewer restera hors du champ d’une caméra indéfectiblement fixe.
Akyol offre cependant quelques zones de respiration dans cette mise en scène potentiellement pesante. Ces respirations prennent la forme visuelle d’amples plans aériens sur les camps où les familles des prisonniers sont logées ou sur des brulis. La symbolique saute aux yeux : d’une part des proches vivant misérablement loin de leur père ou mari et d’autre part le besoin de faire disparaître un passé tragique. On ne peine pas à imaginer la complexité du tournage in situ dans le Kurdistan syrien soit en zone de guerre.
La somme des extraits d’interviews peine à mettre en lumière une narration construite et progressive. Rojek signifie « un jour » en kurde. Ce documentaire donne à entendre quelques remords dont il est difficile d’identifier s’ils sont sincères ou juste formulés pour adoucir la sentence d’un procès à venir. Pareille interrogation jette le doute sur les sous-titres sensés traduire en français les propos tenus à l’écran. En effet, la traduction française de certains mots est complétée par l’ajout de termes entre parenthèses qui viennent signifier la traduction « originale » !
L’homme le plus heureux du monde (2022, Teona Strugar Mitevska)
Avec Jelena Kordić Kuret, Adna Omerović, Labina Mitevska Et Ana Kostovska.
Sarajevo, de nos jours. Asja, 40 ans, célibataire, s’est inscrite à une journée de speed dating pour faire de nouvelles rencontres. On lui présente Zoran, un banquier de son âge. Mais Zoran ne cherche pas l’amour, il cherche le pardon.
Notre avis *** : Teona Strugar Mitevska, sans savoir l’expliquer, a attribué un étrange titre à son long-métrage. L’homme le plus heureux du monde est la traduction littérale en français du titre original bosniaque. Ce titre ne reflète en rien le contenu du film. Parmi les personnages masculins, Zoran interprété par Adnan Omerovic ne peut prétendre à ce… titre ! Zoran s’est inscrit à une journée de speed dating pour rencontrer Asja (Jelena Kordic Kuret) qu’il connait déjà sans que celle-ci ne le sache et pour tenter de laver un traumatisme.
Le film brille par une idée originale. En effet, la journée de speed dating mise en scène sera le prisme par lequel Strugar Mitevska va rendre compte du conflit qui a mené à la dislocation de la Yougoslavie. Le sujet est délicat et cette façon de faire permet de désamorcer d’entrée ces évènements tragiques. Reste à savoir si ce désamorçage sera effectif jusqu’au terme du métrage.
D’un point de vue narratif, l’échange de questions-réponses au sein du binôme formé par Asja et Zoran vise, par cercles concentriques, à circonscrire progressivement le nœud de l’intrigue avant de le révéler dans toute sa radicalité. Il permet en même temps aux deux personnages de mieux se connaitre et peut-être de s’apprivoiser.
Mis hermanos sueñan despiertos (2021, Claudia Huaiquimilla)
Avec Iván Cáceres, César Herrera, Paulina García, Andrew Bargsted Et Julia Lübbert.
Les frères Ángel (17 ans) et Franco (14 ans) sont incarcérés dans une prison pour mineurs depuis un an, en attendant le jugement de leur affaire. Malgré l’hostilité du lieu, ils nouent des liens avec d’autres jeunes et passent leurs journées à rêver de ce qu’ils feront lorsqu’ils seront libérés. L’arrivée de Jaime (17 ans), un jeune rebelle, change tout lorsqu’il propose de s’échapper par une émeute. L’idée commence à gagner des adeptes, mais bien que Franco veuille s’y joindre, Ángel sait que ce n’est pas sûr. Cependant, plusieurs déceptions familiales et judiciaires, en plus des bagarres, des cambriolages et des suicides, amèneront Angel à voir l’émeute comme sa seule issue. Inspiré de faits réels survenus dans le sud du Chili.
Notre avis ***(*) : Le scénario de Mis hermanos sueñan despiertos est inspiré d’un fait réel survenu au Chili dans une prison pour mineurs. Le film est d’ailleurs dédié aux victimes de ce fait réel qui n’est nullement un fait divers au regard des chiffres portés à notre connaissance par le carton final.
Coscénariste d’un film au scénario solide et sans faille, Claudia Huaiquimilla a su réunir un casting très performant alors qu’il est composé d’adolescents et de jeunes hommes qui, pour la plupart d’entre eux, signent ici leur première apparition pour le cinéma. Le justesse d’interprétation des jeunes acteurs est particulièrement remarquable d’autant que les rôles portés ne relèvent pas d’une simple sinécure, loin de là. La direction d’acteurs prodiguée par la réalisatrice mérite d’être soulignée pour sa qualité et sa justesse.
Toute la radicalité du milieu carcéral chilien transpire dans chaque scène. Elle est d’autant plus difficile à regarder par instants qu’elle concerne des mineurs en attente de jugement pour des faits qui resteront non dévoilés. Le constat dressé par Huaiquimilla est sans appel et révoltant car systémique. Mis hermanos sueñan despiertos démontre que la tragique Histoire du Chili semble sans fin et, en prolongement, lève un nombre conséquent de questions quasi insolubles.
Temps mort (2023, Eve Duchemin)
Avec Karim Leklou, Issaka Sawadogo Et Jarod Cousyns.
Pour la première fois depuis longtemps, trois détenus se voient accorder une permission d’un week-end. 48h pour atterrir. 48h pour renouer avec leurs proches. 48h pour tenter de rattraper le temps perdu.
Notre avis *** : Temps mort est le premier long-métrage dans lequel Eve Duchemin est créditée à la réalisation et à l’écriture du scénario. Le récit porté par le réalisatrice-scénariste s’articule autour de trois personnages principaux incarcérés et bénéficiant d’une permission le temps d’un week-end. A travers ces trois protagonistes interprétés, du plus âgé au plus jeune, par Issaka Sawadogo, Karim Leklou et Jarod Cousyns ce sont trois trajectoires distinctes qui sont mises en visibilité.
Duchemin avance alternativement ses trois fils narratifs pour rendre compte des difficultés de communications et d’intégration du trio de permissionnaires mis en scène. L’emprisonnement sépare les individus d’une vie familiale et d’une existence en société. Les trois trajectoires dessinées ne sont pas d’un intérêt égal mais elles permettent au final de tirer avec efficacité un triple portrait cohérent et sincère. Dans Temps mort, la réalisatrice s’attache aussi, en creux, à démontrer que la doctrine carcérale française ne constitue en rien une solution. Elle paraît en effet créer plus de problèmes qu’elle n’en solutionne ce qui se révèle antinomique par rapport à ses principes fondateurs.
Boxer les mots (2023, Emmanuel Courcol)
De novembre 2018 à mai 2019, neuf détenus longues peines du Centre pénitentiaire de Meaux-Chauconin vont participer à une création théâtrale dirigée par le chorégraphe Hervé Sika avec la collaboration d’artistes professionnels et de l’Orchestre de chambre de Paris. De séances de boxe en ateliers d’écriture puis en répétitions de danse, jusqu’à la représentation finale à la MC 93 de Bobigny, et malgré les doutes et les aléas d’un travail en milieu pénitentiaire, un spectacle surprenant, qui marquera profondément les participants, va naître.
Notre avis **** : En 2020, Emmanuel Courcol livrait Un triomphe, un film de fiction tourné en milieu carcéral. L’histoire racontée s’articulait sur la mise en scène d’une pièce de théâtre par le personnage interprété par Kad Merad fort d’une troupe de comédiens composée parmi les prisonniers. Dans Boxer les mots, Courcol reprend la même thématique dans les mêmes lieux (prison de Meaux) mais traite le sujet sous l’angle d’un documentaire.
Exit donc les comédiens professionnels alors qu’apparaissent à l’écran une troupe de huit comédiens amateurs locataires de la prison de Meaux. Tous volontaires pour intégrer le projet proposé par le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation puis sélectionnés pour former une troupe de théâtre, tous ne seront pas forcément autorisés à quitter la prison pour se produire sur la scène de la Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis. Le projet mêle trois thèmes : la boxe, la danse et le chant. Ce dernier élément est délégué à des professionnels.
D’un point de vue chronologique, Boxer les mots suit Un triomphe. Dans les faits et sur le terrain, l’ordre est inverse, à postériori, Un triomphe s’alimente de Boxer les mots. Ce Triomphe version documentaire est particulièrement attachant car il s’irrigue d’une réalité complexe et douloureuse. Si Boxer les mots est une belle réussite, c’est aussi parce que ce documentaire entremêle avec simplicité et sincérité des relations intimes sans cesse confrontées aux forces et fragilités des protagonistes. Tout dans Boxer les mots sonne juste et authentique. Les personnages jouent leurs répliques mais ne jouent pas à se construire une personnalité qui n’est pas la leur. La beauté réside dans la sincérité.
About Kim Sohee (2022, July Jung)
Avec Doo-Na Bae Et Kim Si-Eun.
Kim Sohee est une lycéenne au caractère bien trempé. Pour son stage de fin d’étude, elle intègre un centre d’appel de Korea Telecom. En quelques mois, son moral décline sous le poids de conditions de travail dégradantes et d’objectifs de plus en plus difficiles à tenir. Une suite d’événements suspects survenus au sein de l’entreprise éveille l’attention des autorités locales. En charge de l’enquête, l’inspectrice Yoo-jin est profondément ébranlée par ce qu’elle découvre. Seule, elle remet en cause le système.
Notre avis ***(*) : La durée d’un film au-delà du double tour de cadran interroge toujours, intimide parfois. La durée de About Kim Sohee – 2h14 – pose question avant visionnement. La teneur du scénario écrit par la réalisatrice July Jung justifie amplement la longueur de ce long-métrage. En effet, la scénariste-réalisatrice livre deux films en un. Il y d’abord le récit d’un drame qui laisse ensuite la place à une enquête policière. About Kim Sohee qu’on pourrait donc aisément découper en deux chapitres jouit d’un bel équilibre entre ses deux parties. La tenue de la narration et la qualité de la réalisation ne sont en effet jamais prises en défaut.
L’autre intérêt du film réside dans sa richesse thématique. A travers l’histoire tragique de son personnage principal – Kim Sohee incarnée par Kim Si-Eun – Jung ambitionne de traiter un large éventail de sujets. Il y a l’absence de communication entre l’héroïne et ses parents qui vient compléter la dénonciation du système scolaire et professionnel de la Corée du Sud. Deux sphères placées sous le dictat d’une multitude de classements visant à distinguer les bons des mauvais éléments dans ce qui se décline en une compétition incessante.
Jung embrasse dans ses écrits toutes les combines qui ont cours dans un monde du travail. Les règles dictées par le code du travail sont allégrement détournées. La principale conséquence de cet état de fait réside dans une plus grande précarité des salariés et à fortiori des stagiaires. Enfin, la réalisatrice sud-coréenne expose aussi les méfaits apportés par un usage immodéré des réseaux sociaux. About Kim Sohee soulève dès lors à dessein de nombreuses questions sur le fonctionnement de la société sud-coréenne mais pas seulement.
Le marchand de sable (2022, Steve Achiepo)
Avec Moussa Mansaly, Aïssa Maïga, Ophélie Bau, Mamadou Minté Et Benoît Magimel.
Marqué par des années de prison, Djo, livreur de colis en banlieue parisienne, vit modestement chez sa mère avec sa fille.Un jour, une tante qui vient de fuir le conflit ivoirien débarque chez eux avec ses trois enfants. Dans l’urgence, Djo réussit à leur trouver un local. Mais face à la demande croissante et dans la perspective d’offrir une vie décente à sa fille, Djo bascule et devient marchand de sommeil.
Notre avis **(*) : Steve Achiepo joue avec les mots pour titrer son deuxième long-métrage. Alors que le sujet principal du film est d’éclairer les pratiques des marchands de sommeil, le scénariste-réalisateur a opté de titrer son film Le marchand de sable. C’est après que le marchand de sable soit passé que le sommeil est trouvé. Mais ce long-métrage n’a pas vocation à endormir son public mais, au contraire, à l’éveiller face à une dérive sociétale qui gangrène l’existence de nombreux migrants en région parisienne. Le film arbore donc un titre très antinomique à son contenu.
La problématique posée par les marchands de sommeil a peu été traitée au cinéma. L’intérêt porté par Achiepo sur cette thématique se doit d’être soulignée et son regard nous intéresse. Dans Le marchand de sable, la mise en place de la narration traine un peu en longueur. L’introduction du film est quelque peu étirée et finit par tourner à vide.
Puis, le fil narratif trouve son régime de croisière. La narration demeure à la fois maîtrisée et cohérente. Le traitement proposé par le réalisateur intéresse. Malheureusement, le film perd en puissance en bout de course dans un épilogue plutôt (trop) démonstratif et qui d’introduit de l’incohérence dans le récit. La fin du Marchand de sable est d’autant plus insatisfaisante qu’elle produit de l’ambivalence dans le message porté jusqu’ici. Notre grille de lecture nous a fait redouter jusq’au générique de fin une double héroïsation relativement aux personnages incarnés par Moussa Mansaly et Mamadou Minte.
La fin du film est donc ratée bien plus par maladresse que par volonté. Car nous ne doutons pas de la sincérité du message porté par le réalisateur et dont l’écriture de scénario doit être encore travaillée pour être renforcée et ne pas prêter le flanc à interprétations.
Alam (2022, Firas Khoury)
Avec Mahmoud Bakri, Sereen Khass, Saleh Bakri Et Mohammad Karaki.
Tamer est palestinien et vit en Israël. Il mène avec ses amis la vie d’un lycéen insouciant jusqu’à l’arrivée de la belle Maysaa. Pour lui plaire Tamer accepte de prendre part à une mystérieuse opération drapeau à la veille de la fête d’Indépendance israélienne, jour de deuil pour les Palestiniens.
Notre avis * : La découverte d’un premier long-métrage a toujours une saveur particulière. Il y a notamment ce doux espoir de découvrir un nouvel auteur dont le nom comptera dans les prochaines années, voire décennies. La réalisation d’un premier film sert souvent de révélateur. Malheureusement Firas Khoury livre une première réalisation comportant de nombreuses faiblesses et maladresses.
Il y a d’abord une mise en scène de Alam est très voyante, téléphonée, maladroite et souvent naïve. Ensuite, du côté de la narration, les griefs portent essentiellement sur une écriture peu maîtrisée qui transforme le militantisme des protagonistes principaux en une déambulation que les Pieds nickelés n’auraient pas renié. Et encore, le militantisme se dilue dans quelques revendications véhiculées en vase clos entre personnes déjà convaincues. Autre exemple, le drapeau national israélien bien plus montré à l’écran que le drapeau palestinien vient visuellement désamorcer le message propalestinien voulu « engagé » du film. Ce constat vient en totale contradiction avec l’objet même de l’histoire racontée !
En définitive, jamais le message voulu par le réalisateur également crédité à l’écriture du scénario ne prend consistance. De même, jamais le spectateur ne sera embarqué dans l’action, celle-ci restant de toute manière très timorée et finalement anecdotique. Alam est un film raté que Khoury clôt sur un générique de fin accompagné en fond musical de la chanson The partisan interprétée par Leonard Cohen. Dès lors, le rejet du métrage est définitif. On pourrait qualifier sobrement ce choix musical de déplacé et malvenu. Mais clore les nouvelles aventures des Pieds nickelés sur les paroles si précieuses et justes d’Emmanuel d’Astier de La Vigerie, relève à minima d’une énorme faute de goût à moins que ce choix ne relève que d’une simple bêtise crasse. Pour autant, cela n’excuse rien.
De grandes espérances (2022, Sylvain Desclous)
Avec Rebecca Marder – De La Comédie Française, Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot Et Marc Barbe.
Été 2019. Diplômée de Sciences-Po, Madeleine part préparer les oraux de l’ENA en Corse avec son amoureux Antoine. Au détour d’une petite route déserte, le couple se retrouve impliqué dans une altercation qui tourne au drame. Le secret qui les lie désormais pèsera lourd sur leur future carrière politique…
Notre avis **(*) : L’introduction du film prend ses quartiers en Corse où les deux personnages principaux incarnés par Rebecca Marder et Benjamin Lavernhe croiseront un autochtone. L’amorce du film n’est pas exempte de clichés. Avec un tel démarrage, un bon accueil de De grandes espérances n’est pas acquis d’avance. La fin dramatique de la part corse du film va ensuite conditionner la suite de celui-ci de retour sur les terres de la France continentale.
Sylvain Desclous va dès lors procéder sur un double registre. De grandes espérances visite la sphère du pouvoir politique de niveau national puisque le personnage interprété par Emmanuelle Bercot, à mi-chemin entre Nathalie Baye et Ségolène Royal, ambitionne de hautes fonctions au sein du gouvernement français. Dans cette part du film, le réalisateur aborde la question politique et confronte les opinions de ses différents personnages. Le traitement proposé est intéressant et aurait mérité d’être poussé plus loin.
L’autre part du film réside dans l’enquête policière déclenchée suite à la fin dramatique de la séquence initiale en Corse. Ici, le traitement proposé par Desclous est plus convenu et conventionnel. Les codes du film-enquêtes sont maitrisés et reconduits tels qu’on les connaît mais la réalisation ne s’aventure dans aucune prise de risque et ne présente aucune originalité. Sans défaut majeur mais également sans point d’accroche notables, De grandes espérances échoue à satisfaire le sens de son titre.
Les âmes perdues (2023, Garance Le Caisne et Stéphane Malterre)
En 2014, un mystérieux déserteur, portant Ie nom de code César, divulgue des dizaines de milliers de photos des victimes du régime syrien, morts sous la torture. Alors que les suppliciés sombrent dans l’oubli et que des milliers de civils disparaissent, leurs familles, leurs avocats et un petit groupe d’activistes tentent de déposer des plaintes dans des tribunaux européens. Ce film raconte les rebondissements d’enquêtes et de procédures qui conduiront à l’émission de mandats d’arrêts contre les plus hauts responsables de l’administration de Bachar al Assad, pour crimes contre I’humanité.
Notre avis ***(*) : Les âmes perdues est un documentaire réalisé par Garance Le Caisne et Stéphane Malterre. Il relate sur plusieurs années les actions menées par des plaignants, avocats et autres activistes pour traduire devant la justice les présumés coupables syriens de crimes de guerre. De prime abord, on peut redouter de ce type de documentaires une orientation et un traitement exclusivement à charge.
Les âmes perdues échappe à cette classification en ménageant un espace de réponse au président syrien à travers une séquence vidéo. Le documentaire met en relief le long travail d’investigation requis avant de pouvoir ester en justice de hauts dignitaires. De plus, l’acception d’une demande de procès n’a rien d’automatique. Et si un procès est initié, celui-ci n’est pas gagné d’avance.
En moins de deux heures, Le Caisne et Malterre parviennent à synthétiser de longues années de travail et de documentation. Le traitement équilibré proposé dans Les âmes perdues n’est pas la moindre qualité de ce documentaire.
La syndicaliste (2022, Jean-Paul Salomé)
Avec Isabelle Huppert, Grégory Gadebois, François-Xavier Demaison, Pierre Deladonchamps Et Alexandra Maria Lara.
LA SYNDICALISTE raconte l’histoire vraie de Maureen Kearney, déléguée CFDT chez Areva, qui, en 2012, est devenue lanceuse d’alerte pour dénoncer un secret d’Etat qui a secoué l’industrie du nucléaire en France. Seule contre tous, elle s’est battue bec et ongles contre les ministres et les industriels pour faire éclater ce scandale et défendre plus de 50 000 emplois jusqu’au jour où elle s’est fait violemment agresser et a vu sa vie basculer…
Notre avis **** : Dans La syndicaliste, Jean-Paul Salomé retrace le parcours de Maureen Kearney, syndicaliste CFDT chez Areva et incarnée à l’écran par Isabelle Huppert. Entre pressions politiques et lobbying dans le secteur nucléaire, l’histoire racontée paraît à peine imaginable. Elle est pourtant réelle et récente puisqu’elle se déroule sur près de la totalité de la décennie passée. Salomé livre un véritable pamphlet sur la sphère politico-industrielle et sur fond de condition féminine dans la France d’aujourd’hui.
Tout ce qui est dit et montré est véridique, rien n’est caricaturé ou amplifié bien au contraire de l’aveu même de Kearney sortie détruite et épuisée d’une affaire dont l’épilogue restera à jamais non écrit et élucidé. Cette usure affleure peu à travers l’héroïne combattante qui a l’écran reste déterminée dans l’action. C’est bien là l’unique faiblesse qu’on peut émettre à l’encontre de ce long-métrage. Tous les autres éléments de La syndicaliste sont irréprochables dans ce film politique au sens noble du terme. Sans marteler inutilement son propos, Salomé livre une œuvre d’utilité publique. La syndicaliste vaut pour témoignage mais aussi pour constat d’un système judiciaire défaillant car n’œuvrant plus dans l’indispensable indépendance que devrait fournir tout Etat de droit. Le regard porté est tout aussi accablant que glaçant.
La bataille d’Alger (1965, Gillo Pontecorvo)
Avec Jean Martin, Yacef Saadi, Brahim Haggiag, Ugo Paletti Et Fusia El Kader.
Octobre 1957. Les paras du colonel Mathieu cernent le refuge d’Ali-La-Pointe, responsable de la guérilla urbaine. Pendant ses heures de réclusion forcée, Ali revit l’itinéraire qui l’a conduit de l’état de délinquant et proxénète à celui de chef guérillero du F.L.N. Novembre 1954, l’organisation terroriste entreprend son activité en Algérie ; ce sont les premiers attentats à la bombe dans les bars, les gares et les cinémas de la « ville européenne ». Ali devient l’un des chefs de l’organisation, sous la direction de Ben M’Hidi, alors qu’arrivent à Alger les parachutistes salués par la population européenne. Le colonel Mathieu, mettant à profit une grève, pénètre dans le quartier arabe et procède aux premières arrestations…
Notre avis ****(*) : Réalisé peu de temps après la fin de la guerre d’Algérie, La bataille d’Alger figure parmi les meilleurs films politiques de l’histoire du cinéma. Ce long-métrage en montrant à l’écran les exactions menées par les deux camps – FLN d’une part et forces de l’ordre puis armée française d’autre part – n’est certainement pas le film de propagande que certains ont cru percevoir. Vision biaisée que certains cherchaient à imposer durant toute la décennie des années 70. En effet, ce film réalisé en 1965 aborde un sujet éminemment sensible en France et ne connut une exploitation en France que cinq ans plus tard. Jusqu’au début des années 1980, nombre de ses projections en salles causèrent des incidents.
Gillo Pontecorvo livre une œuvre magistrale d’une immense justesse. Le cinéaste italien y gagne une renommée mondiale. Cette justesse de propos et de traitement est le fruit d’un long travail d’enquête mené sur le terrain par le réalisateur et Franco Solinas, tous les deux auteurs du scénario du film. Comment ne pas souligner l’indéniable réalisme des briefings menés par le colonel Mathieu (Jean Martin), personnage dont la caractérisation en fait un voisin extrêmement proche du colonel Bigeard. La bataille d’Alger est une œuvre matricielle utilisée notamment par l’armée américaine pour former ses officiers.
Pontecorvo dénonce tout autant le colonialisme que les tortures pratiquées et le racisme. En filigrane, la dénonciation porte aussi sur les mauvaises décisions prises au mauvais moments par le belligérant français. Au-delà, La bataille d’Alger, par son extrême précision, aide à comprendre d’une part les rouages du colonialisme, ses tenants et ses aboutissants, et d’autre part la lutte de libération nationale menée par l’autre partie. La triple récompense obtenue lors de la Mostra de Venise en 1966 – dont le Lion d’or et le Prix international de la critique – ne peut souffrir aucune contestation.